Périple musical

Par Suzanne Lemardelé · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2012 - 724 mots

Trois expositions « sonores » invitent à la découverte des musiques populaires
à travers le monde et l’histoire, de Kerjean à Kernault en passant par l’abbaye de Daoulas.

Quand on pense à la Bretagne et à sa culture, c’est avant tout une langue et une musique qui viennent à l’esprit. Deux caractéristiques fortes de cette terre paradoxale du bout du monde, à la fois berceau de traditions et presqu’île ouverte sur l’ailleurs. Cette dualité est au cœur du projet culturel de l’établissement public de coopération culturelle (EPPC) « Chemins du patrimoine en Finistère ». Regroupant cinq sites patrimoniaux dispersés du nord au sud du département, l’organisme a choisi cette année la musique comme thème de sa programmation temporaire. Avec en arrière-plan cette interrogation récurrente : qu’est-ce qu’appartenir à la culture bretonne à l’heure de la mondialisation ? Comment expliquer et transmettre cette identité locale dans un monde global ? Réponse en chansons avec un cycle intitulé « Musiques dans l’air du temps », composé bien sûr de concerts et spectacles, mais également de trois expositions « sonores » organisées simultanément au château de Kerjean (Saint-Vougeay), au manoir de Kernault (Mellac) et à l’abbaye de Daoulas.

Le premier est un imposant monument fortifié de granit gris, dressé en plein cœur du Pays de Léon. Ses salles récemment restaurées accueillent une présentation dont le titre, « Sonnez bombardes, résonnez binious ! », évoque l’image d’Épinal du célèbre duo de musiciens bretons. Sans renier celle-ci, l’exposition la nuance et propose une histoire moins caricaturale de la tradition instrumentale populaire en Bretagne. Non, le sonneur ne joue pas toujours juché sur son tonneau et coiffé d’un chapeau rond. Il arrive même qu’il délaisse son biniou pour un violon, voire un accordéon quand celui-ci s’implante partout, à la fin du XIXe siècle. Outre qu’elle présente de nombreux instruments (parmi lesquels un curieux violon-sabot), l’exposition décortique la construction du mythe de cette musique « bretonne ». Bretonne, mais diverse selon les « pays » et réinventée à partir des années 1950. De cette époque datent entre autres les premiers bagadoù, ainsi que les fest-noz tels qu’on les connaît aujourd’hui. Cette sauvegarde opiniâtre de pratiques en péril est également au cœur de la petite exposition « Chantons toujours !, Kanomp Bepred ! », au manoir de Kernault. Extraits sonores et vidéos, cahiers et feuilles volantes noircies de paroles témoignent de la collecte minutieuse réalisée depuis le XIXe siècle pour conserver la mémoire du chant de tradition oral. Est également posée la question de sa survivance aujourd’hui, alors qu’écrire en langue bretonne a nécessairement une autre résonance.

Méthodes de collecte
C’est à Daoulas que le lien entre l’ici et l’ailleurs, l’articulation entre local et global, sont le mieux illustrés. Fidèle à sa politique d’exposition privilégiant une approche ethnographique, l’abbaye propose « L’air du temps », nouvelle version d’un parcours conçu en 2009 pour le Musée d’ethnographie de Genève. Se révélant sans conteste comme le point d’orgue de ces expositions sonores, la présentation tisse des liens entre les musiques populaires à travers le monde et l’histoire. Le propos, riche, est servi par une scénographie intrigante et ludique (système de douches sonores, orchestre d’instruments hétéroclites composé de nombreux prêts du musée suisse et de la Cité de la musique, à Paris…).

Plus classique, une salle détaille les méthodes scientifiques de collecte lors de campagnes en Bretagne, en Roumanie ou pendant la mission Dakar-Djibouti. Muni d’un casque, on suit l’évolution parallèle de ces musiques bretonnes et roumaines, on comprend comment ces mélodies populaires s’enrichissent et se transforment…, jusqu’aux résurgences entendues dans les hit-parades d’aujourd’hui. La dernière salle le démontre, sorte de discothèque didactique où le visiteur peut écouter le morceau en tête des ventes dans le pays de son choix. Avec parfois quelques surprises.

L’air du temps

- Commissariat général : Philippe Ifri et Marianne Dilasser


- Sonnez bombardes, résonnez binious ! Château de Kerjean, 29440 Saint-Vougay, jusqu’au 7 novembre, tlj 10h-19h, tlj sauf mardi 13h30-18h à partir du 1er septembre, changement d’horaires ensuite

- Chantons toujours ! kanomp bepred !, manoir de Kernault, 29300 Mellac, jusqu’au 8 novembre, tlj 10h-12h30, 14h-19h, changement d’horaires à partir du 17 septembre

- L’air du temps, abbaye de Daoulas, 29460 Daoulas, jusqu’au 14 octobre, tlj 10h30-18h30, changement d’horaires à partir du 17 septembre. www.cdp29.fr. Catalogue, coéd. EPCC Chemins du patrimoine en Finistère/Éditions Apogée, Rennes, 190 p., 26 €, ISBN 978-2-84398-407-5.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Périple musical

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