Russie - Politique

Le patriarche ouvre un nouveau front contre les musées russes

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 20 mars 2019 - 834 mots

MOSCOU / RUSSIE

L’Eglise orthodoxe demande cette fois la restitution du Monastère d’Andronikov qui abrite une importante collection d’icônes.

Musée Andreï Roublev situé dans le monastère Andronikov à Moscou
Musée Andreï Roublev situé dans le monastère Andronikov à Moscou
Photo Guldfisken, 2012

L’église orthodoxe va-t-elle mettre la main sur la principale collection d’icônes du génial Andreï Roublev ? Le patriarche Kirill a en effet demandé le mois dernier la restitution à l'église orthodoxe russe de l’ensemble du parc immobilier du monastère d’Andronikov, qui comprend le musée portant le nom du plus célèbre des peintres médiévaux russes. Cette demande a été rendue publique lundi 18 mars par l’Agence de gestion des biens fédéraux, qui doit statuer dans les prochains mois sur la demande de restitution au clergé de ce bien saisi par les bolchéviques en 1917 et resté depuis propriété de l’État russe. 

Église de l'archange Saint-Michel et à droite la cathédrale du Sauveur du monastère Andronikov à Moscou
Église de l'archange Saint-Michel et à droite la cathédrale du Sauveur du monastère Andronikov à Moscou
Photo Lodo27, 2007

Le monastère a été fondé en 1360 par le moine Andronikov, qui lui a donné son nom. Le peintre Andreï Roublev y résida la plus grande partie de sa vie de 1370 à 1427. La cathédrale du Sauveur du monastère Andronikov fut construite entre 1425 et 1427 et reste à ce jour le plus ancien bâtiment de la capitale russe encore debout.

L’Église orthodoxe russe s’appuie sur une loi octroyant au patriarcat le droit de récupérer n’importe quel bien (mobilier ou immobilier) lié de près ou de loin à l’orthodoxie. Le clergé réclame ainsi l’ensemble du monastère : le réfectoire du XVIe siècle, le bâtiment fraternel et les églises antérieures du XVIIe siècle, l'église de l’Archange Saint-Michel du XVIIe siècle et la cathédrale Sauveur du XVe siècle. 

La balle est désormais dans le camp de de l’Agence de gestion des biens fédéraux. Celle-ci doit dans un premier temps mener des consultations avec le ministère de la culture, qui la plupart du temps préfère éviter tout affrontement avec le patriarche, politiquement bien plus solide et plus proche du coeur du pouvoir, c’est-à-dire de Vladimir Poutine. Les conservateurs de musées et les Archives d’État, dont le poids est moindre, doivent être aussi consultés. 

Généralement, le clergé orthodoxe parvient à ses fins. Sauf quand l’opinion publique réagit négativement, comme ce fut le cas pour la restitution de la cathédrale Saint-Isaac de Saint Pétersbourg. Au terme d’une bataille de trois ans entre, d’un côté, les conservateurs de musées et l’opinion publique, de l’autre, le clergé et les édiles locales, le premier camp a eu gain de cause en janvier dernier. 
Ce conflit est strictement de nature patrimoniale, car toutes les églises dont le clergé demande la restitution sont depuis trois décennies redevenues des lieux de culte. Les opposants à la restitution cherchent à protéger les musées et les collections qui cessent d’être des biens publics dès que le clergé orthodoxe en reprend la propriété. 

Le Sauveur de Gavchinki (c. 1200), une des plus anciennes icônes exposées au Musée Andreï Roublev
Le Sauveur de Gavchinki (c. 1200), une des plus anciennes icônes exposées au Musée Andreï Roublev
Photo Wikimedia

La collection du musée Andreï Roublev comprend des milliers d’icônes uniques et inestimables. Plusieurs scientifiques et conservateurs de musées mettent en doute les pratiques de conservation et les techniques de restauration des icônes par les spécialistes du clergé.

Le directeur du Musée Andreï Roublev, Mikhaïl Mindlin, a déjà envoyé une réponse à l’Agence fédérale de gestion des biens et au ministère de la Culture, sous l’autorité duquel il fonctionne. « Nous sommes contre le transfert de l'ensemble du complexe du monastère de l’église. C’est inacceptable et injustifié dans la mesure où la présence du musée dans les murs du monastère Andronov ne gêne en rien le patriarcat de Moscou ». Il ajoute qu’une restitution globale est « impossible, car il faudra alors jeter le musée dans la rue »
Le bras de fer vient de commencer et n’a guère de résonance médiatique jusqu’ici. Mindlin peut compter sur le soutien des conservateurs de musées et d’une parte du ministère de la culture, mais on imagine mal une mobilisation populaire comme à Saint-Pétersbourg, où il s’agissait de défendre un des monuments les plus emblématiques de la ville, situé en plein centre. 

Le monastère Andronikov est excentré, mal connu et son musée fréquenté par un maigre public de médiévistes et de passionnés. Et Mindlin est handicapé par deux affaires. Son nom a été cité dans le « scandale des restaurateurs » (une affaire de détournement de fonds publics) et il a longtemps dirigé le Centre national d’art contemporain en mauvais terme avec l’orthodoxie ultra-conservatrice et le pouvoir politique.

La position de principe du président de l’Union des musées russes Mikhaïl Piotrovsky (également directeur de l’Ermitage) est que la loi de restitution n°327-FZ doit être corrigée. Lors d’une session de l’Union le 19 février dernier, Piotrovsky a critiqué cette loi « qui ne prend en compte que les intérêts d’une des deux parties » et n’offre pas « de garanties de conservation des biens culturels ni des musées. »

En face, le patriarche a mis en première ligne un interlocuteur de poids. Sergueï Karnaoulov, directeur du « Mouvement pour la renaissance du monastère Andronikov », est un ancien vice-gouverneur, vétéran de la seconde guerre de Tchétchénie, un officier du ministère de l’intérieur rompu à la lutte contre l’opposition russe, et un dévot. Pour éviter un revers comme à Saint-Pétersbourg, le patriarche a cette fois opté pour la stratégie du Blitzkrieg (« guerre éclair ») .
 

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