Quand l’art se met au vert

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 3 juillet 2012 - 1062 mots

Homme d’affaires et collectionneur, Patrick McKillen a passé commande à des artistes et architectes de renom pour peupler son domaine en Provence. Un lieu ouvert au public toute l’année.

L’art se loge parfois là où on ne l’attend pas : au cœur d’un vignoble. Ainsi en est-il du Château La Coste Art Centre, au Puy-Sainte-Réparade, petit village au nord d’Aix-en-Provence. Ouvert il y a un an, il s’annonce déjà comme l’un des projets artistiques privés les plus ambitieux de l’Hexagone. D’abord le site est splendide, un domaine de 180 hectares – dont 130 de vignes – en Provence, à quelques encablures du parc du Lubéron. Ensuite une série d’édifices sont construits par les meilleurs maîtres d’œuvre mondiaux et une ribambelle d’installations en plein air ont été imaginées par des artistes renommés. Bref, ce subtil cocktail fait de Château La Coste un lieu incontournable de l’art.
Aux manettes de cette ambitieuse entreprise, on trouve un collectionneur d’art irlandais et magnat de l’immobilier, Patrick McKillen. Né en 1955 à Belfast, l’homme d’affaires a fait fortune dans l’immobilier, d’abord en Irlande puis en Europe et aux États-Unis. Il est notamment actionnaire du Maybourne Hotel Group, qui gère trois fleurons londoniens – le Claridge’s, le Berkeley et le Connaught – et copropriétaire de l’hôtel Clarence, à Dublin (Irlande), avec, entre autres partenaires… Bono, le chanteur du groupe de rock U2.

Lorsqu’il acquiert le domaine de Château La Coste, en 2003, Patrick McKillen a en tête l’idée de créer, en marge de son activité viticole, un lieu consacré à l’art contemporain. Et non des moindres puisque, jouant de ses (nombreuses) relations, il convie in situ des pointures de l’architecture et des arts plastiques, leur proposant à chacun de réaliser un projet sur l’emplacement de leur choix. Pas moins de six lauréats du Prix Pritzker – l’équivalent du Nobel en architecture – remettent une esquisse : l’Italien Renzo Piano, le Japonais Tadao Ando, l’Américain Frank Gehry, le Français Jean Nouvel, l’Anglais Norman Foster, ainsi que l’indéboulonnable maestro carioca Oscar Niemeyer.

Cinq pavillons d’architecte
Entre 2005 et 2011, plusieurs constructions voient le jour. Première à sortir de terre, et pour cause : le chai de vinification, édifice high-tech en aluminium, signé Jean Nouvel. Suivront trois bâtiments construits par Tadao Ando : le centre d’art proprement dit, en béton, un pavillon de bois couleur anthracite hébergeant une installation de l’architecte nippon ; enfin, au sommet d’une colline, une chapelle du XVIe siècle restaurée pour l’occasion et désormais bardée d’une double peau protectrice de verre et de métal. Cinquième et, pour l’heure, dernière pièce de ce puzzle architectural en terre provençale : le pavillon de musique dessiné par Frank Gehry pour la Serpentine Gallery, à Londres, lequel avait été déployé, durant l’été 2008, dans Hyde Park. Raison de sa présence ici ? Ce bâtiment au style déconstructiviste a, à l’époque, été en partie financé par… McKillen lui-même. Remonté à l’identique, il se déploie désormais sur une ample esplanade.
En parallèle à cette intense phase de chantier intervient une myriade d’artistes. Le Brésilien Tunga construit trois Portails avec de la pierre ocre issue de la carrière de Rognes, toute proche. L’un d’eux consiste en une imposante ferronnerie qui maintient en équilibre un énorme prisme de quartz du Pérou. Dans ce pays de lumière, l’Écossais Andy Goldsworthy a paradoxalement opté pour les ténèbres. Son installation, Oak Room, est une salle souterraine dont la voûte est formée de longs troncs entrelacés qui font penser à un nid d’oiseau, surdimensionné et… retourné. C’est l’un des « refuges » les plus frais du domaine, notamment en période estivale. Dans un vallon, l’Anglais Liam Gillick a installé la pièce Multiplied Resistance Screened, série de claustras coulissants et colorés que le visiteur manipule à son gré pour créer de joyeuses compositions graphiques. Plus haut, sur le coteau, le sculpteur américain Richard Serra a planté Aix, une œuvre constituée de trois immenses plaques de métal rouillé qui tranchent la topographie telles des lames de rasoir.

Et trois autres à venir
Certaines installations sont colossales, comme celle de Sean Scully (plus connu pour sa peinture) intitulée Wall of Light Cubed, un empilement de blocs de marbre et de calcaire pesant… 1 000 tonnes. D’autres pièces, en revanche, se révèlent aériennes, telle cette bulle oblongue de l’Américain Tom Shannon, Drop, en lévitation au-dessus du vignoble. Dans son éden de sculptures, McKillen a aussi invité quelques ex-rockeurs devenus plasticiens, pour le meilleur, avec ce colossal « bol » en bronze de Guggi, peintre irlandais et… ancien membre du groupe Virgin Prunes, ou pour le pire, avec ces sept renards en bronze moulé de… Michael Stipe, chanteur, jusqu’à récemment, du groupe R.E.M. Complètent cette collection idéale : une sculpture en inox de Hiroshi Sugimoto (Infinity), un mobile de Calder (Small Crinkly) ou l’un des plantureux arachnides de Louise Bourgeois (Crouching Spider), cramponné au beau milieu d’un vaste bassin qui dissimule le parking des visiteurs.
Entre chênes et amandiers, alignements de ceps et champs d’oliviers, vieux ponts et murs de pierres sèches, la balade, assurément bucolique, nécessite deux bonnes heures. Un temps de visite qui, à lire la liste des projets, ne devrait pas manquer d’augmenter. Sont en effet dans les cartons les trois édifices imaginés par Niemeyer, Foster et Piano. Le paysagiste français Louis Benech, lui, planche sur un potager, et l’architecte galloise Amanda Levete a dessiné un pont. Le Danois Per Kirkeby doit concevoir une installation, tout comme Frank Gehry, associé pour l’occasion à l’artiste californien Tony Berlant. Quant à leur compatriote James Turrell, il s’apprête à creuser dans une colline un Tunnel de lumière.

Outre-Manche, Patrick McKillen fait régulièrement la « une » de la presse, entre pages économiques et rubrique « people ». En Provence, à l’inverse, l’entrepreneur irlandais a décidé de la jouer discret, déclinant tout entretien. C’est pourquoi l’ouverture du centre d’art, l’été dernier, n’a donné lieu à aucun raout officiel. Ne pas croire pour autant que le lieu fonctionnera à perte : un hôtel de 29 chambres conçu par l’agence marseillaise Tangram est actuellement en chantier et un « business plan » à l’étude, avec quota annuel de visiteurs à atteindre. Si le « volet » commercial de Château La Coste – le vin – doit être rentable, son projet culturel nedoit pas moins l’être, à terme.

Château La Coste Art Centre

2750, route de la Cride, 13610 Le Puy-Sainte-Réparade, tél. 04 42 61 92 90, tlj 10h-19h, www.chateau-la-coste.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Quand l’art se met au vert

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