Église - Restauration

La flèche de la basilique Saint-Denis

Nicolas Matyjasik : « Nous reprenons la reconstruction interrompue au XIXe siècle »

Directeur général de l’association la fabrique de la flèche

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 6 novembre 2025 - 1236 mots

Ce proche du maire de Saint-Denis répond aux critiques formulées contre ce chantier patrimonial d’envergure doublé d’un projet de développement du territoire.

Nicolas Matyjasik, dans les locaux de la « Fabrique de la flèche » qui surplombent la cathédrale Saint-Denis. © N.M.
Nicolas Matyjasik, dans les locaux de la « Fabrique de la flèche » qui surplombent la cathédrale Saint-Denis.
© N.M.

Nicolas Matyjasik (43 ans) dirige depuis mars la « Fabrique de la flèche ». Ce proche du maire de Saint-Denis Mathieu Hanotin a longtemps été son directeur de cabinet adjoint. Ils ont appris à se connaître lors de la campagne présidentielle de Benoît Hamon en 2017, travaillant tous les deux dans l’équipe du candidat. Sa thèse de doctorat en sciences politiques soutenue en 2010 portait sur l’évaluation des politiques publiques dans une France décentralisée. Un viatique idéal pour reconstruire la flèche.

Comment qualifiez-vous le chantier de la flèche ?

C’est à la fois un remontage puisque la tour et la flèche ont été démontées en 1847, mais c’est aussi une reconstruction, car on recrée à l’identique cet ensemble tel qu’il était au XIXe siècle. Mais nous le reconstruisons avec les matériaux et les outils d’aujourd’hui. Par simplification nous parlons de « reconstruction ».

En quoi, cette « reconstruction » se justifie-t-elle ?

Nous ne faisons que reprendre ce qui a été interrompu au XIXe siècle ! À l’époque, le démontage de la tour et de la flèche a été minutieusement documenté, car la reconstruction devait suivre. Mais les débats sur les modalités de la reconstruction, le contexte politique et plus encore militaire de l’époque (guerre de 1870, La Commune, rétablissement de la République…) puis les deux guerres mondiales au XXe siècle ont fait que les priorités ont été ailleurs. Donc oui cela se justifie pleinement, d’autant que la basilique a longtemps été invisibilisée par l’histoire alors que c’est la première cathédrale gothique dans le monde et qu’elle accueille les tombeaux des rois et reines de France. Dans les années 1980, la façade était affreusement noircie. Elle a retrouvé tout son éclat grâce à la campagne de restauration menée par Jacques Moulin de 2012 à 2015.

La basilique de Saint-Denis sans sa flèche et la reconstitution 3D avec la flèche. © Suivez la Flèche
La basilique de Saint-Denis sans sa flèche et la reconstitution 3D avec la flèche.
© Suivez la Flèche
Quelles autorisations administratives avez-vous obtenues ?

Toutes, et elles sont nombreuses comme vous pouvez l’imaginer pour un bâtiment classé aussi important dans l’histoire de la France. Sur le plan politique, le projet a été officiellement relancé en 2017 par le président d’alors François Hollande et il est très soutenu aujourd’hui par Emmanuel Macron qui devait venir le 14 mars dernier poser la première pierre (la gestion de la guerre en Ukraine l’a empêché au dernier moment). Nous avons obtenu une autorisation de travaux en 2022 qui sont conduits sous la tutelle de Christophe Bottineau, architecte en chef des Monuments historiques. Nous avons toutes les six semaines des réunions de suivi avec les services de l’État et des réunions de chantier avec l’ensemble des parties prenantes ont lieu tous les quinze jours.

Quelles sources utilisez-vous pour rebâtir l’ensemble ?

Elles sont très nombreuses. Nous disposons de dessins et même de photographies de l’époque, mais surtout nous pouvons nous appuyer sur les plans de démontage en 1837 et de remontage en 1838 de la flèche par l’architecte François Debret. Les relevés très détaillés de Debret indiquent dans les moindres détails la place des pierres, les élévations, les escaliers, les clochetons, les écailles de flèches, les tirs en métallique, en bois… Ces plans nous permettent de connaître pierre par pierre l’architecture de l’ensemble. Par ailleurs nous avons fait procéder par Art Graphique et Patrimoine, une entreprise du territoire, à une modélisation numérique en 3D qui vient faciliter le travail des architectes.

Disposez-vous de pierres d’origine ?

Oui, mais nous ne les utilisons pas. D’une part, car il y en a trop peu, la plupart ont été « emportées » au cours des décennies, et d’autre part, car celles qui restent sont en mauvais état. Les 15 228 pierres sont donc nouvelles. Mais j’insiste sur le fait que c’est une reconstruction à l’identique, il n’y a aucune interprétation de notre part. C’est la raison pour laquelle, par exemple, nous reconstruisons une seule flèche, malgré la dissymétrie, puisque c’est comme cela que l’ensemble existait à l’époque.

Certains détracteurs vous reprochent de ne pas respecter la Charte de Venise ?

C’est un document qui commence à dater (1964), avec des recommandations qui peuvent paraître contradictoires et qui, selon les experts, laissent beaucoup de part à l’interprétation. Selon Jacques Moulin qui reste très impliqué sur le sujet et a beaucoup travaillé sur la Charte de Venise, nous suivons les articles 10 à 13 qui imposent de respecter les strates historiques et de bien distinguer les éléments neufs et anciens. La Charte autorise des techniques modernes de consolidation. Nous nous conformons également à la Charte de Nara de 1994 qui complète celle de Venise.

De même, on vous reproche de « traumatiser » la structure existante par des interventions inappropriées ?

Je dirais que c’est l’inverse, nous en prenons soin ! La basilique a longtemps été délaissée par les pouvoirs publics et donc le travail de fouilles préventives et de sonde au pied de la tour nord, qui ont été réalisées entre 2022 et 2024 sous le contrôle de l’État, n’aurait sans doute pas été fait sans la reconstruction. Cela a permis d’effectuer quelques travaux de consolidation et de belles découvertes comme ces près de 200 sépultures en cours d’études par l’Inrap, la Drac et les services d’archéologie du département de Seine-Saint-Denis et de la Ville. Tout cela pour un budget d’environ 4 millions d’euros, financé par Suivez la Flèche, qui dit bien leur importance. Pour autant, nous avons pu constater que la structure est en bon état.

Des voix se sont aussi élevées pour dire que le budget que vous avez rassemblé (37 M€) ferait mieux d’être utilisé pour restaurer des monuments qui en ont besoin ?

Je ne peux que m’associer à ceux qui demandent plus d’argent pour protéger notre patrimoine ! S’agissant de la basilique, je rappelle qu’il n’y a pas un euro d’argent de l’État, les travaux sont financés par les collectivités locales et des mécènes privés. Mais plus encore, ce n’est pas un « simple » chantier de restauration, c’est un vaste projet de développement culturel, touristique, urbanistique, économique et social. Il y a ici près de 140 compagnons et artisans qui vont travailler sur le chantier, certains dans des zones accessibles au public afin de montrer leur savoir-faire en particulier aux jeunes générations. C’est une façon de consolider et valoriser toute la filière des métiers d’art. Et de la féminiser aussi, nous avons ainsi recruté plusieurs apprenties tailleuses de pierre qui travaillent sous les yeux du public. C’est important de montrer aux jeunes que ce n’est pas ChatGPT qui taille les pierres et que ce sont des métiers nobles. La fabrique de la flèche a une forte dimension d’éducation artistique et culturelle !

Que disent les Dionysiens de cette reconstruction ?

Beaucoup de choses ont changé avec l’installation des échafaudages, et cela va s’accélérer lorsque les habitants verront la tour s’élever progressivement. On commence d’ailleurs à apercevoir aujourd’hui la quatrième rangée de pierres depuis le parvis. Je disais précédemment que la basilique a longtemps été invisibilisée. C’est un peu vrai aussi dans l’esprit des habitants. Depuis 2017 et la création de l’association, ils sont de plus en plus nombreux à être sensibilisés au projet, à travers des ateliers pédagogiques, des actions de médiation durant les fêtes de la Ville ou des visites sur le toit. La fabrique de la flèche leur est d’abord destinée. Ils ont pu venir gratuitement le 19 octobre dernier et il y aura trois autres journées de gratuité annuelles. Accueillir dans la plus grande banlieue populaire de France une part majeure de l’histoire de France, ce n’est pas rien !

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°664 du 31 octobre 2025, avec le titre suivant : Nicolas Matyjasik : « Nous reprenons la reconstruction interrompue au XIXe siècle »

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