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Le « Caravage de Toulouse » bientôt exposé à la Brera

Par Carole Blumenfeld · lejournaldesarts.fr

Le 24 octobre 2016 - 1182 mots

MILAN / ITALIE

MILAN (ITALIE) [24.10.16] - La Pinacothèque de la Brera présentera le 7 novembre prochain la Judith tranchant la tête d’Holopherne, découverte à Toulouse et que le cabinet Turquin attribue au Caravage. La Brera procédera alors aux confrontations que la France s'était engagée à faire.

Caravage Judith  Holopherne Toulouse
Le tableau Judith tranchant la tête d’Holopherne (c. 1604-1605 ?) découvert dans un grenier toulousain en avril 2014. La peinture est attribuée au Caravage par le cabinet d'expertise Eric Turquin.
© Photo Studio Sebert

« Le 7 novembre prochain, le nouveau parcours du mianiérisme au baroque sera inauguré avec un nouvel accrochage de La Cène à Emmaüs de Caravage dans le grand salon central, de telle sorte que le naturalisme de Caravage entre en dialogue avec celui des Carrache », confie en exclusivité au Journal des Arts, Nicola Spinosa responsable scientifique du projet. A cette occasion, le musée milanais, comme il l’a déjà fait à deux reprises autour de leurs œuvres de Mantegna et de Perugin, proposera non pas une exposition, mais un dialogue entre La Cène à Emmaüs et la Judith « redécouverte » par le cabinet Turquin, dont le commissariat a également été confié à Nicola Spinosa.

Caravage Judith et Holopherne
Le Caravage (1571-1610), Judith décapitant Holopherne, 145 x 195 cm, c. 1598-1599, huile sur toile, Galleria Nazionale d'Arte Antica / Palazzo Barberini à Rome
Photo Wikimedia

La « redécouverte » de ce tableau chez des particuliers à Toulouse par l’antiquaire Eric Turquin avait fait grand bruit à l’époque. Si la Judith et Holopherne réalisée par Caravage (1571-1617) à Rome (Rome, Galleria Nazionale d’Arte Antica-Palazzo Barberini) est bien connue, le peintre aurait peint une autre version, probablement lors de son séjour à Naples.

Les documents anciens, notamment une lettre envoyée de Naples par Frans Pourbus le jeune (1569-1622) au duc Vincente 1er de Gonzague en septembre 1607 dans lequel il faisait mention d’un original de Caravage représentant le même sujet et appartenant aux peintres Louis Finson (1580-1617) et Abraham Vinck, ont souvent été cités. Dans le testament de Finson rédigé à Amsterdam en 1617, l’œuvre est une nouvellement fois mentionnée comme de la main de Caravage. En outre, il y a une trentaine d’année, un tableau alors donné à Artemisia Gentileschi, apparut à Naples et il fut alors reconnu par l’historien d’art Pierluigi Leone de Castris, comme l’unique copie par Finson de la toile de Caravage perdue.

Une attribution discutée
Nicola Spinosa, ancien directeur du Musée de Capodimonte, est un fervent partisan de l’attribution du tableau toulousain à Caravage. Il a d’ailleurs rédigé la notice que le Cabinet Turquin a distribuée à la presse en avril dernier. Parmi les quatre autres spécialistes de Caravage qui avaient alors été consultés secrètement pendant deux ans, un ancien directeur du département des peintures du Musée du Louvre y croit fermement, tout comme, Keith Christiansen, directeur des peintures du Metropolitan Museum de New York qui refuse pourtant de s’exprimer publiquement même s’il est à l’origine de la demande d’exportation. De l’autre côté, l’historienne de l’art et spécialiste du Caravage Mina Gregori considère l’œuvre comme le plus beau tableau italien réapparu depuis trente ans, mais elle ne reconnaît pas de la main du maître. Le professeur Gianni Papi, autre spécialiste du Caravage, y voit celle de Finson.
 

Caravage Judith Holopherne Louis Finson
La version de Judith tranchant la tête d’Holopherne, c.1607, de Louis Finson (Lodewijk Finson, Ludovicus Finsonius) (1580-1617), collection Intesa Sanpaolo, Palazzo Zevallos, Naples, Italie.

Comparaison des toiles de Finson
Nicola Spinosa va également présenter à La Brera La Judith réputée être la copie par Finson du Caravage perdu (Naples, Palazzo Zevallos, collection Intesa Sanpaolo) : « Certains de mes collègues estiment que Finson est l’auteur du tableau de Toulouse et de la copie de Naples, d’où l’importance de les confronter ». Pour alimenter le débat, il a va aussi montrer une autre copie par Finson d’un Caravage perdu, La Madeleine, et une création de Finson lui-même, Samson et Dalila, deux œuvres conservées au Musée des beaux-arts de Marseille.

La Brera voulait exposer la version de Judith et Holopherne peinte par Caravage à Rome (Rome, Galleria Nazionale d’Arte Antica-Palazzo Barberini), mais le musée romain avait déjà pris d’autres engagements.

Les intentions de Nicola Spinosa sont claires : « Je tiens à démontrer que la Judith de Toulouse n’a pas été peinte à Rome vers 1604-1605 comme le pense mon ami Keith Christiansen, mais plutôt à Naples vers 1606-1607. » Si Nicola Spinosa croit toujours à l’attribution au Caravage, il semblerait donc que sa datation du tableau ait évoluée puisqu’il disait en avril dernier que l’œuvre avait probablement été peinte à Rome sur une toile napolitaine. En réalité, il évoquait déjà dans sa notice les deux arguments qu’il reprend aujourd’hui : les liens évidents selon lui entre le tableau du cabinet Turquin avec La Crucifixion de Saint-André de Caravage (Cleveland, Cleveland Museum of Art) ainsi que la lettre de Frans Pourbus.

Dans le texte paru dans le Journal Officiel du 31 mars dernier, le ministère expliquait que « cette œuvre récemment redécouverte et d'une grande valeur artistique, qui pourrait être identifiée comme une composition disparue du Caravage, connue jusqu'à présent par des éléments indirects, méritant d'être retenue sur le territoire comme un jalon très important du caravagisme, dont le parcours et l'attribution restent encore à approfondir. » Il y avait donc tout lieu de croire que la Direction du Patrimoine au ministère était tentée de mener à bien pendant trente mois les confrontations nécessaires pour confirmer éventuellement l’attribution du tableau à Caravage, mais il semblerait que la France ne souhaite plus s’engager et même le principe d’une mise en regard avec le tableau de Rouen, La Flagellation du Christ, peint à Naples par Caravage n’a pour l’instant pas été retenu –les coûts d’assurance étant très conséquents. Le nouveau directeur de la Brera, James Bradburne a donc sauté sur l’occasion, ce qui devrait susciter une grande effervescence en Italie.

Les débats ne manqueront pas d’être riches et stimulants. Aucun des spécialistes de la peinture caravagesque qui réfutent l’attribution depuis le printemps –ils sont nombreux– n’a pour autant proposé un autre nom, à l’exception de Gianni Papi. Or même notre connaissance de l’œuvre de Finson, n’est pas si évidente et l’artiste n’a de cesse d’étonner depuis la réapparition des Quatre éléments (collection particulière) il y a quelques années. Le Saint Sébastien de Finson présenté à la Biennale par la galerie Alberto Di Castro était en effet magistral. A cette occasion, Andrea De Marchi a fait le point dans un essai « Finson : Business & Painting » publié par la galerie romaine où il montre le nombre de mystères qui entourent encore sa vie et son œuvre. Il a d’ailleurs publié une autre version de Judith tranchant la tête d’Holopherne par le peintre flamand, très inspirée par Caravage (Rome, collection particulière), ce qui ne manque pas de compliquer le problème. Il insiste aussi sur la part prise par le peintre Martin Hermansz Faber dans l’exécution des tableaux de Finson au cours des années qui nous intéressent… L’attribution de la copie de Caravage de l’Intesa Sanpaolo ne repose d’ailleurs pas sur des éléments tangibles et il n’est pas impossible qu’elle soit remise en question à Milan.

Outre l’intérêt commercial, les enjeux du « dialogue » de la Brera sont donc multiples et promettent un moment marquant dans l’histoire de l’art. On attend toujours beaucoup de Giuseppe Porzio qui refuse de s’exprimer sur le tableau du Cabinet Turquin, sur lequel il s’est montré en privé très réservé, mais il est vraisemblablement la personne la plus à même de faire avancer ces questions, documents d’archives à l’appui –aucune recherche n’a été réalisée sur le tableau–, et de trancher.

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