Le ministère au cœur de la réforme

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2009 - 1020 mots

S’il est un ministère qui est devenu tout sauf une sinécure, c’est bien celui de la Culture et de la communication.

La discrète Christine Albanel l’aura appris à ses dépens. Après deux années consacrées à la mise en œuvre des préconisations du président de la République en matière culturelle, l’ancienne plume de Jacques Chirac a été remerciée sans égard, en juin 2009, après les multiples couacs du vote de la loi Hadopi. Et son successeur, le populaire Frédéric Mitterrand, aura vu sa lune de miel avec l’opinion brutalement interrompue par la violente polémique relative à un livre publié en 2005 (La Mauvaise Vie, éditions Robert Laffont). Fortement affaibli politiquement, peu coutumier des rouages de l’administration et des questions techniques, le ministre semble depuis peiner à reprendre la main sur des dossiers de plus en plus étroitement contrôlés par Matignon.

2010 sera pourtant une année de profonde mutation pour le ministère de la Culture. Dès janvier, la nouvelle architecture administrative devra faire ses preuves alors que les foudres de la révision générale des politiques publiques s’abattront désormais sur les opérateurs du ministère. Cela, alors que les rapports avec les collectivités locales, cofinanceurs de la culture, pourraient à leur tour être ébranlés par la réforme administrative des territoires. Celle-ci prévoit de retirer aux départements et aux régions leur compétence générale – que seules les communes conserveront. Or, elle leur permettait notamment d’agir en faveur du secteur culturel, au-delà de leurs seuls domaines réservés d’intervention.

Une mission sur le livre numérique
Christine Albanel, ministre de la Culture de mai 2007 à juin 2009
« Dès janvier, un nouveau paysage audiovisuel a été mis en œuvre avec la suppression de la publicité sur France Télévisions. Il s’agissait d’une loi difficile, mais qui a eu un impact direct sur la vie des gens. Il faut aussi citer l’instauration de la gratuité dans les musées nationaux pour les jeunes de moins de 26 ans. Cette mesure a marché dès le départ et crée une vraie familiarité avec les musées. Je pense également aux 25 % supplémentaires accordés au budget du patrimoine, dans le cadre du plan de relance mais aussi dans les années à venir. Ils permettent de lancer de grands projets, comme le « Plan cathédrale », et de soutenir tout un secteur d’activité. Enfin, à titre plus personnel, je garde en mémoire la cérémonie de remise de décoration à Dustin Hoffman qui, pour moi, est évidemment l’un des plus grands acteurs au monde. Il était très ému et a fait une véritable déclaration d’amour à la France.
Le Premier ministre, en liaison avec le ministre de la Culture, vient de me confier une mission sur le livre numérique. Celle-ci comprend trois axes : sensibiliser la Commission européenne et nos partenaires aux décisions qui seront prises à l’issue de la mission Teissier sur la numérisation du patrimoine culturel, car l’enjeu est évidemment européen ; lutter contre le piratage en envisageant la manière dont les éditeurs peuvent s’inscrire dans la loi Hadopi et s’il y a lieu d’y apporter des modifications ; enfin faciliter, si nécessaire, la mise en place d’une offre légale réellement attractive. Mes conclusions seront remises en avril 2010. »
 
Le fonds de dotation, un outil en faveur du mécénat
Jean-Luc Soulé, président de Mec’ene, société de conseil en mécénat, et maître de conférences à Sciences Po Paris
« Globalement, le mécénat en France a assez bien résisté à la crise. Les particuliers donnent à des causes ciblées. Pour les entreprises, les montants en jeu, certes importants en valeur (2,5 milliards d’euros), sont assez faibles au regard de l’ensemble du secteur de la communication d’entreprise et correspondent à une démarche pérenne, qui n’a de sens que si elle s’inscrit durablement dans la culture et la stratégie. Si le mécénat semble avoir peu souffert des difficultés économiques, on peut cependant constater une évolution des pratiques concernant en particulier un déplacement des dons en faveur du secteur de la solidarité ou de l’environnement, au relatif détriment du secteur de la culture et du patrimoine.
Le fonds de dotation, procédure en place depuis février 2009, est un formidable outil en faveur du mécénat, comme le prouve le rythme des créations (130 en 9 mois). Cet outil peut contribuer à créer un véritable mouvement à l’échelle territoriale ou sectorielle en poussant les fondateurs intéressés à se regrouper pour initier un mécénat collectif autour de projets d’intérêt général bien identifiés. Le mécénat peut ainsi devenir un élément prépondérant de la stratégie des territoires, avec une implication de proximité. L’enjeu réside dans cette capacité à s’adapter aux évolutions de la société, au plus près des citoyens. »
 
 2010, une année d’incertitudes
Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoire des politiques culturelles
« La réforme du ministère de la Culture a conforté son rôle de ministère de plein exercice. Toutefois, toute son énergie a été captée par cette réorganisation, ce qui a pu donner le sentiment qu’il s’éloignait de sa mission fondamentale. La question est de savoir ce que cette réforme produira pour la culture. Les fonctions du ministère seront rassemblées de manière plus transversale. Pourquoi pas, si c’est pour générer des interactions plus dynamiques entre les secteurs. Les artistes eux-mêmes ne travaillent-ils pas de plus en plus dans une logique d’hybridation ? Cela peut être intéressant pour traiter d’enjeux globaux, comme les questions relevant de la démocratisation des pratiques, de l’éducation artistique ou liant culture et développement durable. Mais cette réorganisation a-t-elle vocation à dégager de nouvelles marges de manœuvre pour l’action ? Plus que la réforme du ministère, le vrai problème me semble être l’esprit de la RGPP [Révision générale des politiques publiques] qui conduit à une réduction du personnel et des moyens…
Cette réforme est un sujet d’inquiétude, notamment du fait de la suppression de la clause de compétence générale des départements et des régions, un principe qui leur a notamment permis d’investir librement le champ culturel. Or, sans cette faculté d’intervention, c’est toute l’action de proximité en faveur de la création artistique qui pourrait être remise en cause. Une autre conséquence sera le bouleversement de l’équilibre politique qui était assuré par la pluralité des financements. 2010 s’annonce comme une année d’incertitudes. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°315 du 11 décembre 2009, avec le titre suivant : Le ministère au cœur de la réforme

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