Les musées en temps de crise

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2009 - 1114 mots

Les défenseurs du patrimoine ont été mis à rude épreuve en 2009.

Une année marquée par « l’affaire de l’hôtel Lambert », ce projet controversé de restauration d’un fleuron architectural du XVIIe siècle situé sur l’île Saint-Louis, à Paris, qui a provoqué une telle fronde que les travaux, après avoir reçu le feu vert de la Rue de Valois, sont, pour l’heure, suspendus. Largement médiatisée, la polémique a parfois masqué des faits plus graves encore, comme la destruction de l’hôtel Reichenbach, témoin de l’architecture Art déco parisienne, et celle, programmée, d’une œuvre majeure des frères Perret, propriété de la Marine nationale dans le 15e arrondissement de la capitale. Malgré la promesse d’une enveloppe budgétaire supplémentaire de 100 millions d’euros pour les monuments historiques, l’année 2010 ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices avec l’article 52 du projet de loi de finances proposant de transférer aux collectivités territoriales tout bien historique appartenant à l’État (lire p. 10), la remise en cause du rôle des architectes des Bâtiments de France liée au plan de relance de l’économie, sans oublier la délocalisation annoncée de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (lire p. 9). Côté musées, la situation a été plus réjouissante avec l’inauguration du Musée Magritte à Bruxelles, d’une antenne de l’Ermitage à Amsterdam, de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image à Angoulême et de la Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais, ou du Musée Brandhorst à Munich. L’année 2010 devrait, pour sa part, voir se concrétiser un projet des plus ambitieux : l’ouverture du Centre Pompidou-Metz.

Le musée, source de réjouissance
Mark Jones, directeur du Victoria and Albert Museum, à Londres
« L’année 2009 s’est révélée surprenante. Nombre d’entre nous craignaient que la récession ait un effet négatif. Or, la fréquentation a augmenté, même s’il a été difficile d’attirer les dons [des visiteurs en contrepartie de l’entrée gratuite de l’institution]. Certes, les musées reposant sur l’endowment [fonds de dotation] ont dû faire face à de vrais défis. Le plus surprenant a été de voir des gens, inquiets par la récession, considérer le musée comme une véritable source de réjouissance. Pour ce qui est des tendances à venir, la plus significative est le déplacement du centre de gravité de la culture : les musées d’Asie gagnent en poids sur la scène internationale. Et je me réjouis de voir avancer les chantiers du projet de quartier culturel de West Kowloon à Hong Kong et de l’île Saadiyat à Abou Dhabi [Émirats arabes unis]. »
 
Le Louvre a bien résisté à la crise
Henri Loyrette, président-directeur général du Louvre
« Pour ce qui est des ressources publiques, le Louvre, comme tous les musées, a contribué en 2009 à l’effort de maîtrise des dépenses publiques avec une baisse de sa subvention d’environ 5 %. Mais, globalement, il a bien résisté à la crise en ce qui concerne ses ressources propres qui seront, en 2009, quasiment stables par rapport à 2008. En effet, la fréquentation du musée, égale à celle record de 2008, permet une stabilisation des recettes de billetterie (l’exposition « Rivalités à Venise » est, à cet égard, un très grand succès). Quant aux recettes de mécénat, elles ne diminuent pas, voire, pour certains projets d’investissement, tel le département des Arts de l’Islam, sont marquées par l’obtention de mécénats tout à fait exceptionnels.
La programmation 2010 s’aventurera sur des terres nouvelles. J’évoquerai nos grandes expositions : « Sainte Russie », en mars qui, pour la première fois, présentera un très large panorama de l’art russe des origines à Pierre le Grand, et, parallèlement, « Méroé » consacrée à la mythique capitale de l’antique royaume sur le Nil ; puis, à l’été, « Routes d’Arabie » présentera des trésors jamais sortis d’Arabie saoudite ; à l’automne, enfin, une grande exposition pluridisciplinaire montrera ce que la redécouverte et l’étude de l’antique ont apporté aux néoclassicismes qui marquent l’Europe du XVIIIe siècle. Le Louvre poursuivra également sa politique de commande à des artistes contemporains avec l’installation de vitraux conçus par François Morellet pour l’escalier Lefuel et un grand plafond créé par Cy Twombly pour la salle des Bronzes. »
 
Provoquer la surprise
Laurent Le Bon, directeur du projet du Centre Pompidou-Metz
« Les temps forts architecturaux ont été nombreux en 2009 : la pose de la toiture en avril a été un moment spectaculaire de la vie du chantier. Le public est d’ailleurs venu régulièrement observer son avancée. Autre événement majeur et symbolique en septembre : la pose de la flèche, qui s’élève à 77 mètres en clin d’œil à l’année d’inauguration du Centre Pompidou. Du 15 mai au 4 octobre 2009, « Constellation », la manifestation de préfiguration du Centre Pompidou-Metz, qui s’est déroulée dans l’agglomération de Metz Métropole, en Moselle et en Lorraine, a été un moment majeur avec plus de 300 000 visites !
En mai 2010, tout sera mis en œuvre pour provoquer la surprise, l’émerveillement et le plaisir de tous avec l’exposition inaugurale « Chefs-d’œuvre ? », présentée sur la totalité des espaces d’exposition du Centre Pompidou-Metz (5 000 m2). « Chefs-d’œuvre ? » représente la plus grande opération de prêt jamais réalisée par le Centre Pompidou, avec plus de 500 œuvres proposées au public. »
 
Le LaM, un lieu de charme à découvrir
Sophie Lévy, directrice du LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut Lille Métropole, à Villeneuve d’Ascq (Nord)
« Pour l’année 2009, ce sont deux textes que je retiens, et les deux images qu’ils évoquent. Didier Ottinger, dans le catalogue de la triennale « La force de l’art » utilise l’image du terrier, d’après Kafka, pour parler d’une certaine situation de résistance des artistes et des commissaires d’exposition face à l’assimilation de l’art contemporain à la société. Un peu plus tard, Philippe Vergne, dans le catalogue de la Xe Biennale de Lyon, parle de la mélancolie qui saisit l’historien face au spectacle de l’art de son temps, qui saisit l’homme face au monde. Je trouve ces expressions de retrait à la fois justes et réconfortantes.
J’envisage l’année 2010 comme un fil tendu vers le 25 septembre, date de réouverture du Musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq après quatre ans de travaux, sous une nouvelle identité : le LaM (Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut Lille Métropole). Au cœur d’un territoire européen, les deux architectures embrassées de Roland Simounet et Manuelle Gautrand, lovées dans un parc de sculptures, s’ouvriront sur une exceptionnelle collection d’art moderne, fruit du don de Jean et Geneviève Masurel, une collection d’art contemporain qui n’a cessé de s’enrichir, et une collection d’art brut unique en France, offerte par l’association L’Aracine. Un lieu de charme pur que nous nous emploierons à faire découvrir. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°315 du 11 décembre 2009, avec le titre suivant : Les musées en temps de crise

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