École d'art

Écoles d’art, les frais de scolarité des étudiants étrangers en débat

Par Mathieu Oui · Le Journal des Arts

Le 5 mars 2019 - 1724 mots

FRANCE

Les écoles du réseau culture doivent-elles différencier les frais de scolarité des étrangers ? Entre préservation d’un modèle social et nécessité de rester attractives, les positions sont partagées.

Epreuve du concours de l'Ecole supérieure d'art et de deisgn de Saint-Etienne. © Sandrine Binoux.
Epreuve du concours de l'Ecole supérieure d'art et de deisgn de Saint-Etienne
© Sandrine Binoux

En novembre 2018, le gouvernement présentait « Choose France », sa nouvelle stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux. Parmi les mesures annoncées, (simplification des visas, hausse des bourses, label pour la qualité d’accueil…), figurait la différenciation des frais d’inscriptions pour les étudiants non ressortissants de l’Espace économique européen (EEE) et de la Suisse. Les frais de scolarité annuels passeront donc à la rentrée 2019 de 170 euros pour une licence à 2 770 euros, et de 243 euros en master et 380 euros en doctorat à 3 770 euros. Le gouvernement justifie sa mesure par une recherche d’équité : les étudiants internationaux inscrits en licence paient moins de 2 % du coût réel de la formation et n’étant pas redevables de l’impôt en France, ils ne contribuent pas au financement de l’enseignement supérieur. Objectif affiché malgré tout à travers cette stratégie : atteindre les 500 000 étudiants internationaux en 2027, contre 324 000 en 2016.

Même si ces tarifs sont bien loin de ceux pratiqués à l’étranger, les réactions ne se sont pas fait attendre (plus de 15 000 € par an). Début décembre 2018, l’ANdÉA (Association nationale des écoles supérieures d’art) publie une tribune, We choose Africa…and Middle East, Asia, South-America, etc. (in Le Quotidien de l’Art) dans laquelle elle dénonce cette mesure, qu’elle juge contradictoire avec les récentes annonces gouvernementales en faveur de la restitution du patrimoine culturel africain. Les signataires mettent en cause une stratégie jugée « discriminatoire » et qui « menace d’assécher considérablement les liens avec l’Afrique et sa jeunesse ». Du côté des universités, plusieurs d’entre elles (notamment à Clermont, Aix-Marseille, Rennes, Grenoble, Lyon 2) ont également déclaré qu’elles ne mettraient pas en place cette disposition.

Les écoles rattachées au ministère de la Culture, ne sont pour l’heure pas concernées par cette différenciation des frais. Sollicités par nos soins, les services du ministère n’ont pas souhaité répondre. Les représentants des établissements reconnaissent avoir été pris de court par l’annonce gouvernementale. « Il est dommageable que nos établissements soient écartés de ce débat », regrette François Brouat, directeur de l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa) de Paris-Belleville et président de la conférence des directeurs des Ensa. Cette discrétion du ministère est d’autant plus surprenante que, ces dernières années, ces établissements se sont beaucoup rapprochés de l’université, notamment dans le cadre de la recherche. Quant aux écoles d’art, sans surprise, la majorité d’entre elles sont opposées à la proposition selon Bernhard Rüdiger, enseignant aux Beaux-Arts de Lyon et administrateur à l’ANdÉA. « Il ne faut pas fermer la porte à cette réflexion, mais le gouvernement doit entendre les inquiétudes quant à l’accueil des pays émergents et sa responsabilité mondiale », estime de son côté Yann Fabès, directeur de l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) à Paris.

Une différenciation déjà pratiquée

En pratique, et même si elle reste marginale, cette différenciation des frais de scolarité existe déjà. Selon une étude de l’ANdÉA de 2017, 14 % des établissements du réseau pratiquent des frais spécifiques pour les étudiants hors Union européenne. Car si le montant des droits de scolarité dans les écoles nationales supérieures d’art (Beaux-Arts de Paris, Cergy, Villa Arson, École des arts décos…) dépend directement du ministère, dans le cas des écoles territoriales d’art, transformées en établissement public de coopération culturelle (EPCC), c’est le conseil d’administration qui le fixe. À l’École des beaux-arts de Nantes Saint-Nazaire, les membres du conseil d’administration ont ainsi décidé de relever les frais de scolarité pour les étudiants étrangers non européens. Celui-ci était fixé à 2 300 euros l’année (contre 900 euros en master pour les étudiants français et européens). « Fin 2018, à la suite de manifestations d’étudiants opposés à cette distinction et afin de calmer le jeu, le conseil d’administration a choisi de revenir sur cette disposition. Les tarifs de scolarité des étrangers sont désormais les mêmes que ceux pratiqués pour les étudiants français et européens », explique Pierre-Jean Galdin, le directeur de l’école. En la matière, l’établissement nantais se démarque malgré tout en ayant choisi de moduler les frais de scolarité en fonction du quotient familial. Selon cette grille calculée à partir de la déclaration fiscale de leur foyer de rattachement, les étudiants peuvent payer entre 75 et 600 euros l’année de licence et jusqu’à 900 euros en master. Pour les étudiants européens et étrangers, le système du quotient s’étant avéré trop compliqué à mettre en place selon la direction, il a été décidé de leur appliquer le taux maximum (600 euros en licence et 900 euros en master). Autre exemple de tarifs spécifiques : celui des formations préparatoires consacrées au public international. À l’École des beaux-arts de Nantes Saint-Nazaire, l’année internationale destinée à la préparation des concours d’entrée aux écoles d’art s’élève à 5 400 euros. À Saint-Étienne, il faut compter 5 090 euros l’année pour suivre La Coursive, la classe de niveau pour les étudiants non francophones, proposée par l’École supérieure d’art et de design (Esadse) et le Centre international de langue et civilisation (Cilec) de l’Université Jean-Monnet.

Un marché mondial

Face à la mondialisation du marché de l’enseignement supérieur et artistique, et dans un contexte de concurrence croissante, la question de l’attractivité internationale du système français est en jeu. Dans certaines régions du globe, la question du prix des études constituerait une mesure de leur valeur. Chez les étudiants asiatiques notamment, la quasi-gratuité des études en France serait ressentie comme un signe de mauvaise qualité. Problème : si les étudiants internationaux qui visent la France doivent payer des frais plus élevés, ne vont-ils pas s’orienter vers des diplômes jugés davatange « bankable » sur le marché international des formations artistiques ?

Surtout, l’existence de frais de scolarité s’accompagne en toute logique d’une attente des étudiants, désormais usagers, voire consommateurs de services. Sur ce plan, la France pèche par la cherté du logement dans les grandes villes ou l’absence de programmes d’accueil standardisé. « Passer à une culture payante suppose un fort changement de paradigme dans nos établissements », reconnaît Yann Fabès, le directeur de l’ENSCI. « Et en la matière, certains sont plus en avance que d’autres », poursuit-il. Certes, les écoles ont accès à des programmes européens (du type Erasmus) ou internationaux et aux soutiens des collectivités territoriales pour financer la mobilité des étudiants. Mais chaque établissement ne consacre en moyenne que 1,5 % de son budget de fonctionnement à l’international (enquête 2017 de l’ANdÉA). Selon Pierre-Jean Galdin, l’année de préparation internationale de l’École des beaux-arts de Nantes Saint-Nazaire facturée aux familles à 5 200 euros reviendrait en réalité pour l’école à 9 000 euros par étudiant et par an. « Les 16 à 18 heures hebdomadaires de français langue étrangère [FLE] que nous sous-traitons à l’université représentent par exemple 2 000 euros par étudiant et par an. » Et pour accompagner au quotidien les quelque 130 étudiants étrangers notamment sur les questions administratives (logement, compte bancaire, sécurité sociale…), deux personnes sont employées à temps plein par l’établissement.

Mais l’aspect financier est loin d’être l’unique frein à l’internationalisation des établissements artistiques de l’Hexagone. Se pose aussi la question de la barrière linguistique (et du manque d’offre de formations en FLE ou en anglais), ou encore celui de la sélectivité à l’entrée des plus grandes écoles, qui nécessite bien souvent de passer par une classe préparatoire, généralement payante.

Autre problème soulevé par Sylvain Lizon, nouveau directeur de la Villa Arson : le niveau de rémunération des enseignants par les établissements français, très peu compétitif par rapport aux écoles d’Europe du nord notamment. « Pour attirer des personnalités étrangères et développer nos réseaux internationaux, il nous faut mettre en place des systèmes plus souples que le recrutement sur concours et plus attractifs financièrement. » Prenant en exemple un programme Art et Science mis en place avec l’université de la Côte d’Azur, le directeur de la Villa Arson estime que les Communautés d’universités et d’établissements (Comue), à l’échelle d’un même territoire, constituent un cadre intéressant pour faire des propositions plus attractives aux artistes et chercheurs étrangers.

Préserver la diversité

Pour beaucoup d’observateurs, derrière le sujet des droits de scolarité, c’est l’ouverture sociale des écoles et la diversité culturelle qui pourraient être remis en question. « Il s’agit pour nous de réaffirmer l’engagement des écoles supérieures du ministère de la Culture en faveur d’une plus grande diversité, et contre une forme de reproduction sociale », estime Sylvain Lizon.« Pour une bonne circulation des étudiants sur tout le territoire, il est nécessaire qu’il y ait un minimum de cohérence, notamment tarifaire, à l’échelle de nos écoles », ajoute-t-il.

« Le vrai clivage est-il entre les étudiants nationaux et les étrangers, ou entre ceux qui ont les moyens économiques de payer leurs études et ceux qui n’en ont pas ? », interroge François Brouat. Pour le directeur de l’Ensa Paris-Belleville, pourquoi ne pas envisager une différenciation en fonction des revenus, et ce, quelque soit la nationalité de l’étudiant ? « La mixité sociale et culturelle doit aussi se construire en direction des pays à moins fort potentiel économique », renchérit Bernhard Rüdiger. « Sans cette politique tarifaire abordable et sans les bourses, que serait devenu un artiste comme Adel Abdessemed venu d’Algérie se former à Lyon dans les années 1990 ? »

Du 13 au 15 mars. « Becoming an artist ? » Séminaire européen autour de la sélection des étudiants à l’entrée des écoles d’arts, organisé à l’École des beaux-arts de Nantes-Saint Nazaire, en partenariat avec l’European League of Institutes of the Arts (ELIA).

 

1 500 étudiants étrangers
(12,5 % des étudiants) : 31 % viennent de Chine, 20 % de Corée du sud, 5 % d’Algérie, 3 % du Brésil
900 étudiants étrangers venus en échange
13 % du Royaume-Uni 10 % d’Allemagne 9 % d’Espagne 9 % de Roumanie
200 enseignants de nationalité étrangère
77 % des écoles dispensent des cours en anglais 69 % des écoles dispensent ou proposent des cours de français langue étrangère (FLE) 22 % des écoles ont une mobilité obligatoire 27 % des écoles proposent des résidences ou post-diplômes à l’étranger
1 500 étudiants français en mobilité sortante chaque année
14 % en Belgique 12 % au Royaume-Uni 9 % en Allemagne 7 % au Canada 5 % aux États-Unis 4 % en Chine
54 % des étudiants en mobilité dans un établissement
32 % d’étudiants en stage 14 % d’étudiants portent un projet
Tarif / coût
14 % des écoles pratiquent des tarifs différenciés pour les étudiants hors Union européenne Chaque école consacre en moyenne 1,5 % de son budget de fonctionnement à l’international Source : ANdÉA 2017.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°518 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Écoles d’art, les frais de scolarité des étudiants étrangers en débat

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