Festival

Préparatifs festifs en Normandie

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2010 - 1480 mots

La Normandie va se mettre à l’heure de l’impressionnisme le temps de l’été prochain. Une entreprise pharaonique impulsée par une volonté politique.

PARIS - Lorsqu’en 1872 Claude Monet met la dernière touche à sa vue de l’avant-port du Havre, baptisée à la va-vite Impression, soleil levant, il est à cent lieues d’imaginer que ce tableau deviendra l’emblème du plus décisif courant d’avant-garde de la peinture française.
Comme le colloque organisé en décembre 2009 au Musée d’Orsay l’a démontré, l’impressionnisme est de nos jours un sujet particulièrement maîtrisé par les scientifiques anglo-saxons.Rappelons que les chefs-d’œuvre ont été happés par les collectionneurs américains avant que l’État français ne s’y intéresse.

Aujourd’hui, la Normandie est bien décidée à reconquérir et à célébrer son patrimoine, ce par le biais d’un festival intitulé « Normandie impressionniste », qui propose à partir de juin et jusqu’en octobre pléthore de manifestations en tout genre (expositions, musique, théâtre, cinéma, pique-niques, ballades, guinguettes…). Avec pour objectif de « mettre en valeur l’impressionnisme dans ses liens avec la Normandie, en recherchant de larges publics par des actions ciblées ».

Réunification normande
À l’origine de ce projet, l’économiste Jacques-Sylvain Klein – en retraite anticipée de son poste de chef du service économique et de l’évaluation scientifique à l’Assemblée nationale –, à qui l’on doit l’ouvrage publié en 1999 Normandie, berceau de l’impressionnisme (1). Ce natif de Rouen et proche de Laurent Fabius n’a pas eu de mal à convaincre l’ancien Premier ministre devenu président de la CREA (Communauté de l’agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe) de donner l’impulsion politique à cette ambitieuse opération. « L’idée est d’allier économie et culture, parce que je suis convaincu que, dans les années à venir, la culture deviendra une grande industrie », justifie l’économiste.

Certes, l’exemplaire exposition du Grand Palais à Paris en 1994 démontrait que les origines de l’impressionnisme ne se résument pas à la Normandie, mais le festival, qui plaide en filigrane pour la réunification des deux régions normandes, se veut fédérateur et populaire : « Ce sujet très exploré par les spécialistes ne l’est pas par le grand public. » D’où une programmation éclectique, au risque de galvauder le sujet, avec plus de cent cinquante projets labélisés où se mêlent expositions muséales pointues, artistes contemporains – et peintres du dimanche. Enfin, les collectivités sont enthousiastes d’un tel coup de projecteur.

Le montage financier du projet repose sur l’association « Normandie impressionniste » présidée par Pierre Bergé et créée en novembre 2008 ; elle compte parmi ses membres fondateurs la CREA, ainsi que les Régions de Haute et Basse-Normandie, les Départements de l’Eure et de la Seine-Maritime, les Villes de Caen et Rouen. Un noyau dur auquel se sont greffées une vingtaine de localités en tant que membres adhérents (Lisieux, Honfleur, Fécamp, Étretat, Cabourg, Cherbourg, Evreux…). L’intérêt étant de créer un pot commun par le biais d’une cotisation (à hauteur de 60 euros), afin de subventionner les différentes manifestations.

Chaque membre était vivement encouragé à en augmenter ce montant dans la mesure de ses possibilités : la CREA, la Seine-Maritime et les deux Régions ont apporté 4 millions sur les 5 millions d’euros du budget global ; Rouen a versé 200 000 euros ; la Ville d’Honfleur a voté une subvention de 10 000 euros… S’ajoutent les contributions en numéraire et en nature venant d’une multitude d’entreprises mécènes.

Jacques-Sylvain Klein précise que le montant de la cotisation n’influe en rien sur celui de la subvention – des sommes qu’il préfère taire par crainte de susciter des incompréhensions. Après qu’un conseil scientifique (présidé par Jérôme Clément) décide de labéliser voire de financer les projets, un conseil économique attribue ensuite ces subventions, les « locomotives » et les projets non viables sans l’octroi d’une aide étant prioritaires. De plus, les différents projets bénéficient d’une campagne de communication d’ampleur nationale.

« À la lisière »
Et Le Havre dans tout ça ? Invitée par l’association, la Ville a décliné l’offre de devenir membre fondateur. Le courrier d’invitation rédigé sommairement par Laurent Fabius, sollicitant le versement de 200 000 euros de cotisation sans pour autant préciser les grandes lignes directrices du festival, n’a pas été du goût du maire Antoine Rufenacht (UMP). Ce dernier aurait souhaité être impliqué plus en amont dans le projet.
 
Soucieux de dédramatiser la situation, le directeur général adjoint chargé de la culture et du tourisme à la ville, Philippe Pintore, explique que la municipalité « se tient à la lisière – mais sans opposition – de l’événement ». Les expositions du Musée Malraux (« Les Degas de la donation Senn », 12 juin-19 septembre, et « Signac. Les ports de France », octobre 2010-janvier 2011) étant déjà programmées de longue date, la ville se voyait mal débourser 200 000 euros en sus du coût des deux manifestations (300 000 euros rien que pour Signac).

Depuis, les protagonistes sont revenus quelque peu sur leurs positions et, pour sauver les apparences, Le Havre est officiellement associée à l’opération : par un heureux hasard, les deux expositions entrent dans le champ thématique du festival. Cependant, si le musée havrais bénéficie du plan de communication national, le Conseil général de Seine-Maritime a décliné sa demande de subvention pour l’exposition « Degas » en lui suggérant de présenter sa requête… à l’association « Normandie impressionniste ». Ce que, en toute logique, le musée n’a pas fait.

Le refus exprimé par Le Havre n’est cependant pas définitif. Devant l’enthousiasme exprimé par les collectivités, Jacques-Sylvain Klein assure que l’expérience sera réitérée, sa périodicité restant à déterminer. Mais avant, les retombées du festival seront évaluées par le professeur d’économie Xavier Greffe, spécialiste des politiques culturelles, conjointement avec les équipes du comité régional du tourisme. L’association de loi de 1901 étant à but non lucratif, aucune part ne sera prélevée sur les recettes. Et en cas de très grand succès ? « On avisera en temps voulu. La subvention sera-t-elle moindre pour la prochaine édition ? Rien n’a été décidé », indique Jacques-Sylvain Klein.

Une anticipation aurait pour mérite de permettre à tous les acteurs de mieux se préparer. Laurent Salomé, directeur du Musée des beaux-arts de Rouen, ne s’en plaindrait pas ; son projet a beau avoir été le premier à être entériné, il a eu moins de deux ans pour monter « Une ville pour l’impressionnisme : Monet, Pissarro et Gauguin à Rouen » (4 juin-26 septembre). « Laurent Fabius m’a demandé s’il était envisageable de faire une grande exposition impressionniste, relate-t-il. Je lui ai répondu que cela poserait des problèmes de faisabilité car il fallait un sujet sérieux et des chances à peu près correctes d’obtenir des prêts, et cela allait coûter cher.

Nous avons résolu les deux problèmes : lui en réglant le problème du budget et moi celui du sujet, inédit, riche et légitime pour Rouen. Mais il n’était pas du tout évident que nous y arrivions en deux ans. » Bénéficiant d’un certain confort financier (3 millions d’euros de budget, dont près de 2 millions provenant de l’association), Laurent Salomé a pu réaliser un projet qui dormait dans les cartons du musée. Sa politique active de prêts et la singularité du sujet se sont vus récompensés. Malgré quelques revers initiaux, Laurent Salomé est parvenu à obtenir une centaine de chefs-d’œuvre (une trentaine de Pissarro, onze cathédrales de Monet…) et l’exposition promet de belles découvertes scientifiques.

De nombreuses concertations entre les musées de deux régions se sont révélées nécessaires. Le Musée des impressionnismes à Giverny a, par exemple, choisi d’exclure Rouen de sa descente « Au fil de la Seine impressionniste ». En revanche, l’exposition « Monet » au Musée Von der Heydt à Wuppertal (Allemagne), qui s’est achevée le 28 février, a contraint Rouen à s’adresser à des prêteurs déjà largement sollicités.

Et les cathédrales de Monet du Musée d’Orsay quitteront Rouen avant terme à destination de la rétrospective du Grand Palais, à Paris (prévue à partir du 22 septembre). La manifestation parisienne n’a pas non plus aidé le montage de « Honfleur, entre tradition et modernité 1820-1900 », au Musée Eugène-Boudin d’Honfleur. La directrice du musée, Anne-Marie Bergeret, confirme qu’il a fallu mettre les bouchées doubles : « Moralement, il était impensable qu’Honfleur ne participe pas. Mais tout le monde était conscient que ce serait difficile. »

Méconnaissances des rouages des musées
Faute de temps là encore, la directrice a choisi un sujet qu’elle connaît sur le bout des doigts, pour l’avoir déjà monté il y a une vingtaine d’années « avec moins de prêts et moins de moyens ». Cette rapidité d’exécution imposée traduit bien la force de la volonté politique mais aussi sa méconnaissance des rouages des musées. Jacques-Sylvain Klein se justifie en déclarant que l’offre était à prendre ou à laisser : « Au lieu de s’embourber dans des questions administratives, nous nous sommes fixé une date précise. Et ceux qui voulaient en être étaient prévenus : il fallait marcher très vite. »

(1) éd. Ouest-France.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°322 du 2 avril 2010, avec le titre suivant : Préparatifs festifs en Normandie

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