Censure

Au Brésil, L’Origine du monde de Courbet fait toujours débat

Par David Robert (Correspondant à Rio de Janeiro) · lejournaldesarts.fr

Le 10 octobre 2012 - 457 mots

RIO DE JANEIRO / BRÉSIL

RIO DE JANEIRO (BRESIL) [10.10.12] – Début octobre, l’Académie Brésilienne des Lettres a connu une publicité inhabituelle. En cause, la censure imposée à une conférence montrant « L’Origine du monde » de Courbet et l’interruption de sa diffusion sur Internet.

En ce début de printemps à Rio, dans le cadre d’un cycle de conférences intitulé : « le futur n’est plus ce qu’il était », l’Académie Brésilienne des Lettres (ABL) invite philosophes et historiens à analyser modernismes et conservatismes dans la société. La semaine passée, l’historien Jorge Coli, spécialiste de Courbet, en aborde un angle particulier - le sexe.

Il convoque des images de Jeff Koons (sculpture de la fellation que lui prodigue son épouse d’alors, l’ex-actrice pornographique la Cicciolina), mais surtout L’Origine du monde. Il décrit la jeunesse de l’œuvre (le tableau est longtemps caché dans les salons privés de ses collectionneurs successifs), son passé plus récent (achetée par Lacan, qui en aurait fait selon la légende un objet de quasi-dévotion) jusqu’à son entrée au musée d’Orsay en 1995.

Aussitôt après son intervention, Jorge Coli apprend que la diffusion de la conférence sur le site Internet de l’ABL a été stoppée alors qu’il explorait le vocabulaire particulier du sexe féminin et sa perception dans l’inconscient collectif - comme Eve Ensler avant lui dans ses Monologues du vagin.

Courbet plombé par Koons

L’historien s’émeut sur son Facebook de la censure dont il est victime, et le buzz grandit tandis que l’académie assume sa décision, invoquant l’interdiction de diffuser tout « contenu inapproprié sur des sites ouverts au grand public ». Défendant Courbet davantage que Koons, Jorge Coli explique que « lorsqu’une image est contextualisée et analysée, elle perd son caractère pornographique d’elle-même ».

Dialogue de sourd symptomatique : féminisme vs archaïsme, la question de la présumée censure apparaît légitime au Brésil, où l’inégalité entre les sexes est un sujet de société. Dans son ensemble, la presse note que l’académie était dans son bon droit, mais qu’on pouvait attendre des immortels un sursaut de modernité.

Dimanche, O Globo se replace au centre du débat : le quotidien brésilien, pourtant peu coutumier d’avant-gardisme, affiche en une de son édition hebdomadaire le tableau de Courbet, accompagné d’un dossier intitulé « a perseguida  » (comprendre, au choix, « la poursuite » ou « la persécution » - du vagin). En choisissant de choquer, le journal veut montrer la persistance des tabous et donne raison à l’historien sur le fond. Sur la forme, c’est surtout un joli coup de pub. Au moins Courbet et Orsay auront-t-ils profité d’une couverture médiatique inattendue au Brésil (1).

Note

(1) A noter que le tableau de Courbet a déjà suscité quelques vocations et variations au Brésil, avec notamment l’œuvre du sculpteur Henrique Oliveira, « L’Origine du tiers-mode ».

Légende photo

Gustave Courbet - L'Origine du Monde (1866) - 46 Á— 55 cm - Musée d'Orsay - source Wikipedia

Couverture du journal brésilien O Globo © photo D.Robert

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