Art ancien

ART OUZBEK

L’Ouzbékistan dévoile ses trésors à Paris

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2022 - 971 mots

PARIS

Le Louvre et l’Institut du monde arabe accueillent deux expositions organisées avec la Fondation pour le développement de l’art et de la culture de l’Ouzbékistan. Le pays d’Asie centrale y présente des œuvres jamais sorties de son territoire.

Vue de l'exposition Sur les routes de Samarcande (Ouzbékistan) à l'Institut du monde arabe. © IMA
Vue de l'exposition « Sur les routes de Samarcande » à l'Institut du monde arabe.
© IMA

Paris. Deux expositions, une seule et même histoire. Au Louvre, le parcours commence au moment de l’époque post-héllénistique, lorsque l’Asie centrale formait le royaume de Bactriane, pour s’achever avec le règne d’Amir Timur à la fin du XIVe siècle – connu en Europe sous le nom de « Tamerlan ». À l’Institut du monde arabe (IMA), c’est une période plus récente que l’on découvre, mêlant arts du tissu et histoire politique, lorsqu’un dirigeant local choisit le caftan (manteau traditionnel des peuples nomades) et le suzani (tissu d’aménagement intérieur) pour unifier la mosaïque de peuples que compose l’actuel Ouzbékistan, à la fin du XIXe siècle.

Magnifiées par la scénographie du BGC Studio, les deux expositions sont une parfaite introduction à l’histoire et à l’art de l’Ouzbékistan, un pays encore peu connu du public français mais qui fait résonner des noms mythiques jalonnant la Route de la soie : Samarcande, Boukhara, Khiva.

Derrière cet effort tant pédagogique qu’esthétique, on trouve la Fondation pour le développement de l’art et de la culture de l’Ouzbékistan, une structure au financement public – et aux budgets tenus secrets – qui seconde son ministère de la Culture dans le développement d’une stratégie culturelle forte. Présidée par la fille du président de la République Shavkat Mirziyoyev, la Fondation est symptomatique du dégel progressif d’un État isolé depuis la fin de l’URSS par le règne du dictateur Islam Karimov. Élu en 2016, Mirziyoyev souhaite faire de l’Ouzbékistan le cœur névralgique de l’Asie centrale, dont il est le pays le plus peuplé (35 millions d’habitants). Aussi, c’est bien le nom du pays et non celui de cette région du continent asiatique que porte l’exposition du Louvre, bien que l’histoire des Routes de la soie et des peuples nomades excèdent les frontières tracées par Staline en 1929.

Pour Yannick Lintz – qui a préparé l’exposition du Louvre en tant que directrice du département des Arts de l’Islam avant de prendre la présidence du Musée Guimet –, c’est un partenariat exemplaire : le musée parisien met ses espaces à disposition pour dévoiler des pièces exceptionnelles dans une présentation qui pallie les lacunes de ses propres collections. Et ce sont des restaurateurs français qui ont travaillé à la restauration sur place des pièces exposées, ainsi qu’à la formation de professionnels qui font cruellement défaut au pays pour remplir ses objectifs ambitieux. La fondation ouzbèke, de son côté, prend en charge la facture, sans peser trop sur le récit développé par les deux musées. Amir Timur, figure incontournable du roman national ouzbèke et omniprésente dans le paysage de la capitale Tachkent, n’est présent qu’à travers la porte en bois de son mausolée.

Le choix du Louvre n’est pas fortuit : l’Ouzbékistan est, depuis une décennie, le terrain d’action de Rocco Rante, l’un des archéologues du musée, spécialiste des civilisations nomades. Il a dû, avec Yannick Lintz, condenser un millénaire d’histoire mouvementée en une cinquantaine de pièces. Un défi relevé par l’archéologue et la conservatrice – dont le motto au département de l’Islam était de « décentrer le regard sur le monde islamique de la Méditerranée »– car la brièveté du parcours est compensée par le caractère exceptionnel des œuvres, chacune illustrant les enjeux d’une période.

Des artisans « de cour »

Plus compliquée est la justification d’une exposition sur l’Ouzbékistan à l’Institut du monde… arabe. Si ce choix ne va pas défaire les amalgames récurrents entre pays musulmans et monde arabe (l’Ouzbékistan est un pays de cultures turque et iranienne, et de religion musulmane), le président de l’IMA, Jack Lang, explique ce parcours par un nouvel axe de développement de l’Institut autour « des routes de la soie », notamment matérialisé par un partenariat avec la Chine. Le goût très sûr de la commissaire, l’éditrice de luxe Yaffa Assouline, et la mise en scène onirique du Studio BCG font vite oublier cet égarement géographique. S’ouvrant sur une salle consacrée aux caftans, ces manteaux cérémoniels héritiers des tuniques des nomades, le parcours n’est pas seulement un plaisir des yeux, il est également problématisé autour de la notion de « pouvoir ». Les pièces textiles y sont présentées comme des chefs-d’œuvre, et à juste titre : elles sont le fruit du travail d’artisans de cour, au statut social prestigieux, recrutés par l’émir de Boukhara dès la fin du XVIIIe siècle. Première dynastie à ne pas être en descendance directe de Gengis Khan, les Manghits réactivent des savoir-faire populaires pour unifier les divers peuples et leurs langues qui recouvrent ce territoire, aujourd’hui au centre de l’Ouzbékistan.

Minorité turcophone

Historique, le propos prend aussi une teinte anthropologique en mettant en scène les suzani, de magnifiques tissus dont l’usage va du couvre-lit au tapis de prière, pièces centrales de la dot de la mariée. Artisanat féminin et domestique, le suzani est aussi un art complexe qui connaît ses propres règles et son vocabulaire : après les apparats dorés de la cour, issus d’un artisanat masculin, cette section ouvre une porte sur les créations avec lesquelles les populations vivaient (et vivent encore aujourd’hui) quotidiennement.

La fin du parcours est consacrée aux Karakalpaks : des bijoux splendides issus de cette minorité turcophone qui rappellent la diversité ethnique de l’Ouzbékistan, mais aussi les limites du « dégel » démocratique et de l’ouverture sur le monde de l’Ouzbékistan, dont ces expositions sont le symbole. La minorité du nord-ouest du pays fait en effet depuis cet été l’objet d’une répression violente, dénoncée par l’ONG Human Rights Watch, qui aurait fait vingt et une victimes et des centaines de blessés. Visitées par Emmanuel Macron et Shavkat Mirziyoyev le 22 novembre dernier, à l’occasion de la signature d’une dizaine de accords de coopération, ces deux expositions sont aussi un support diplomatique.

Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan,
jusqu’au 6 mars 2023, Musée du Louvre, aile Richelieu, rue de Rivoli, 75001 Paris.
Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d’or,
jusqu’au 4 juin 2023, Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, place Mohamed-V, 75005 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : L’Ouzbékistan dévoile ses trésors à Paris

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