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Laurent Petitgirard augmente le tempo de l’Académie des beaux-arts

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2023 - 864 mots

PARIS

Le chef d’orchestre, secrétaire perpétuel depuis 2017 et réélu tout récemment, conjugue conservatisme et modernité sur un rythme soutenu.

Laurent Petitgirard. © Yann Arthus-Bertrand, 2019
Laurent Petitgirard.
© Yann Arthus-Bertrand, 2019

Paris. La vénérable Académie des beaux-arts change et son secrétaire perpétuel, le compositeur et chef d’orchestre Laurent Petitgirard (72 ans) entend bien le faire savoir. Énergique et volubile, il est loin de l’image désuète que traînent parfois les académiciens. Pourtant ces derniers sont à l’origine d’une petite révolution de palais : le secrétaire perpétuel n’est plus perpétuel depuis une réforme des statuts en 2015 qui oblige le titulaire à remettre en jeu son mandat tous les six ans. Laurent Petitgirard a ainsi succédé en 2017 à Arnaud d’Hauterives (lequel avait alors 84 ans et est décédé quelques mois plus tard). Le compositeur a été réélu par ses pairs en février dernier avec un score de maréchal : les quarante-cinq académiciens ont tous voté pour sa reconduction. « Je reconnais avoir été ému par ce plébiscite », avoue-t-il.

Gestion directe du patrimoine

Le « perpétuel », ainsi qu’on l’appelle malgré le fait qu’il ne le soit plus, doit sa réélection à un savant dosage de conservatisme et de modernité. Il a ainsi érigé en dogme la gestion directe des lieux culturels appartenant à l’Académie. La collection des sites patrimoniaux de l’Académie dont les deux joyaux que sont la maison et les jardins de Claude Monet à Giverny et le Musée Marmottan Monet à Paris, vient de s’enrichir de la Villa et des jardins Ephrussi de Rothschild à Saint-Jean-Cap-Ferrat, dont la délégation de service public a été retirée l’an dernier à Culturespaces qui administrait les lieux depuis trente ans. Un programme de travaux dans la maison va bientôt démarrer obligeant le musée à rester fermé pendant deux ans.

Un des bénéfices de cette gestion directe est qu’elle offre aux académiciens la possibilité de diriger les lieux, avec les avantages associés à cette direction. L’ancienne directrice générale de la Comédie française (et de la Villa Médicis), Muriel Mayette-Holtz, de la section des membres libres, est à la tête de la Villa Ephrussi. Comme Hugues Gall à Giverny, Adrien Goetz à la bibliothèque et Villa Marmottan, Jean-Michel Wilmotte à la Maison-atelier Lurçat, ou Érik Desmazières au Musée Marmottan Monet. La gestion directe des lieux ne va pas jusqu’à mettre « au pot commun » de l’Institut les musées gérés par ses cinq académies comme le recommandait la Cour des comptes en 2021. Chacune des académies est très jalouse de son indépendance et Laurent Petitgirard joue sur du velours avec ses membres lorsqu’il cultive cette indépendance.

Outre la Villa Ephrussi, le Musée Marmottan Monet va également fermer en 2024 pour d’importants travaux de rénovation d’un coût de 30 millions d’euros. « La gestion directe nous permet de fermer les lieux, ce que ne peut pas forcément faire un opérateur privé », explique le « perpétuel, » « mais c’est aussi parce que nous avons les moyens de cette politique », reconnaît-il. Il n’a pas tort, l’Académie est très riche, elle dispose d’un patrimoine d’environ 350 millions d’euros, la moitié sous forme d’immeubles de rapport, l’autre moitié sous forme de placements financiers. Ajoutés aux recettes de lieux particulièrement rentables comme les jardins de Giverny, les loyers et revenus financiers abondent un budget annuel de 30 millions d’euros. Le « perpétuel » a convaincu ses pairs qu’il fallait organiser la fongibilité des ressources afin que les bénéfices des lieux rentables puissent aussi profiter aux lieux qui ne le sont pas ; mais aussi ne pas thésauriser pour le plaisir de thésauriser.

Rajeunissement et féminisation de l’Académie

Profitant des confortables revenus de l’Académie, Laurent Petitgirard a su aussi apporter un vent de modernité dans le soutien à la création, ce pourquoi, descendante des académies royales du XVIIe siècle, l’Académie a été créée avant de s’enfermer dans la tradition. L’ancien président de la Sacem a étoffé le programme de résidences d’artistes en ouvrant la Villa Dufraine dans le Val d’Oise (récemment rénovée) à des collectifs, et renforcé son partenariat avec la Cité universitaire pour l’accueil d’artistes dans les différents lieux de la capitale. Il a créé un nouveau Grand Prix (bien que l’Académie ne manque pas de prix), dont la dotation de 30 000 euros n’est pas donnée au récipiendaire mais à un organisme ou un artiste choisi par le lauréat. Protectrice, l’Académie a distribué depuis trois ans 600 000 euros à des artistes en difficultés pendant la pandémie de Covid et plus récemment à des artistes ukrainiens.

Si le « perpétuel » a le soutien de ses pairs, c’est qu’il a réussi à rajeunir et féminiser l’institution. Depuis son élection en 2017, ont rejoint le Quai de Conti : Gérard Garouste, Fabrice Hyber, Jean-Michel Othoniel (*) et même tout récemment Hervé di Rosa. Le Sétois, promoteur des arts modestes sous la Coupole, tout un symbole ! Plus symbolique dans ce temple de la masculinité : sur les vingt-cinq élections sous son mandat, onze sont des femmes (Carolyn Carlson, Anne Démians, Françoise Huguier…), ce n’est pas encore la parité mais on s’en approche. Laurent Petitgirard ne veut surtout pas s’enfermer dans le palais de l’Institut. L’ancien directeur de l’orchestre Colonne vient de sortir un nouveau disque enregistré avec le Budapest Symphony Orchestra et il continue à se produire en concert.

NOTE

(*) Jean-Michel Othoniel est aussi le directeur de la Villa Dufraine.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°610 du 28 avril 2023, avec le titre suivant : Laurent Petitgirard augmente le tempo de l’Académie des Beaux-Arts

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