Urbanisme

Evacuation du squat d’artistes Tacheles : la fin d’une époque à Berlin

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · lejournaldesarts.fr

Le 5 septembre 2012 - 729 mots

BERLIN (ALLEMAGNE) [05.09.12] – La disparition du squat d’artistes historique Tacheles marque un profond changement du paysage artistique dans le quartier de Mitte au centre de Berlin.

Il en était question depuis des années, mais il semble que cette fois ce soit définitif : le principal squat d’artistes de Berlin, le Tacheles, a été évacué de manière pacifique hier matin, mardi 4 septembre 2012. Si l’association des artistes a refusé toute forme de violence, son porte-parole, l’artiste conceptuel Martin Reiter, a toutefois dénoncé un « vol d’art sous protection policière ».

Le Tacheles était un ancien grand magasin juif, qui avait été partiellement détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors que la ville de Berlin-Ouest avait pour politique de raser les ruines pour construire des immeubles utilitaires en béton, à Berlin-Est, les bâtiments qui tenaient encore debout n’étaient pas rénovés, et au début des années 1990, il était encore courant d’observer les impacts de balles de la Deuxième Guerre mondiale sur les façades.

Traversé par le mur de Berlin, le quartier de Mitte au centre de Berlin où est situé le Tacheles, était une zone frontière, un no-man’s land où personne ne souhaitait habiter. A la chute du mur de Berlin, le quartier a été investi par des artistes. Les squats, les bars « semi-légaux » étaient légion. Des artistes est-allemands ont squatté le Tacheles, dont la façade arrière était un trou béant. Ils furent bientôt rejoints par des artistes provenant des quatre coins du monde. Peu à peu, les galeries d’art s’étaient également installées dans ce quartier.

Le squat a connu son heure de gloire au début des années 1990. Il était le lieu d’intenses expérimentations artistiques, à l’instar de ce collectif d’artistes porteur du virus du SIDA, qui s’étaient recouverts de leur propre sang infecté en guise de peinture, puis roulés sur des toiles, à la manière des anthropométries d’Yves Klein, en signant leur démarche artistique d’un ironique « Infectiously yours ». Mais très rapidement, le Tacheles était devenu un centre d’attraction touristique aux dépens de la qualité de l’art. La transformation s’était encore accélérée lorsque la ville de Berlin était devenue une destination à la mode pour le tourisme de masse, après la coupe du monde football en 2006.

Si le Tacheles n’offrait plus de grand intérêt artistique, son démantèlement marque toutefois la fin d’une époque à Berlin. L’embourgeoisement du quartier de Mitte, qui de frontière entre les deux Allemagnes est devenu le centre ville, continue son inexorable progression. Les autres squats d’artistes ont disparu depuis longtemps, et magasins et hôtels de luxe fleurissent un peu partout.

Un nouveau modèle économique émerge, à l’exemple du pôle culturel qui a ouvert en février dernier, dans l’ancienne école des filles juives située à deux pas du Tacheles. Le marchand d’art Michael Fuchs a loué le bâtiment pour vingt ans et l’a rénové sur ses fonds propres pour la « modique » somme de cinq millions d’euros. Le centre abrite désormais trois galeries dont une annexe de la galerie Eigen Art, ainsi qu’un restaurant de luxe dont les propriétaires, également collectionneurs, font régulièrement monter les enchères dans les ventes d’art.

Mais à côté de cette rare « success story », les galeries plus modestes sont étranglées par la montée inexorable des loyers et doivent déménager dans des quartiers plus excentrés et meilleur marché. La galerie KOW propose d’ailleurs à partir de vendredi une réflexion sur l’uniformisation architecturale et sociale du quartier de Mitte. L’architecte Arno Brandlhuber, qui a conçu le bâtiment de verre qui héberge la galerie, a décidé de noyer le sous-sol du bâtiment sous forme d’autocritique, voire d’auto-flagellation, à sa participation au processus d’urbanisme de gentrification.

En ce qui concerne le Tacheles, tout espoir n’est pas perdu, la ville pourrait imposer une utilisation culturelle du terrain de 25 000 m2, a déclaré lundi dernier le Secrétaire d’Etat André Schmitz à la commission parlementaire de la culture de la Chambre des Députés de Berlin. Vérification faite, ce sera au district de Mitte d’imposer une utilisation partielle du bâtiment à des fins culturelles, par exemple sous la forme d’ateliers pour artistes. Le propriétaire actuel du Tacheles, la banque HSH Nordbank qui avait dû renoncer à un projet immobilier de grande ampleur en raison de difficultés financières, souhaite vendre le bâtiment débarrassé de ses squatters. Ce sera donc le nouveau propriétaire qui décidera de la destruction ou non du Tacheles.

Légende photo

Le Tacheles à Berlin - © Photo De-okin - 2008 - Licence CC BY-SA 3.0

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