Droit

L’amendement Chambord validé par le Conseil constitutionnel

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 8 février 2018 - 652 mots

PARIS

Très attendue par les deux associations mobilisées depuis la promulgation de la loi LCAP, la décision du Conseil constitutionnel du 2 février 2018 vient pourtant de rejeter les prétentions de Wikimédia France et de la Quadrature du Net concernant l’inconstitutionnalité de « l’amendement Chambord ».

Le château de Chambord
Le château de Chambord
Photo GuidoR - 2008

Dans la continuité de l’affaire opposant le domaine de Chambord à la société Kronenbourg, l’article 75 de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) a instauré un régime préalable à l’utilisation commerciale de l’image des immeubles constituant des domaines nationaux, qui s’avère assortie, le cas échéant, de contreparties financières. Un double objectif semble poursuivi : valoriser financièrement les six domaines nationaux (Domaines de Chambord, du Louvre et des Tuileries, de Pau, Château d’Angers, Palais de l’Elysée, Palais du Rhin) et éviter qu’ils ne soient associés à une utilisation commerciale pouvant porter atteinte à leur image.

Consacrées à l’article L. 621-42 du Code du patrimoine, ces nouvelles dispositions ont fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par Wikimédia France et la Quadrature du Net et transmise fin octobre 2017 par le Conseil d’État. Parmi les griefs invoqués, les deux associations soutenaient que le nouvel article porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre des personnes souhaitant commercialiser des images des domaines nationaux, une atteinte au droit de propriété des titulaires de droits d’auteur sur ces photographies. Ces arguments ont néanmoins été rejetés le 2 février 2018.

Classiquement, le Conseil constitutionnel rappelle que si la propriété est droit à valeur constitutionnelle, il est néanmoins possible de porter atteinte à un tel droit en raison d’un motif d’intérêt général et dans le respect d’une atteinte proportionnée à l’objectif poursuivi. Or, selon les Sages de la rue Montpensier, les dispositions contestées soumettent, sauf exceptions, l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie du domaine national en cause. Cette autorisation prend la forme soit d’un acte unilatéral soit d’un contrat, assorti ou non d’une redevance. En souhaitant permettre la valorisation économique du patrimoine que constituent les domaines nationaux, le législateur a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général.

Quant au refus éventuel qui serait opposé à une utilisation commerciale, celui-ci ne peut être envisagé que si une telle utilisation porte atteinte à l’image d’un bien présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation. Le refus serait donc exceptionnel et sujet à un encadrement strict nécessitant une justification de la part du gestionnaire du site. Le critère de « trouble anormal » développé par la jurisprudence de la Cour de cassation s’impose ici en toile de fond. Les dispositions n’ont donc pas porté d’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété et n’ont pas méconnu le principe d’égalité devant la loi.

Enfin, le Conseil constitutionnel énonce que le législateur n’a ni créé ni maintenu des droits patrimoniaux attachés à une œuvre intellectuelle en accordant au gestionnaire d’un domaine national le pouvoir d’autoriser ou de refuser certaines utilisations de l’image de ce domaine. Certes, le droit d’auteur n’est pas convoqué ici et sa qualification ne pouvait être qu’écartée. Ce n’est pas le droit de l’architecte sur son bâtiment qui est brandi, mais celui du gestionnaire sur son domaine national. Néanmoins la question de la propriété de l’image d’un bien, en raison de sa valeur économique, est belle est bien présente. Et cette propriété semble s’inscrire dans la lignée de la jurisprudence dite café Gondrée de 1999, depuis lors mise à bas par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui permet seulement à un propriétaire de s’opposer à l’utilisation de l’image de son bien par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal. Le système d’autorisation préalable accordé au gestionnaire - et non au propriétaire - l’investit de prérogatives exorbitantes du droit commun, soit une exclusivité sur l’image d’un bien immobilier appartenant à la Nation, dont la légitimité peut encore interroger.

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