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Mooc, une offre en art qui prend forme

Par Mathieu Oui · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2018 - 1140 mots

PARIS

À destination du grand public ou des étudiants et professionnels, les cours en ligne permettent aux institutions artistiques d’affirmer leur expertise, plus rarement de générer des ressources.

Corey D’Augustine présente les matériaux et techniques de Willem de Kooning dans l'un des Mooc du MoMA.
Corey D’Augustine présente les matériaux et techniques de Willem de Kooning dans l'un des Mooc du MoMA.
© 2017 The Museum of Modern Art

Le 5 novembre prochain, des milliers d’internautes feront leur rentrée numérique chez eux, assis face à leur ordinateur. Intitulé du cours proposé par la Fondation Orange en collaboration avec la Réunion des musées nationaux (RMN)-Grand Palais : « Une brève histoire de la photographie ». Durant six séances de deux heures, des vidéos agrémentées de ressources et questionnaires délivrent un large spectre de connaissances, depuis les débuts du médium jusqu’à sa généralisation actuelle.

Du grand public aux formations ciblées

Lancés en Amérique du Nord, les Mooc,« massive open online courses », ou « cours en ligne ouverts à tous », se développent depuis 2012 en France. Dans le monde de l’art et de la création, on peut distinguer les enseignements destinés au grand public des formations plus spécialisées ou professionnelles. Dans la première catégorie se trouvent les Mooc réalisés par la Fondation Orange en partenariat avec les grandes institutions (la RMN-Grand Palais, le Centre Pompidou, le Musée du Louvre, le Musée de l’Homme, le château de Versailles…). Associés à de grandes expositions (« Paul Durand-Ruel, le pari de l’impressionnisme », « Picasso.mania ») ou proposés sur des thématiques transversales, ils attirent un public féminin (à 76 %), âgé (70 % de 55 ans et plus) et éduqué (82 % de diplômés au moins à bac +2).

Quelques établissements d’enseignement supérieur proposent des cours plutôt à destination d’un public étudiant ou professionnel. C’est le cas du Mooc « Digital Media » de l’École professionnelle supérieure d’arts graphiques (Epsaa) de la Ville de Paris ou encore des cours proposés par l’école des Gobelins sur la plateforme Fun-Mooc. Lancé en 2015, le premier porte sur les cultures et pratiques numériques, sous la forme d’entretiens vidéo menés avec différents experts de ce domaine. « C’est un regard très ouvert sur le monde de la création digitale », résume Dominique Moulon, responsable du pôle Digital Media de l’Epsaa et coordinateur du cours en ligne. De l’artiste Orlan au mathématicien Cédric Villani, du philosophe Éric Sadin qui s’exprime à propos des algorithmes au créateur de jeu vidéo David Cage, en passant par des designers, psychanalystes ou architectes, les propos de près de 40 experts sont ainsi accessibles gratuitement sur le site.

Innover et valoriser son expertise

Rattachée à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France, l’école des Gobelins s’est de son côté investie dans plusieurs projets autour de ses domaines d’expertise : l’image et la création visuelle. L’école s’est engagée en 2015 avec un premier cours : « Réaliser des vidéos pro avec son téléphone portable », diffusé sur la plateforme Fun-Mooc. Avec ses 30 000 étudiants inscrits au total sur les trois sessions ouvertes depuis le lancement, la formule a rencontré son public. Une quatrième session débutera le 3 novembre. En 2017, l’école a proposé « Fabriquer des objets créatifs connectés (Art-duino) » et, cet automne, sera diffusé un nouveau contenu en animation 3D : « À la recherche du rebond parfait ».

Sur Fun-Mooc, qui réunit les cours de plus d’une centaine d’établissements pour la plupart français, l’offre en matière d’art, de création et de design se révèle restreinte, avec seize cours recensés dans ce domaine, tels dernièrement, ceux portant sur les chansons des troubadours (université Bordeaux-Montaigne), les arts et techniques du verre (université de Lorraine) ou l’œuvre d’Étienne-Jules Marey, l’inventeur de la chronophotographie (université de Bourgogne). En comparaison, les cours en sciences ou dans l’éducation se comptent en plusieurs dizaines.

Élargir son public

Pour les institutions, la gratuité d’accès est un bon levier pour élargir leur public au-delà des habitués. Le nouveau cours en animation 3D des Gobelins cible par exemple « des jeunes qui voudraient rentrer chez nous mais qui ne se l’autorisent pas car ils jugent la formation trop technique », indique Maxime Jore, directeur de l’innovation et de la recherche à l’école. « L’objectif de la fondation était double, explique de son côté Françoise Fernandes, responsable du mécénat culturel à la Fondation Orange. Il s’agissait d’apporter des contenus pour préparer ou prolonger la visite d’une exposition, mais également de toucher un public éloigné des institutions culturelles. » Ce second volet, celui de la démocratisation, reste très difficile à réaliser, reconnaît la responsable. « Les personnes éloignées des musées ne se sentent pas de faire la démarche de façon isolée. Il faut trouver un moyen de les accompagner par un système de médiation avec des associations spécialisées ou des fablab [ateliers collaboratifs] solidaires. » La Fondation Orange envisage aussi de retravailler les formats des prochains cours avec des modules plus courts. Dans cette optique de démocratisation des savoirs, six cours sont accessibles en permanence. Et si Fun-Mooc a fermé l’accès à ses anciens contenus, les archives du Mooc « Digital Media » sont toujours consultables.

Des coûts élevés

Comment expliquer ce faible nombre d’établissements positionnés sur le créneau artistique et la quasi-absence des écoles spécialisées ? « Cela nécessite une logistique avec un studio de tournage, des caméras, mais aussi un savoir-faire et un réseau relationnel dont tous les établissements ne disposent pas », estime Dominique Moulon. Pour le responsable du pôle Digital Media de l’Epsaa, si organiser une ou deux sessions ponctuelles est simple, s’engager sur la durée nécessite un financement important. La Fondation Orange, par exemple, annonce un montant de plus de 100 000 euros pour chaque cours en ligne. Et dans le cas de l’Epsaa, chaque tournage requiert trois caméras, deux micros-HF, un cadreur et un réalisateur, cela sans compter l’équipe éditoriale.

Plus fondamentalement, si cet investissement peut être valorisant pour une institution sur le plan de l’image et de l’expertise (lire l’encadré), la gratuité d’accès rend problématique la question du modèle économique. « Quand l’école s’est positionnée en 2015, c’était au départ par souci d’innovation et afin d’acquérir un savoir-faire en matière de “digital learning” pour un grand nombre d’apprenants », rappelle Maxime Jore. C’est dans un second temps seulement que les retombées économiques de cet investissement pour l’école (42 000 €) ont été perçues. Elles se sont concrétisées notamment par une hausse de 20 % du chiffre d’affaires des formations vidéo et un doublement des modules « Tourner avec un smartphone ». Et plusieurs entreprises ont sollicité les Gobelins pour que le contenu du Mooc soit à nouveau délivré à quelques salariés, mais sous forme de sessions dédiées et payées. « Des personnes ayant suivi la formation gratuite ont relayé l’information dans leur entreprise en interne. Celles-ci nous ont ensuite sollicités pour former leurs équipes en communication. »

L’implication de l’école a eu également des effets bénéfiques au sein même de l’équipe pédagogique. « En se formant à l’enseignement numérique, les enseignants ont découvert une façon de travailler nouvelle et très gratifiante, souligne le directeur de la recherche et de l’innovation. Lors des sessions collectives, ces derniers se retrouvent face à une communauté de gens passionnés, des inscrits tout comme eux, qui leur posent des questions techniques et pertinentes. » Une évolution de la pédagogie qui bénéficie à tous.

Quelques cours :
www.fun-mooc.fr ; http://mooc.gobelins.fr; http://moocdigitalmedia.paris ; culture.solerni.com

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°507 du 21 septembre 2018, avec le titre suivant : MOOC, une offre en art qui prend forme

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