École d'art

L’École du Louvre fait le pari de l’hybridation

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 20 août 2019 - 975 mots

PARIS

L’école qui forme au métier de conservateur s’est associée avec l’Essec comme avec Sciences Po pour proposer des doubles masters. Ces diplômes enrichissent les acquis et redéfinissent aussi les approches.

Palais du Louvre, aile de Flore où est installée l’Ecole du Louvre. © Photo EDL/M. LEDUR.
Palais du Louvre, aile de Flore où est installée l’Ecole du Louvre.
© Photo EDL/M. LEDUR.

Paris. Le mécanisme d’hybridation joue un rôle important dans l’évolution des espèces. Dans le règne végétal, le colza, le blé tendre ou la fraise, hybrides interspécifiques apparus spontanément, voisinent avec de nombreux autres hybrides créés par l’homme depuis le XVIIIe siècle. L’hybride manifeste souvent une vigueur exceptionnelle. Aujourd’hui, à son tour, l’École du Louvre expérimente l’art fertile des croisements...

Fondée en 1882, forte de ses 1 600 élèves et 16 000 auditeurs libres (dont 9 000 à Paris), l’École du Louvre s’impose par ses enseignements pointus en matière d’histoire de l’art, d’archéologie, d’épigraphie, d’histoire des civilisations, d’anthropologie et de muséologie. Offrant 31 spécialités à ses étudiants de premier cycle, associant cours théoriques, travaux dirigés devant les œuvres et stages, cette école de l’érudition représente la voie royale pour accéder aux fonctions de conservateur de musée. Soucieuse de professionnalisation, l’École du Louvre propose, outre six programmes qui conférent le grade de master (histoire de l’art appliquée aux collections, muséologie, marché de l’art, documentation et humanités numériques…), des doubles masters créés avec l’Essec (École supérieure des sciences économiques et commerciales) comme avec Sciences Po. Laurence Bertrand Dorléac, professeure des universités, historienne de l’art, rattachée au Centre d’histoire de Sciences Po, se souvient : « Dès 2009, j’ai lancé cette idée auprès des directeurs des deux écoles [respectivement Sciences Po et Louvre], Frédéric Mion et Philippe Durey. Tous deux ont été enthousiastes à l’idée de mêler des mondes complémentaires. L’histoire de l’art est une science humaine et sociale qui s’enrichit considérablement des recherches en histoire, philosophie, littérature, droit ou économie. Aujourd’hui, le double diplôme permet aux étudiants de saisir les phénomènes culturels sur la longue durée, de s’intéresser au temps présent et de ne pas rester sur l’Aventin. »

Inventer demain !

Mis en place en 2011 avec l’Essec et en 2014 avec Sciences Po, ces doubles parcours exigeants concernent un petit nombre d’élèves de l’École du Louvre (dix par an). Avec l’Essec, grande école de management qui affiche de nombreux doubles diplômes, comme avec l’École normale supérieure, Supelec (École supérieure d’électricité) ou l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, il est proposé une intégration des deux formations sur quatre ans, fondée sur des parcours individualisés ainsi que sur le projet professionnel. « L’idée est bien d’ajouter, de croiser nos deux diplômes, pas de les réduire », indique Marie-Noëlle Koebel, directrice des études de l’Essec. Avec Sciences Po, chaque parcours se compose sur mesure, sur trois ans, autour de l’économie, du droit de la culture, des politiques publiques, de la gestion de projets… L’objectif ? Pour l’École du Louvre comme pour ses écoles partenaires, favoriser l’émergence de profils réactifs, agiles, inventifs, fortement ouverts à l’international. « Ces doubles profils intéressent beaucoup les recruteurs dans le monde de l’art, les institutions culturelles publiques ou privées, les collectivités locales…, à la fois pour les connaissances culturelles, leurs capacités analytiques, mais aussi pour leur faculté de synthèse rapide et leurs qualités rédactionnelles propres aux étudiants de Sciences Po », souligne Thomas Scaramuzza, responsable du double diplôme à Sciences Po. « Pour leur master à Sciences Po, les étudiants ont le choix entre deux voies, celle des politiques publiques ou celle de la recherche au sein du département Histoire de l’école doctorale. Tous ont un but : être capables d’avoir une vision globale pour inventer demain ! »

Face à un écosystème culturel en pleine évolution, à de nouvelles structures mi-publiques mi-privées, à des enjeux qui se complexifient, les doubles diplômés de l’École du Louvre peuvent devenir de précieux acteurs de la transformation. Marie Ullah, 27 ans, recrutée directement en CDI après son double diplôme Essec-École du Louvre par BearingPoint, grand cabinet de conseil en management ou technologie, effectue ainsi des missions dans les domaines des médias, de la culture ou de l’édition, pour Média-Participations (Fleurus, Éditions de La Martinière…) ou la Réunion des musées nationaux. Le but est la transformation des processus. « À l’École du Louvre, on acquiert une culture visuelle incroyable ! J’ai développé mon regard, appris à explorer toutes les facettes d’un objet : historique, sociale, économique, matérielle… Or, en entreprise, on travaille par angles. Je remobilise donc mon acquis d’histoire de l’art dans mon job ! »

Un « œil critique » sur les pratiques

Tenté un moment par le métier de commissaire-priseur, Romain Formond, 25 ans, fait le choix du double diplôme École du Louvre-Sciences Po pour s’aguerrir au monde de l’entrepreneuriat, du numérique, à la gestion de projets. « À Sciences Po, on nous pousse ! Allez-y, trompez-vous, vous en sortirez grandis ! Cela m’a fait beaucoup de bien. » Que ce soit autour des arts primitifs, du transhumanisme ou des nouveaux défis de l’audiovisuel, les réflexions conduites dans le cadre de son double diplôme ont élargi sa curiosité. « Dans le futur, j’aimerais travailler sur les modes d’organisation des musées pour promouvoir des systèmes non plus en cascade mais fluides, horizontaux. »

Actuellement data analyst chez Disney pour effectuer en alternance un nouveau master consacré au digital à l’université d’Assas, Romain Formond s’intéresse à l’intelligence artificielle et apprend à faire du code. Mais l’action de transformation s’applique aussi à la recherche. « À l’École du Louvre, on est très focalisé sur les objets. À Sciences Po, au sein du département Histoire, on acquiert une grande diversité de méthodes pour son travail de recherche », relève Pierre-Jean Desemerie, 26 ans, double diplômé École du Louvre-Sciences Po, historien des modes, doctorant au Bard Graduate Center à New York. « Grâce à mon double parcours, j’ai pu développer un œil critique sur ma pratique de recherche en histoire de l’art, et inversement, en histoire. Je recherche l’équilibre entre les deux approches. » Ayant acquis de nouveaux réflexes, il rebondit sans cesse pour interroger ailleurs, avec persévérance. Comme le dit Laurence Bertrand Dorléac, « chercher, penser, écrire, c’est aussi agir ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : L’École du Louvre fait le pari de l’hybridation

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