Quel destin pour l’île Seguin ?

Le Journal des Arts

Le 25 août 2000 - 795 mots

L'avenir de l'île Seguin, enjeu des municipales peut-être, enjeu urbain sans aucun doute. Mais cette île, objet de polémique, s’avère une extraordinaire pièce d’un patrimoine en pleine mutation. Reste à en définir le cap architectural, sujet de ce premier article, tandis que, page 13, nous rendons compte de propositions visant à transformer le lieu en pôle culturel.

Avec l’opération Seine Rive gauche, autour de la  Bibliothèque nationale de France et la Plaine-Saint-Denis, autour du Grand Stade, le site de Renault Billancourt est l’un des trois lieux de mutations urbaines à très grande échelle du Grand Paris. Trois opportunités exceptionnelles pour fabriquer la ville contemporaine.

Mais autant les sites de l’est et du nord de la capitale sont bien engagés sur la voie du développement, autant celui de Renault a bien du mal à démarrer. Quant à l’île Seguin, enjeu majeur avec ses 13 hectares au milieu de la Seine, elle est carrément en panne. Saura-t-on suivre l’exemple des Docklands de Londres ou de la Ruhr qui a l’art de transformer ses cathédrales de l’industrie ? Reconvertir ou raser, telle est la question qui se pose dans l’ouest parisien sur un enjeu dépassant le million de mètres carrés à construire.

L’empire Renault (55 hectares au total) est une véritable cité dans la ville. Avec ses rues, ses squares et ses “sheds” industriels. Tout a commencé en 1898 avec la cabane de Louis Renault, puis, le constructeur, fort de ses 20 000 ouvriers à l’issue de la Première Guerre mondiale, dut trouver des terrains libres. L’île Seguin lui tendait les bras. Ce sont, à l’époque, des vergers inondables. Renault fit construire alors un socle pour placer les chaînes de montage hors d’eau.

Le site de production fonctionnera avec 200 000 ouvriers sur l’île jusqu’au 27 mars 1992, date de l’arrêt des chaînes de montage, après quatre-vingt-dix ans de fonctionnement. Mais avant cette échéance fatale plusieurs événements ont marqué l’histoire du lieu. D’abord le grand projet “Billancourt 2000”, le “bébé” du PDG Bernard Hanon qui, dans les années quatre-vingt, avait confié la mission d’architecte en chef à Claude Vasconi. De cette ambition ne sortira qu’un seul bâtiment, le “57 Métal”, que Renault aurait envie de transformer aujourd’hui pour y installer son centre de la communication. Une quinzaine d’équipes d’architectes a déjà planché sur le sujet.

Il y eut ensuite deux missions successives diligentées par le ministère de l’Équipement. Jean-Eudes Roullier avait remis son rapport au Premier ministre, Michel Rocard, en novembre 1990, suggérant notamment l’implantation d’une cité scientifique sur l’île. L’objectif de la mission Morellon fut alors de créer un établissement public en vue de la maîtrise d’un “grand projet”. Des architectes de renom, au chevet de l’île moribonde, se penchèrent alors sur son sort, parmi lesquels Portzamparc, Tschumi et Piano. L’architecte génois conçut alors un projet “qui maintient dans la ville une présence à laquelle on est habitué”. À l’évidence, l’idée de la silhouette du paquebot est ancrée dans les mémoires. Mais, Renault, occupée à la réalisation d’un technocentre ultramoderne à Saint-Quentin-en-Yvelines, se désintéresse de Billancourt.

En 1998, une énième consultation confronte les idées de trois équipes : Chemetov-Huidobro, Jean-Pierre Buffi, et Bruno Fortier lequel se voit plébiscité par le public dans une exposition (car il n’y a jamais eu de jury) avec un projet 60 % minéral, 40 % végétal. De l’urbanisme politiquement correct sans aucune pitié pour l’île Seguin. Tout semble donc prêt pour lancer les bulldozers à l’assaut de cette forteresse ouvrière.

“ Boulogne assassine Billancourt” titre alors Le Monde un beau soir de mars 1999. Le quotidien publie à la une le coup de gueule de Jean Nouvel qui se place en “militant de l’architecture et défenseur de l’intérêt général” pour interpeller sans ambages, aussi bien le maire de Boulogne, Jean-Pierre Fourcade, le président de Renault, Louis Schweitzer, que Catherine Trautmann, alors ministre de la Culture, donc chargée de l’architecture et du patrimoine. Partant ainsi en croisade pour la défense de ce qu’il a idéologiquement appelé le “krach des ouvriers”,  l’architecte de la Fondation Cartier, déjà impliqué dans la reconversion de la friche de la Belle-de-Mai à Marseille, a créé l’AMIS, Association pour la mutation de l’île Seguin.

Depuis, nombre d’étudiants se sont emparés du sujet, “L’île Seguin doit prendre une nouvelle cohérence dans une nouvelle donne, analyse l’architecte Odile Decq qui a fait travailler ses étudiants de l’École spéciale d’architecture sur cette friche, il faut inventer un nouveau contexte urbain car on ne peut plus se contenter d’une réplique haussmannienne. N’oublions pas que Renault c’est l’aventure de l’invention ; inventons la ville !” Puis, la toute nouvelle école de Marne-la-Vallée en a fait son sujet phare. La Biennale d’architecture de Venise présente jusqu’à la fin octobre quelques réflexions sur ce site. Mais qui va payer pour radouber ce gigantesque paquebot vide ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : Quel destin pour l’île Seguin ?

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