Art contemporain

Le bonheur est dans les parcs de sculptures

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 6 juillet 2020 - 2266 mots

Confinés au même titre que les musées et les monuments au printemps, les parcs et jardins de sculptures, soumis aux impératifs de la nature, n’ont pour autant pas totalement arrêté le temps. Ils constituent des lieux idéaux à visiter cet été.

Une fois n’est pas coutume : le printemps a vu les parcs et les jardins de sculptures s’épanouir à huis clos. Durant le confinement, ils se sont dotés de nouvelles œuvres sans pouvoir les partager avec le public, pendant que les jardiniers s’affairaient à leur entretien. Car, rappelle Patricia Laigneau, propriétaire du château du Rivau, en Touraine, « les jardins n’attendent pas. On doit planter en mars et avril ; après, c’est trop tard ». Il était d’autant plus important de le faire que, cette année, le domaine s’est doté pour ses vingt ans d’un vaste jardin de plantes comestibles à cueillir cet été sous la conduite d’intervenants spécialisés dans leur culture et leur préparation culinaire ou médicinale.

À Amiens le retard pris dans la production de sa programmation par le Festival international des jardins – Hortillonnages a conduit leur créateur et directeur Gilbert Fillinger à décaler la date d’ouverture, qui permettra l’accès, en bateau ou à pied, aux 29 jardins flottants sur la soixantaine qu’en compte le dédale de canaux. Compte tenu des mesures de distanciation physique et des gestes barrières à appliquer, potagers, vergers et interventions d’architectes, de paysagistes ou de plasticiens ont demandé de travailler autrement. L’exercice a été une gageure, même si rien n’est venu entamer la détermination des équipes. La mobilisation fut tout aussi générale au domaine de Chaumont-sur-Loire où tout le monde a participé au jardinage et au désherbage pour compenser le manque de personnel. Directrice et médiateurs sont venus étoffer les rangs amaigris. « Mars et avril voient venir travailler à la préparation des jardins et du parc 80 personnes en plus de nos 18 jardiniers. Cette année, nous avons dû tout mener à bien avec seulement 6 jardiniers par jour et 10 personnes. Mais nous y sommes arrivés ! », se réjouit Chantal Colleu-Dumond, à la tête de l’établissement régional. De fait, chaque année, le lancement du Festival international des jardins programmé fin avril et l’inauguration de la saison d’art contemporain mobilisent beaucoup de monde et imposent un timing précis. Ce printemps a imposé un autre tempo, d’autres règles, d’autres inquiétudes. Il s’en est fallu en effet de peu pour que les deux sculptures de Giuseppe Penone, arrivées d’Italie la veille du confinement, ne puissent parvenir à bon port.

Tour de force et tournemain

S’adapter a été la règle commune à tous les domaines. Les artistes n’y ont pas dérogé. Lawrence Weiner a ainsi conçu et dirigé depuis New York la réalisation de Statement pour la Venet Foundation au Muy, dans le Var. Entre l’artiste américain, figure de l’art conceptuel américain, et Alexandre Devals, directeur de la fondation, les échanges ont été réguliers. Pour l’un comme pour l’autre, la méthode de travail n’a pas été sans rappeler quelques épisodes marquants de l’éclosion de l’art conceptuel et de son exposition aux États-Unis, tel celui qui vit Jan Van der Marck, administrateur du Museum of Contemporary Art de Chicago, organiser en 1969 l’exposition « Art by Telephone » à partir uniquement des instructions qu’il donna aux artistes par téléphone.

La proposition artistique de Lawrence Weiner imaginée pour la Venet Foundation a dû toutefois s’adapter aux conditions d’accueil du public imposées par les règles sanitaires. Contrairement au projet initial, « elle s’est inscrite dans la galerie vitrée du parc pour devenir une étape du parcours », précise Alexandre Devals. La visite guidée de la collection de sculptures et d’œuvres de Bernar Venet dans le parc n’a quant a elle connu aucun changement, seule la jauge de trente personnes a été réduite à quinze et la fermeture de la fondation repoussée au 16 octobre.

Les ajustements de la visite de la Fondation Carmignac à Porquerolles, dans le Var, sont également à la marge, compte tenu des conditions de visite ordinairement établies depuis l’ouverture du lieu. Seule l’exposition programmée à l’intérieur de la fondation a été originellement modifiée dans son contenu. « La mer imaginaire » a été remplacée par les reportages réalisés dans le cadre du Prix Carmignac du photojournalisme. Le jardin de Louis Benech a pour sa part continué à s’épanouir pour atteindre sa maturité. Le maquis s’est densifié autour des sculptures et la largeur du chemin menant à la pinède et à l’immense peinture murale Sea of Desire d’Ed Ruscha s’est resserrée sous la poussée des plantes endémiques de l’île.

Au domaine de Kerguéhennec, dans le Morbihan, forêt, prairies, jardins et vergers développent d’autres essences, d’autres interventions d’artistes. La configuration des lieux, son étendue (175 hectares de nature en accès libre), n’impose ici aucune contrainte de visite. Il en est de même pour le parcours artistique de la ligne du partage des eaux qui traverse le Parc naturel régional des monts d’Ardèche, 120 km de parcours à pied, à VTT ou en voiture pour découvrir les interventions de Gilles Clément, Felice Varini, Gloria Friedmann, Olivier Leroi ou Kôichi Kurita, accessibles toute l’année, 24 heures sur 24.

Reste que réaliser les projets des artistes invités ou en résidence fut au domaine de Kerguéhennec un tour de force. Seule l’inauguration du pavillon de peinture de l’architecte et artiste coréen Lee Hyun-Jae a été au final reportée au printemps 2021. « Nous avions pris trop de retard dans sa réalisation », explique Olivier Delavallade, directeur du domaine qui compte aujourd’hui une trentaine de sculptures ou petites architectures avec, cette année, la création de la grille de la porte du potager et celle de son puits que signe Marc Didou et la micro-architecture d’Édouard Sautai, un ponton surplombant ruisseau et terres humides, aménagé dans le vallon sud.

Un impact économique variable

Personne ne minimise l’impact économique de la pandémie de coronavirus ; il en aura un quel que soit le statut, privé ou public, des domaines. C’est pourquoi rouvrir était vital. Au château du Rivau, les expositions, le catalogue, la roseraie, l’entretien du parc de sculptures et l’installation de nouvelles pièces, voire leur production, sont entièrement financés par ses propriétaires Éric et Patricia Laigneau qui espéraient cette année équilibrer leur budget compte tenu du nombre de visiteurs toujours plus nombreux. Le report de l’ouverture au 16 mai et l’incertitude quant au niveau du flux de visites remettent en cause cette perspective. « Nos visiteurs sont à près de 40 % des étrangers », relève Patricia Laigneau. Les visiteurs français les remplaceront-ils ? « Rien n’est moins sûr. »

La part de l’autofinancement du domaine de Chaumont-sur-Loire est tout aussi cruciale, bien qu’il soit un établissement régional. La billetterie, les deux restaurants et la location d’espace financent à eux trois 75 % du budget annuel. « Pour fonctionner, nous devons gagner 8 millions d’euros par an. Or, nous avons déjà perdu entre 1 et 1,5 million », estime Chantal Colleu-Dumond. En revanche, du côté de la Venet Foundation ou de la Fondation Carmignac, les inquiétudes sont moindres. « Le financement à 98 % de Bernar Venet garantit le fonctionnement et les projets de la fondation », souligne Alexandre Devals. Il n’en demeure pas moins que la suspension de la privatisation des lieux, qui permet de financer les travaux d’entretien de la propriété, impacte le modèle économique que tend à mettre en place son directeur pour assurer le fonctionnement à long terme de la fondation.

Propriété du Département du Morbihan, le domaine de Kerguéhennec, essentiellement financé par des subventions publiques, se prépare quant à lui à une baisse de son budget pour 2021, voire pour les deux ou trois années à venir. « On nous a d’ores et déjà informés qu’il faudra faire des efforts », précise Olivier Delavallade, qui travaille sur différents scénarios selon le niveau de la baisse des ressources budgétaires, les ressources du domaine à l’accès libre émanant surtout du département mais aussi de la région et du ministère de la Culture. « Si je suis en mesure, même avec une baisse de budget, de respecter l’an prochain tous nos engagements, que ce soit au niveau des expositions, de la production de pièces ou des publications, je sais que je ne pourrai pas accueillir autant de résidents, c’est-à-dire seulement trois à cinq contre six à huit habituellement. Quant à 2022-2023, c’est la grande inconnue… »

Des retombées économiques et sociales cruciales

Les hortillonnages, eux aussi portés essentiellement par des subventions publiques (80 % du financement de leur budget), se montrent pour leur part plus confiants. Avec l’arrivée de Xavier Bertrand à la présidence des Hauts-de-France, leur budget a été consolidé, la région constituant désormais le premier financeur du festival, suivi des départements du Pas-de-Calais et de la Somme puis de la ville d’Amiens et de l’État. Le président de la région a même demandé à Gilbert Fillinger, créateur et directeur du festival, de monter ailleurs sur le territoire d’autres projets associant art et jardin. La dimension sociale et pédagogique du festival d’Amiens n’est pas étrangère à cette décision, au-delà de la question écologique ou environnementale. L’événement est en effet un chantier d’insertion pour des jeunes ou moins jeunes sans emploi et une source d’approvisionnement en fruits et légumes pour les associations caritatives d’Amiens.De la même façon, mais à une échelle différente, la ligne de partage des eaux porte un modèle économique et social tout aussi important dans ses enjeux. « Le projet est né de la sollicitation de la région Auvergne-Rhône-Alpes dans le cadre de la réalisation de la restitution de la grotte Chauvet », rappelle Lorraine Chenot, présidente du Parc naturel régional des monts d’Ardèche : « Il s’agissait de mieux irriguer le territoire de l’Ardèche en flux touristiques suite à l’ouverture du site de Chauvet dans le sud du département et de son succès, de renforcer en particulier son attractivité et son économie. » Depuis la création en 2017 du parcours, les retombées bien que non chiffrées pour les hébergeurs, les restaurateurs ou les paysans qui vendent leurs produits sur les marchés, ou dans des boutiques, sont tangibles. Le retour à la normale, même sous conditions cet été, est donc une bouffée d’oxygène pour ces économies locales après un printemps calamiteux.

Le Palais idéaldu facteur Chevalse remet à rêver

En 2019, le Palais idéal du facteur Cheval a battu son record de fréquentation : 305 000 visiteurs contre 180 000 en 2018. L’adaptation au cinéma par Nils Tavernier de l’épopée de sa construction, couplée au programme d’expositions temporaires initié par son nouveau directeur Frédéric Legros, ont dynamisé les chiffres. Il est vrai que l’histoire et l’architecture organique de ce palais imaginé et construit par Ferdinand Cheval (1836-1924), facteur de profession à Hauterives (Drôme), ont de quoi fasciner.Les records de fréquentation enregistrés au début de l’année, lors de l’exposition Agnès Varda, laissaient présager un nouveau record en 2020, jusqu’à la fermeture du site le 15 mars dernier. Depuis sa réouverture le 20 mai, le flux de visiteurs n’a pas retrouvé la vigueur de l’an passé, contrainte quoi qu’il en soit par la jauge réduite du nombre de personnes pour la visite. Frédéric Legros sait déjà que les revenus de l’année 2020, assurés à 100 % par la billetterie, seront moindres. Propriété de la municipalité, le Palais idéal ne peut compter que sur cette ressource. « Les aides du ministère de la Culture et des autres collectivités locales se concentrent sur la restauration du palais », précise Frédéric Legros. Les bons résultats de 2019 et le report à l’année prochaine de l’exposition Claude Lévêque, qui devait avoir lieu cet été au château d’Hauterives, permettront toutefois de contrebalancer la baisse de revenus attendue pour cette année. Prolongée jusqu’au 6 septembre, l’exposition « Agnès Varda Correspondances » révèle en attendant les liens méconnus qui unissaient la cinéaste à ce palais sans équivalent.
 

Cyclop, Touraux figures et Falbala

Depuis le 27 juin, à Milly-la-Forêt, dans l’Essonne, Le Cyclop de Jean Tinguely a repris vie. Du haut de ces 22,50 mètres et de ses 350 tonnes d’acier, la tête monumentale fait entendre à nouveau les rouages des engrenages métalliques qui la coiffent. Le ruissellement de l’eau qui s’écoule de sa bouche tout au long d’une langue toboggan miroite au soleil. En raison des dispositions sanitaires, on ne peut cette année rentrer à l’intérieur, mais on peut contempler à loisir la figure insolite que Jean Tinguely décida de construire à plusieurs mains dans la forêt de Milly, même si, à compter du 27 septembre 2020, l’œuvre, fruit d’une aventure collective menée avec d’autres artistes, ne sera plus visible pendant plus d’un an et demi. La Face aux miroirs de Niki de Saint Phalle, partie centrale du visage du Cyclop, demande en effet une rénovation complète. En attendant, dans le bois dit des « pauvres », d’autres créations réalisées comme chaque année dans le cadre de résidences font écho au Cyclop et à l’évolution au cours de l’histoire de la vision du monstre. Les sculptures en toile de parachute d’Anne Ferrer lui donnent un visage onirique tandis que la jungle éphémère de Sébastien Gouju se joue des motifs floraux des papiers peints de maisons cossues.Sur l’île Saint-Germain, à Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine, la Tour aux figures de Jean Dubuffet ne passe pas inaperçue du haut de ses 24 mètres. Depuis l’automne dernier, la première commande passée par l’État à l’artiste a retrouvé ses couleurs après plusieurs mois de restauration. On ne peut toutefois pas encore rentrer à l’intérieur en raison des travaux inachevés de ses abords.Tout aussi curieuse et étonnante est la Closerie Falbala construite par l’inventeur du concept d’Art brut, cette fois à ses propres frais à Périgny-sur-Yerres, dans le Val-de-Marne. La sinueuse enceinte du cabinet logologique à la blancheur striée de tracés noirs est un paysage en soi à ciel ouvert, habité selon la lumière et les perceptions de drôles de personnages.

Christine Coste

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°735 du 1 juillet 2020, avec le titre suivant : Le bonheur est dans les parcs de sculptures

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