Politique culturelle

Pourquoi la Cour des comptes préconise la suppression du Cnap

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2025 - 774 mots

Les magistrats estiment que les missions du Cnap seraient mieux réalisées si elles étaient transférées au ministère et au Centre Pompidou.

France. Après avoir recommandé que le Louvre abandonne son projet de nouvelle entrée et de nouvelles salles, la Cour des comptes franchit une étape dans son contrôle des finances publiques en demandant cette fois la suppression pure et simple d’ici à 2030 du Centre national des arts plastiques (Cnap). Selon les sages de la rue Cambon, l’établissement public n’assure plus de façon satisfaisante les missions qui lui sont confiées depuis 1982. Plus encore, son modèle économique est jugé « non viable », sa gouvernance fragile et son rôle insuffisamment articulé avec les autres opérateurs de l’écosystème public de l’art contemporain.

Le premier grief touche le cœur même de l’établissement : la gestion du Fonds national d’art contemporain (Fnac). Avec plus de 108 000 œuvres en 2024, dont près de 46 000 stockées dans les réserves du Cnap, l’institution fait face à une inflation de sa collection qui rend ingérable la politique d’acquisition comme la conservation. La Cour souligne qu’un quart des œuvres n’a jamais quitté les réserves et que seules 30 % des acquisitions récentes sont effectivement diffusées, pourtant objectif fondamental inscrit dans le décret fondateur du Cnap.

Cette faible diffusion s’accompagne d’un déficit chronique de pilotage : le récolement reste lacunaire et le futur centre de stockage de Pantin – un investissement proche de 100 M€ – risque d’être saturé en vingt ans au rythme actuel d’accroissement des collections. L’essentiel de l’activité se concentre désormais sur la logistique interne, au détriment de la mission de diffusion.

Le rapport pointe un soutien à la création peu lisible et faiblement évalué (un reproche constant chez les magistrats). Il relève que le Cnap gère pas moins de douze dispositifs d’aides, s’adressant aussi bien aux artistes qu’aux galeries ou éditeurs. La montée en puissance du nombre de guichets, renforcée par des aides exceptionnelles pendant la crise sanitaire, a conduit à un morcellement des interventions et à une hétérogénéité des montants distribués d’autant que le montant global des aides est relativement faible (1,8 M€). Les magistrats se sont amusés à évaluer la carrière de quinze artistes aidés par le Cnap (via la base Artfacts), dont il ressort que sept ont une visibilité décroissante ou faible.

L’établissement n’a pas non plus de stratégie claire distinguant ce qui relève du soutien aux artistes de ce qui relève de la constitution d’un patrimoine national. Les commissions d’acquisition poursuivent simultanément des objectifs d’émergence, de correction des inégalités (notamment de genre) ou d’enrichissement patrimonial, sans hiérarchisation.

Sur 19 M€ de dépenses en 2024, le Cnap consacre plus de 12,8 M€ à ses charges de fonctionnement, auxquelles s’ajoutent les rémunérations versées directement par l’État pour les personnels mis à disposition. La part réellement affectée aux missions (5,4 M€) devient minoritaire, tandis que les charges immobilières explosent (4,9 M€ en 2024) sous l’effet des retards du chantier de Pantin et du recours accru à des sites temporaires.

Une superposition inutile

Pour la Cour, depuis quarante ans, l’écosystème institutionnel s’est transformé : les Frac, les centres d’art, les musées nationaux et le Centre Pompidou mènent une politique d’acquisition et de diffusion plus structurée que celle du Cnap. Les Frac représentent déjà 57 000 œuvres et 4 M€ d’achats annuels, quand le Musée national d’art moderne gère 150 000 œuvres et 1,8 M€ d’acquisitions par an. La Cour juge que les compétences du Cnap se superposent de manière peu efficace avec celles de ces opérateurs, sans valeur ajoutée claire.

Et pour bien montrer que sa recommandation de disparition est opérationnelle, la Cour propose un schéma de transfert des dépouilles. Le soutien aux artistes serait entièrement repris par la Direction générale de la création artistique (DGCA) et par les Drac, qui disposent déjà des compétences d’instruction et d’un ancrage territorial permettant d’évaluer l’impact réel des aides (ce qui reste à démontrer).

La gestion du Fnac et des acquisitions patrimoniales serait confiée au Centre Pompidou, présenté comme l’opérateur ayant l’expertise muséale, les capacités de diffusion internationale et la cohérence stratégique nécessaire. Les œuvres seraient réparties entre le MNAM, d’autres musées, les Frac et éventuellement les Manufactures nationales pour les ensembles décoratifs. La gestion du futur site de Pantin pourrait être assurée par le Centre Pompidou, en articulation avec son propre projet de réserves à Massy.

Le ministère de la Culture s’oppose comme prévu au démantèlement du Cnap, arguant qu’à la suite du rapport Bethenod, il entendait même lui confier une mission de chef de file de la promotion et de la valorisation internationale de la scène française. Ce n’est pourtant pas ce que l’on avait compris de son plan d’octobre dernier.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : Pourquoi la Cour des comptes préconise la suppression du CNAP

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