Alfred Pacquement - Directeur du Mnam

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 24 septembre 2004 - 1291 mots

Le directeur du Musée national d’art moderne Alfred Pacquement s’est tracé une ligne droite dans la haute administration culturelle. Le parcours d’un politique, adepte du juste milieu.

Si l’on s’arrête à son discours mesuré et à son air gourmé, on ne voit en Alfred Pacquement qu’un dévot de la fonction publique. On se dit aussi que le directeur du Musée national d’art moderne (Mnam), à Paris, a abordé le jeu de l’oie de la culture avec un sens de la carrière au cordeau. Pourtant, derrière l’image amidonnée du commis, on devine plus de droiture que de raideur. Réservé comme l’est Nicholas Serota, directeur de la Tate Gallery (Londres), Alfred Pacquement n’est ni putschiste, ni bretteur, préférant aplanir les obstacles par la concertation. « Il possède un vrai talent de négociation et de conciliation. Il est conscient de certains dysfonctionnements. Mais il peut faire bouger les choses tant que ça n’ébranle pas le système. En politique, on dirait que c’est un progressiste », observe Catherine David, son ancienne collaboratrice à la Galerie nationale du Jeu de paume et actuelle directrice du Witte de With, à Rotterdam.

Aux commandes d’un TGV
Alfred Pacquement a baigné dans une grande bourgeoisie protestante amatrice d’art, entre un père collectionneur et un oncle président de la Société des amis du Musée national d’art moderne. « Il n’a pas eu à déplacer des montagnes, tout est venu à lui », grimacent certains observateurs. Après un essai non marqué à Sciences-Po, il bifurque vers l’histoire de l’art à Nanterre. L’époque est aux rêves soixante-huitards. « Je n’ai jamais été un militant, tout en ayant une conscience politique. Mais je n’ai pas une histoire d’ancien combattant de la Ligue communiste révolutionnaire », admet-il avec l’humour distancié d’un Monsieur Spock. Licencié en histoire de l’art, Alfred Pacquement figure dans la première vague de recrutement du Centre national d’art contemporain. Par deux fois, sa traversée professionnelle lui permet de s’associer à la naissance d’une institution, en 1977 avec le Centre Pompidou, en 1990 avec le Jeu de paume. Dès 1972, il est l’un des commissaires de l’exposition controversée « 72/72 ». « C’est le genre de mise à l’épreuve qui marque. L’exposition était prise en tenailles entre l’hostilité politique, à droite comme à gauche, et les artistes qui refusaient d’avoir affaire avec une exposition à caractère officiel, rappelle-t-il. Rétrospectivement, ces prises de position font sourire. » Sans doute apprend-il déjà à composer avec les contraintes du système. L’abstraction minimale américaine et le groupe Supports-Surfaces sont alors ses grandes références. La séquence du Jeu de paume, dont il prend les rênes treize ans plus tard, atteste d’une curiosité plus large que le périmètre de ses affinités. Si l’exposition d’Hélio Oiticica porte la griffe audacieuse de Catherine David, on lui doit Marcel Broodthaers et Ellsworth Kelly. « C’était un directeur intelligent qui ne craignait pas de s’entourer de personnalités fortes. Il fait confiance et se montre solidaire des choix », remarque Catherine David. En revanche, la parenthèse, brutalement refermée, de la délégation aux Arts plastiques (DAP) n’a pas laissé d’empreinte indélébile. « La DAP demande une science administrative. J’avais été mis aux commandes d’un TGV ; on m’avait plus ou moins appris les bases pour que le train ne déraille pas, mais pas pour qu’il acquière sa pleine vitesse », ironise-t-il. Faisant les frais d’un règlement de comptes politique, il atterrit à l’École nationale supérieure des beaux-arts (Énsb-a). Ne partageant pas l’esprit frondeur de son prédécesseur, le très musclé Yves Michaud, tout laisse à penser qu’il a vécu l’Énsb-a comme un pensum. « Ce n’était pas un purgatoire, mais plutôt un moment de détente. Je crois que, dans sa tête, il avait l’idée qu’il n’était là que pour un moment », rappelle un ancien collaborateur. Alfred Pacquement en convient lui-même : « Vous dire que, comme conservateur du Musée national d’art moderne, il ne m’est pas passé par la tête d’en devenir le directeur, ce serait très hypocrite. Mais ni la DAP ni l’Énsb-a n’étaient dans mon projet personnel. » Il invitera des artistes comme Jean-Marc Bustamante ou Giuseppe Penone à rejoindre les rangs de l’enseignement tout en jetant les bases d’un post-diplôme.
Le vrai bâton de maréchal n’arrive qu’en 2000, lorsqu’il prend la direction du Musée national d’art moderne. Dans sa via regia, il ne manquait plus qu’un pavillon à la Biennale de Venise, dont il devient co-commissaire à l’invitation de Jean-Marc Bustamante en 2003. « Je l’ai choisi pour Venise car c’est quelqu’un de parole, explique l’artiste. Comme il connaît l’appareil, il sait arrêter une situation qui pourrait devenir confuse. Il a aussi accepté facilement un co-commissaire. » L’administrateur est réputé pour ses qualités d’artificier dans les réunions. « Il a une manière de traiter des choses rationnellement, sans hystérie. Les choses se font en temps voulu », précise Jean-Pierre Criqui, directeur des Cahiers du Musée national d’art moderne et co-commissaire du dernier pavillon français à Venise. « Son visage de joueur de poker, impénétrable, est l’un de ses atouts dans les négociations », observe de son côté Didier Semin, enseignant à l’Énsb-a. Ses chevau-légers louent son doigté auprès des conservateurs comme ses relations détendues et complices avec la Société des amis. Et il est aussi l’un des rares institutionnels à fréquenter régulièrement les galeries.

Organe de tempérance
Même si les analyses en temps réel, surtout dans le cas d’un grand pétrolier comme le Centre Pompidou, sont hasardeuses, il ressort principalement de son mandat un intérêt pour la collection. Le rythme des raccrochages réguliers a par ailleurs offert plus de lisibilité aux artistes français dont Alfred Pacquement a aussi activé l’achat d’œuvres. Malgré la création à l’arraché du petit Espace 315, on sent en lui un esprit plus rétrospectif que prospectif. On n’arrive d’ailleurs pas à pointer de fougue ou d’activisme, encore moins d’aspérités. Il rassure quand on aimerait qu’il déstabilise, surtout dans le contexte ankylosé du Centre Pompidou. « Beaubourg est un outil lourd, où il peut y avoir une déperdition d’énergie, mais il est magnifique, assure-t-il. Sa capacité de production est remarquable. Si donner un coup de pied dans la fourmilière, c’est remettre en cause une institution, ce n’est pas à l’ordre du jour. Si c’est revoir les règles administratives, ça paraît difficile. Ce qu’on peut faire, c’est faciliter les choses en interne. » Une méthode placebo qui en fera peut-être un jour le directeur des Musées de France ! « Alfred Pacquement est “incritiquable”, et c’est peut-être ce qui est ennuyeux », ironise un observateur. Des critiques, il en essuie pourtant avec le programme des expositions dont les choix irritent ou laissent perplexes, même si les projets de ses prédécesseurs ne sont pas totalement éclusés. Là où on s’attendait à une grande exposition sur l’abstraction américaine ou une rétrospective ambitieuse sur la peinture, ses deux dadas, Alfred Pacquement livre Aurelie Nemours et Jean Hélion, des choix plus proches de ceux du directeur du Musée d’Orsay, Serge Lemoine. « Personne ne se retrouvera totalement dans la programmation du Centre. Qu’on tire dessus, je trouve cela excessif et injuste, mais je revendique de faire Jean Hélion en même temps que Bernd et Hilla Becher », affirme-t-il. Son mandat arrivant à terme en août 2005, l’interrogation court sur l’après-Beaubourg. « Je ne suis pas contre le fait de rester », murmure l’intéressé. Une suite logique, puisqu’Alfred Pacquement est la parfaite incarnation de ce qu’est devenu Beaubourg, un organe de tempérance.

Alfred Pacquement en dates

1948 Naissance à Paris. 1971-1972 Chargé de mission au Centre national d’art contemporain, à Paris. 1974-1987 Conservateur au Musée national d’art moderne, à Paris. 1990 Directeur de la Galerie nationale du Jeu de paume, à Paris. 1993 Délégué aux arts plastiques. 1996 Directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts (Énsb-a) de Paris. 2000 Directeur du Musée national d’art moderne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°199 du 24 septembre 2004, avec le titre suivant : Alfred Pacquement - Directeur du Mnam

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