Diplomatie culturelle

La France tente de se placer en Égypte

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 20 mai 2019 - 1110 mots

EGYPTE

La stratégie d’influence française s’appuie sur la diplomatie culturelle pour asseoir la position de la France en Égypte, avec des résultats mitigés par rapport à ses concurrents.

L’Institut Français Mounira au Caire. © Photo Khalid Hussein.
L’Institut Français Mounira au Caire.
© Photo Khalid Hussein

Paris. C’est au Caire qu’a été inaugurée la première Micro-Folie d’Afrique, lors de la visite d’État du président français Emmanuel Macron en janvier 2019. À la même période, l’Institut français ouvrait son quatrième établissement dans la banlieue du Caire. Deux signes de l’activité déployée par la France pour marquer sa présence en Égypte.

Les axes principaux de cette diplomatie sont « la coopération dans les domaines de la francophonie, de l’archéologie et de la formation des élites », selon une source diplomatique. L’Institut français d’Égypte joue un rôle important dans cette stratégie : son directeur, Mohamed Bouabdallah, rappelle que cet institut « emploie 300 personnes sur quatre établissements ». Ces établissements assurent une programmation culturelle variée, dans le domaine aussi bien des arts plastiques que du théâtre ou de la littérature, souvent en coproduction avec des acteurs culturels égyptiens. Le directeur donne l’exemple d’un festival d’arts vivants cairote « soutenu par l’Institut et dont plusieurs pièces ont été présentées à Avignon dans le cadre du “Off” ». Les instituts accueillent aussi des débats très suivis, selon Mohamed Bouabdallah, « dans un contexte général de restriction de l’expression publique en Égypte». Celui-ci souligne le succès de certains événements comme la Fête de la musique en juin « qui rassemble plus de 5 000 spectateurs au Caire autour d’artistes soutenus par l’Institut ». Le budget de l’Institut français d’Égypte, abondé par le ministère des Affaires étrangères, a par ailleurs augmenté de « 1 à 2 % chaque année depuis 2016 », un effort stimulant. Enfin c’est l’Institut du Caire qui est à l’initiative de l’Année culturelle France-Égypte 2019 durant laquelle Paris et Le Caire présentent une programmation élaborée en coopération (lire l’encadré).

Au-delà de la culture, la France parie surtout sur la langue française. Mohamed Bouabdallah indique que le nombre d’apprenants du français augmente « de 10 % chaque année en Égypte » et que l’Institut français « ouvre de nouvelles classes » régulièrement, pour accueillir 20 000 élèves par an. La France dispose aussi d’un dispositif éducatif important en Égypte, avec 11 écoles françaises et 53 établissements égyptiens bilingues pour un total de 54 000 élèves. Certaines écoles francophones sont en outre gérées par des congrégations chrétiennes : selon l’Œuvre d’Orient, une organisation caritative française, 170 écoles catholiques francophones environ en Égypte scolarisent 160 000 enfants. Au niveau de l’enseignement supérieur, certaines universités égyptiennes ont des filières bilingues, « au Caire, à Al-Azhar, à Alexandrie et à Mansourah » selon cette même source diplomatique. Depuis 2002, l’Université française d’Égypte (UFE) accueille 700 étudiants. Dans l’ensemble de ces filières, « les effectifs sont en forte croissance ».

La francophonie en perte de vitesse

Ces chiffres encourageants doivent pourtant être nuancés au regard de la concurrence européenne sur place et de la situation socio-économique de l’Égypte. Le pays compte en effet près de 98 millions d’habitants, et en gagne 1 million chaque année. Pour Hakim el-Karoui, coordinateur d’un rapport sur le monde arabe pour l’Institut Montaigne en 2017, « sur le papier la présence française augmente, mais en réalité en parts de marché elle diminue du fait de la pression démographique ». D’autant que la France se heurte à la concurrence de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne. Pour Mohamed Bouabdallah, ce n’est pas tant le domaine culturel qui souffre de cette concurrence que la francophonie : « Nous sommes sur des projets culturels différents mais, en revanche, l’anglais gagne du terrain en Égypte, c’est indéniable. » Car les Britanniques et les Américains disposent eux aussi de plusieurs dizaines d’établissements scolaires bilingues, de deux universités et même d’un centre de langue anglaise intégré à l’université d’Al-Azhar au Caire. Le British Council (équivalent de l’Institut français) vient d’ouvrir un cinquième établissement en Égypte début 2019, et prévoit d’étendre ses cours de langue anglaise. La France dispose cependant d’un atout avec l’Organisation internationale de la francophonie dont l’Égypte est membre fondateur. Hakim el-Karoui souligne pourtant que « les étudiants égyptiens viennent beaucoup plus étudier dans les pays anglophones qu’en France », un phénomène observé également par l’Œuvre d’Orient. La part de francophones en Égypte est estimée à environ 3 % de la population, soit 2,3 millions de locuteurs, alors que les anglophones représentent au moins 10 % : la concurrence est donc rude pour la France.

Une stratégie d’influence à la peine

Cette concurrence se développe dans un contexte général où la France ne tire pas forcément de grands profits de son soft power. Si les relations sont bonnes entre la France et l’Égypte selon Hakim El Karoui et Mohamed Bouabdallah, les échanges économiques et financiers restent faibles en dehors des contrats d’armement. « Il y a eu des commandes d’armement importantes (avions Rafale), mais en volume cela ne représente que 3 milliards d’euros, derrière les commandes de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis », précise Hakim el-Karoui. Idem pour les échanges économiques et les investissements français sur place, qui peinent à se concrétiser « en raison de l’instabilité socio-économique ». Les entreprises Bouygues et Vinci ont certes remporté les contrats pour construire le métro du Caire, mais l’Égypte est le septième client de la France au Moyen-Orient : la France échange plus de biens avec les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.

Hakim el-Karoui souligne au passage le rôle joué par le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, pour maintenir la dynamique française : « Il a profité du désintérêt américain pour l’Égypte depuis Obama. » Si la diplomatie française revendique le fait que « [cette] action d’influence bénéficie de moyens importants », Hakim el-Karoui pointe « un manque de moyens car les budgets baissent, et les autres pays investissent plus pour leur influence, notamment l’Allemagne auprès de la société civile égyptienne ». Il émet finalement des doutes sur la stratégie française : « Malgré le prestige réel du français en Égypte, la France joue au-dessus de sa catégorie, et l’Égypte reste un acteur de second rang au Proche-Orient. » La France doit donc renforcer sa stratégie d’influence sur plusieurs fronts.

L’Année culturelle France-Égypte 2019 raccrochée à Toutânkhamon  

Saison. Mohamed Bouabdallah, directeur de l’Institut français, précise d’emblée que « ce n’est pas une saison culturelle officielle, qui nécessiterait deux budgets à parité, décidés quatre à cinq ans en amont », ce qui était impossible vu la situation politique de l’Égypte. Cette Année culturelle montée par l’Institut français d’Égypte s’est greffée à des événements externes, dont la grande exposition « Toutânkhamon » à Paris et celle sur le canal de Suez au Caire. Pour un budget total de 500 000 euros dont 280 000 de mécénat, cette Année culturelle permettra de voir près d’une trentaine d’événements en France et en Égypte (danse, concerts, débats, expositions). L’Année s’achèvera par la représentation de Carmenà l’opéra du Caire en décembre.

 

Olympe Lemut

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°523 du 10 mai 2019, avec le titre suivant : La France tente de se placer en Égypte

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