Société - Vandalisme

Un monument aux esclaves résistants brûlé par les émeutiers

Par Louise Wagon · lejournaldesarts.fr

Le 4 juillet 2023 - 577 mots

BAGNEUX

Solitude, créée par l’artiste Nicolas Alquin pour la ville de Bagneux, a été détruite dans la nuit du jeudi 29 juin.

Nicolas Alquin, Solitude, monument aux esclaves résistants, 2007, Bagneux - photo N.N. - CC BY-SA 4.0
Nicolas Alquin, Solitude, monument aux esclaves résistants, 2007, Bagneux.
Photo N.N.

Le 10 mai 2007, à l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage et de la traite négrière, une statue rendant hommage à la mulâtresse Solitude, réalisée par Nicolas Alquin, est inaugurée avenue Henri-Barbusse, à Bagneux. Seize ans plus tard, Solitude a pratiquement disparu, incendiée dans les émeutes à la suite de la mort d’un jeune tué par la police, dans la nuit du jeudi 29 au 30 juin. 

« Premier monument dédié aux esclaves résistants », Solitude était composée de trois totems. Deux d’entre eux étaient fabriqués en bois d’Iroko, abattu selon une cérémonie rituelle dans le village de Béoua (Côte d’Ivoire). Ces totems ont ensuite été goudronnés et évidés pour prendre l’apparence d’un corps de femme. Le troisième totem, en fonte de fer, rappelle les chaînes des esclaves. A l’intérieur de celui-ci est creusée la silhouette de la rebelle, Solitude, l’une des figures féminines de la rébellion des esclaves en 1802, en Guadeloupe. Seul l’élément central – le troisième totem – est intact, tandis que les éléments en bois sont irrécupérables. 

« Chaque année, lors des cérémonies commémoratives de l’abolition de l’esclavage, des élus, des écoles de la ville, des poètes, des musiciens se réunissent autour de cette œuvre pour célébrer les figures marquantes de cette lutte », explique Nicolas Alquin au Journal des Arts. « Mes pensées vont aux enfants qui en ont si bien parlé lors de la dernière célébration du 10 mai 2023. Il est déplorable qu’un mémorial d’une telle importance symbolique ait été quasiment détruit dans cette tourmente. »

Née en 1772 d’un viol par un marin blanc à bord d’un navire négrier qui transportait sa mère vers les Antilles, Solitude (de son vrai nom Rosalie) est elle-même réduite en servitude jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1794. Huit ans plus tard, en 1802, Napoléon Bonaparte envoie le général Antoine Richepance en Guadeloupe avec une armée de 3 500 hommes afin de réprimer toute rébellion et de remettre les anciens esclaves aux fers. 

Dès lors, une rébellion organisée par le chef de bataillon Joseph Ignace et les capitaines Palerme et Massoteau prend forme. Leur camarade de lutte, Louis Delgrès, commandant de la Basse-Terre abolitionniste, lance l’appel du 10 mai 1802 intitulé : « À l’univers entier, Le dernier cri de l’innocence et du désespoir. »

Enceinte de quelques mois, Rosalie prend le nom de Solitude et se joint, avec son compagnon, au combat contre les troupes de Richepance. Mais, après dix-huit jours de combat inégal, les rebelles sont vaincus. Ignace, sur le point d’être capturé, se suicide, tandis que Delgrès et ses troupes font exploser la maison Danglemont du Matouba où ils sont retranchés. Solitude est capturée vers le 23 mai 1802. Le 28 mai, l’esclavage est rétabli en Guadeloupe, officialisé par un arrêté consulaire daté du 16 juillet 1802. Le 29 novembre de la même année, Solitude est condamnée à mort et suppliciée, le lendemain de son accouchement. 

Des rues et des lieux rendent hommage à Solitude, aussi bien en Guadeloupe que dans l’Hexagone. Une statue de Solitude, réalisée par le sculpteur guadeloupéen Jacky Poulier, est érigée depuis 1999 sur le boulevard des Héros aux Abymes, en Guadeloupe. Depuis mai 2022, une statue de la rebelle se tient debout, dans le « jardin de la Mulâtresse Solitude », inauguré par la Mairie de Paris et l’acteur Jacques Martial, en septembre 2020, place Général Catroux dans le XVIIe arrondissement. 
 

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