Paroles d’artiste

Gilles Barbier

« Je pense en termes de digestion »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 17 juillet 2007 - 761 mots

À la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, à Paris, Gilles Barbier (né en 1965 au Vanuatu, Nouvelles-Hébrides) présente de nouvelles œuvres picturales, dont une série d’impressionnantes gouaches où les motifs semblent se liquéfier sur le papier. S’y confrontent également deux installations sculpturales : Cockpit (2006), vaste radeau au contenu proliférant, et La Révolution à l’envers (2007), dans laquelle des personnages accrochés au plafond manifestent tête en bas.

'Anatomie transschizophrène'(1999) - Gilles Barbier© Galerie Vallois

Comme souvent dans votre œuvre, votre exposition à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois mêle sculptures et travaux graphiques. En quoi ces deux pratiques sont-elles complémentaires et quel équilibre ménagez-vous entre elles  ?
Je ne saurais dire si ces combinaisons sont en équilibre ou complémentaires. Je les imagine depuis un espace mental proche de la soupe ou, pour faire chic, du cocktail. C’est exactement ça…, un cocktail en forme de soupe.

Dans votre travail au quotidien, comment s’effectue le passage de l’une à l’autre ?
Les passages se font dans tous les sens, à toute allure, avec une hystérie plus ou moins contrôlée entre dessins, textes, entretiens, gags, scénarios, discussions, objets et sculptures, photographies, Internet et traitements informatiques, simulations, maquettes, installations, reprises, etc. Du reste, je travaille avec pour compagnon d’esprit la structure des pièces existantes, mais également celle des pièces que je n’ai pas faites, que je ferai peut-être ou bien jamais.

Parlez-nous du Cockpit…
Le Cockpit est une vieille idée à mettre en relation avec le projet de « Méga Maquette » que j’ai initié en 1998. Ce projet n’est ni une « Boîte en valise » ni un musée idéal, mais s‘apparente à la catégorie des véhicules, des vaisseaux. Il pourrait être décrit à la fois comme un cargo dans lequel serait stocké le fouillis de mon travail à réaménager sans cesse, et en tant que véhicule de pensée, l’outil de ce réaménagement permanent. La première Méga Maquette (1999) proposait un cockpit évoquant celui d’un vaisseau spatial. Celui de la Méga Maquette II a pris une forme de radeau. Il m’a semblé utile d’en présenter l’idée jusque dans les moindres détails. Même si cet instantané laisse supposer d’autres développements.

Ce radeau apparaît comme une structure hybride, qui évoque l’affolement du monde avec seulement les traces d’une présence humaine…
Le cockpit n’est pas le pilote, simplement l’ensemble des commandes qui permettent au dispositif de flotter, de déclencher certaines fonctions, certains états. Mais vous avez raison, le monde auquel il appartient est un monde de fantômes.

Pourquoi vouloir mettre en scène une révolution « à l’envers » ?
La révolution a toujours été un saut périlleux, mais cette figure acrobatique est devenue un cliché, tout au plus une posture glamour, un « entertainment » (divertissement). La révolution est aujourd’hui une idée qui tourne à vide, et, dans notre petit monde, la réception se fait toujours en douceur. La Révolution à l’envers présente ce moment où les slogans sont à terre, et où, de surcroît, on voit la culotte des filles !

Il y a beaucoup de bulles de bande dessinée dans vos travaux. La prise de parole est-elle une chose essentielle ?
Je perçois la prise de parole comme un fait absolument comique, à quelques exceptions près. Que celle-ci vienne du personnel politique, des stars ou des artistes… Le formatage, le découpage et la simplification systématiques du langage à l’intérieur des médias produisent des effets comiques irrésistibles auxquels d’ailleurs je n’échappe pas.

Vous présentez des gouaches sur papier figurant des motifs en train de fondre. D’où vient cette idée ?
Depuis longtemps, une région de mon travail se construit uniquement à partir d’images données qui proviennent du dictionnaire, de catalogues ou de l’immense réservoir qu’est Internet. Je reste fasciné par leur nombre, leur inconsistance, leur sublime vacuité, leur fluidité. De même que par l’idée d’un réel croulant sous la multitude de ses représentations.

Assistons-nous à une sorte de déliquescence du monde ?
Je ne crois ni à la fin, ni à la mort des choses. Je n’arrive à penser qu’en termes de digestion, de changements d’état : stable, instable, chaud, tiède, cristallin, liquide, propriétaire, locataire, amoureux, très amoureux… Si, par déliquescence, vous entendez un changement chimique d’état, comme la glace devant une source de chaleur, alors ce terme me convient. En revanche, je ne saurais dire si cette déliquescence concerne le monde, sa représentation, ou mon regard.

L’humour reste malgré tout une dimension dont vous ne vous départissez jamais…
C’est mon vice !

GILLES BARBIER,

jusqu’au 25 février, galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36, rue de Seine, 75006 Paris, tél. 01 46 34 61 07, www.galerie-vallois.com, tlj sauf dimanche et lundi 10h30-13h, 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°253 du 16 février 2007, avec le titre suivant : Gilles Barbier

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