Art ancien

Brera

Le « Caravage » de Toulouse ne fait pas encore consensus

L'expert en charge de la vente du tableau qu'il attribue au Caravage organise une confrontation avec d'autres toiles du peintre et de son émule à la Pinacothèque de la Brera, à Milan.

Par Carole Blumenfeld · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2016 - 956 mots

Le tableau retrouvé en 2014 dans un grenier à Toulouse, est présenté comme un Caravage dans une exposition à la Pinacothèque de Brera, sans pour autant recueillir une forte adhésion sur son attribution.

Milan - Devant un parterre de quelque 140 journalistes italiens et seulement deux journalistes français (du Journal des arts), lundi 7 novembre, Nicola Spinosa, ancien directeur du Museo di Capodimonte et commissaire du Dialogue Intorno a Caravaggio, a lancé : « Je suis obligé de me lever, car je suis assis sur des charbons ardents ». C’est peu de dire que le tableau Judith tranchant la tête d’Holopherne retrouvé en 2014 dans un grenier de Toulouse met toute la communauté des historiens de l’art en émoi. À commencer par les autorités françaises qui ont refusé le certificat d’exportation en mars dernier au motif que « le parcours et l’attribution restent encore à approfondir ». Un euphémisme, car ce processus n’en est encore qu’à ses balbutiements. Parmi les spécialistes sollicités jusqu’à présent, seuls Nicola Spinosa et le professeur Gianni Papi se sont prononcés publiquement sur l’auteur du tableau. Le premier est un fervent partisan de l’attribution à Caravage, le deuxième y reconnaît plutôt la main de Louis Finson.

À Milan, Francesca Cappelletti de l’Università di Ferrara, une spécialiste de la peinture caravagesque, s’est glissée parmi la foule des journalistes. La chercheuse qui avait déjà vu le tableau à Paris – depuis le mois d’avril le Cabinet Turquin ouvre ses portes à toutes les personnes voulant le découvrir – reste sceptique. « Je ne crois pas, explique-t-elle, à l’attribution à Caravage, non seulement pour des motifs stylistiques – nulle part ailleurs dans l’œuvre de Caravage ces éléments ironiques n’apparaissent –, mais aussi parce que la démarche historico-critique est peu solide. Certes des mentions archivistiques indiquent qu’il existait une Judith peinte par Caravage à Naples, mais pourquoi serait-ce ce tableau-ci ? ».

Jusqu’à présent, Keith Christiansen, directeur du Department of European Paintings du Metropolitan Museum of Art, avait refusé de donner officiellement son avis, même si de son côté Nicola Spinosa n’en faisait pas mystère. Il nous avait ainsi confié : « Je tiens à démontrer que la Judith de Toulouse n’a pas été peinte à Rome vers 1604-1605 comme le pense mon ami Keith Christiansen, mais plutôt à Naples vers 1606-1607 » (Journal des Arts, 24 octobre 2016). Or l’opinion de Christiansen est capitale, d’autant plus qu’il est l’un des historiens de l’art les plus respectés et actuellement en poste dans une institution rivale du Louvre. Exceptionnellement il a accepté de nous parler fin octobre : « Vous savez, je ne vois pas qui d’autre que Caravage aurait pu peindre ce tableau, mais il y a des passages qui posent problème et cela nécessite une explication. Il est indispensable qu’un chercheur publie le tableau en s’appuyant sur les analyses techniques, présente son argumentaire, propose une datation et la façon dont il l’intègre dans la chronologie de Caravage. Cela établira des bases solides pour une réelle discussion. À ce stade, ce n’est pas le cas. »

Un joli coup pour la Brera

Le nouveau « super directeur » de la Brera, James Bradburne s’attire en revanche un joli coup de projecteur. Après les vernissages presse et « VIP » du lundi 7 novembre (1), il a d’ailleurs réservé les deux journées suivantes aux taxis et aux concierges, les « véritables ambassadeurs de Milan », de quoi mettre la ville en émoi. Avec un humour bien anglais, il a d’ailleurs demandé au personnel de la Brera de porter un pin’s représentant un astérisque, qui rappelle que sous le cartel du tableau de Toulouse, se trouve une mention indiquant que sa présentation sous le nom de Caravage est une condition du prêt et ne reflète pas nécessairement la position officielle du musée. Toutes les recettes du succès sont donc au rendez-vous et lors du cocktail très chic du lundi soir, les Milanais triés sur le volet se réjouissaient autour de petits fours du retour d’un Caravage dans sa ville natale, tout en ayant un avis personnel sur l’auteur du tableau. Au cours des prochaines semaines, le « feuilleton Caravage » devrait ainsi animer la presse italienne, d’autant plus qu’un ouvrage de Franco Moro, publié par l’éditeur Allemandi, propose l’attribution de 69 nouvelles œuvres à Caravage !

Pourtant a priori, le « dialogue » ne devait pas être très stimulant, le musée milanais n’ayant pas obtenu le prêt de la Judith et Holopherne du Palazzo Barberini, première version de la composition réalisée par Caravage, et la comparaison avec La Cène à Emmaüs de la Brera peinte par Caravage lors de sa fuite de Rome semblait un peu artificielle. Or la présentation du tableau de Toulouse aux côtés de la copie ancienne de l’Intesa Sanpaolo est fort intéressante. Face aux deux Finson authentiques du Musée des beaux-arts de Marseille, Nicola Spinosa récuse l’attribution à Finson du tableau napolitain dont la qualité est fort médiocre. Soulignant que les tableaux marseillais datent de la période provençale de Finson, fort différente, Gianni Papi – qui s’est finalement rendu à la Brera le 17 novembre – nous a en revanche confié ne pas avoir changé d’avis : « Je pense que les deux tableaux sont bien de la main de Finson, celui de Toulouse aurait été peint vers 1607 et celui de l’Intesa Sanpaoplo quelques années après, avant que le peintre ne quitte Naples en 1612. »

Si les deux œuvres semblent bien avoir été peintes dans le même atelier sur des toiles issues du même rouleau ou d’un rouleau identique (à Milan, les coutures parallèles sont bien visibles), leur parcours et leurs attributions (et leurs datations) restent encore à « approfondir ». Les débats restent ouverts.

Note

(1) Exposition jusqu’au 5 février 2017

Légende photo

Le tableau Judith tranchant la tête d’Holopherne (circa 1604-1605 ?) découvert dans un grenier toulousain en avril 2014. La peinture est attribuée au Caravage par le cabinet d'expertise Eric Turquin - Photo Studio Sebert

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°468 du 25 novembre 2016, avec le titre suivant : Le « Caravage » de Toulouse ne fait pas encore consensus

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