Droit

Les photos de mariage sont-elles des œuvres d’art ?

LUXEMBOURG

L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne considère qu’une photographie de mariage peut être qualifiée d’« objet d’art ».

Mariage à la Redentore, sur l'île de la Giudecca à Venise - Photo Ludosane 2019
Mariage à la Redentore, sur l'île de la Giudecca à Venise.
© Ludovic Sanejouand, 2018

Luxembourg. Comme souvent en droit, c’est par une question d’ordre fiscal que l’on aborde des problèmes touchant à la création. En principe, selon le code général des impôts français, les livraisons d’œuvres d’art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit peuvent bénéficier de l’application d’un taux réduit de TVA. Par « œuvre d’art », l’article 98 A de l’annexe III de ce même code vise notamment « les photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus ». Une instruction de l’administration fiscale de 2003 précise que seules « les photographies qui portent témoignage d’une intention créatrice manifeste de la part de leur auteur » peuvent être considérées comme des œuvres d’art susceptibles de bénéficier du taux réduit de TVA. En sont exclues par conséquent les photos d’identité, scolaires ou de groupes ainsi que les photos illustrant des événements familiaux ou religieux.

Dans cette affaire, à la suite d’une vérification de comptabilité, une société spécialisée dans la réalisation et la vente de photographies a fait l’objet de rappels de TVA sur la période 2009-2012 par l’administration fiscale, pour qui l’application du taux réduit adopté par la société lors de la livraison des portraits et photos de mariage n’avait pas lieu d’être. Le tribunal administratif d’Orléans et la cour d’appel administrative de Nantes ont rejeté le recours formé par la société. Pour la cour en effet, il ne suffit pas que les critères matériels du code général des impôts (CGI) soient remplis, encore faut-il que les photographies, quelle que soit leur qualité, présentent « un caractère d’originalité » et manifestent « une réelle intention créatrice, susceptible de les faire regarder […], comme des photographies prises par un artiste et par suite comme des œuvres d’art ».

Comment interpréter la directive européenne ?

S’estimant cependant bien fondée et légitime, la société a saisi le Conseil d’État. Le 20 février 2018, celui-ci a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin de lui poser une « question préjudicielle » sur l’interprétation des dispositions litigieuses de la directive européenne relative au système commun de TVA, transposées dans le CGI. En effet, ces dispositions doivent-elles être interprétées « en ce sens qu’elles imposent seulement que les photographies soient prises par leur auteur, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus, pour pouvoir bénéficier du taux réduit de la TVA » ? Dans l’affirmative, le Conseil d’État demandait à la CJUE de lui préciser s’il était néanmoins possible pour un État membre comme la France d’exclure une photographie n’ayant pas de caractère artistique du bénéfice du taux réduit de TVA.

Dans ses conclusions rendues le 7 mars dernier, l’avocat général de la CJUE a censuré le raisonnement soutenu par le gouvernement français pour qui l’appréciation du terme « artiste » – mentionné tant dans les dispositions de la directive que dans le CGI – justifiait de l’application de conditions supplémentaires tenant au caractère artistique des photographies. Selon lui, cette « précision relative à l’exécution personnelle de l’objet a pour unique objectif d’exclure du bénéfice de l’application [du taux réduit de TVA] les objets de production industrielle de masse ainsi que les simples copies ou les reproductions non exécutées personnellement par l’auteur ». Seuls les critères objectifs tenant à la prise de vue et au tirage sur papier ou tout autre support matériel sont à prendre en considération pour qualifier d’objet d’art une photographie, à l’exclusion de toute autre exigence relative au « sujet requis ou exclu de la photographie, son niveau artistique, ou encore la qualité de son auteur ».

L’administration n’est pas critique d’art

C’est pourquoi l’avocat général recommande à la CJUE de répondre par l’affirmative à la question qui lui est posée par le Conseil d’État, en retenant que les dispositions de la directive imposent « seulement que les photographies soient prises par leur auteur, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus, pour pouvoir bénéficier du taux réduit de la TVA », et que « les États membres ne sont pas habilités à appliquer […] des exigences supplémentaires fondées sur des critères vagues ou laissant une marge d’appréciation aux autorités chargées de l’application des dispositions fiscales, tels que le caractère artistique d’un objet ».

En effet, « en transformant l’administration française en critique d’art », l’instruction de 2003 « porte nécessairement atteinte à la sécurité juridique, au principe de neutralité fiscale et à la concurrence » et « est donc contraire aux principes généraux régissant le système commun de la TVA ».

La CJUE, qui n’est pas liée par la solution proposée par l’avocat général, ne s’est pas encore prononcée.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°521 du 12 avril 2019, avec le titre suivant : Les photos de mariage sont-elles des œuvres d’art ?

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