Jacques Garcia

Décorateur

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2001 - 1134 mots

Décorateur, Jacques Garcia a eu en charge l’aménagement à Paris de l’hôtel Costes, du Fouquet’s, du salon de thé Ladurée sur les Champs-Élysées ou de l’hôtel Royal à Deauville. Également scénographe pour des expositions, ce dernier poursuit depuis une dizaine d’années la restauration de sa propriété du château du Champ de Bataille (Eure) qu’il a ouvert au public. Tout juste récompensé par le Prix Montblanc du mécénat culturel pour cette action, il commente l’actualité.

Vous avez été récompensé par le Prix Montblanc du mécénat culturel pour votre action au château du Champ de Bataille près de Neubourg. Que pensez-vous de la situation du mécénat en France ?
Beaucoup d’entreprises font des efforts, mais la fiscalité française ne permet pas un développement suffisant si vous la comparez au système en vigueur aux États-Unis où les avantages sont considérables. Vous pouvez vivre au fin fond du Connecticut et donner dix millions de francs à Versailles, ils sont totalement déductibles de vos impôts. En France, c’est loin d’être la même chose. Et si vous le faites, vous avez un contrôle fiscal le lendemain.

En tant que propriétaire d’un monument historique, comment jugez- vous le soutien apporté par l’État aux particuliers pour l’entretien de ces bâtiments ?
Dans certains cas, il est fondamental, dans d’autres, il est mal géré. Mais mon cas est particulier. J’ai eu personnellement beaucoup de chance avec les Monuments historiques car ils ont classé tout ce que j’ai pu faire. J’en suis très content, c’est une satisfaction personnelle doublée d’une reconnaissance. Mais pour Champ de Bataille, je n’ai reçu aucune subvention, je n’ai pratiqué que le principe de la défiscalisation liée aux monuments historiques. L’accès aux subventions demande des formalités qui sont extrêmement lourdes et c’est là que tout se complique.

Une loi protège désormais les ensembles mobiliers attachés à un monument historique afin d’éviter leur dispersion. Qu’en pensez-vous ?
Je trouve que c’est fondamental, encore que les cas de Louveciennes ou de Rosny-sur-Seine portaient sur des meubles rapportés à des époques tardives. Mais on peut parler de cas beaucoup plus graves, comme le château de La Roche-Guyon où le mobilier était là depuis le XVIIIe siècle. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas une protection plus forte pour un monument d’une telle importance. Quand je parle de protection, j’entends en fait un rachat de l’État, ce qui finalement a été fait mais quelques années après. Maintenant, on rachète les tapisseries que Karl Lagerfeld avait acquises pour les remettre temporairement dans le bâtiment. C’est une histoire de fous. Évidemment, dix ou vingt millions, cela semble beaucoup d’argent, mais quand on sait qu’un rond-point en vaut six... J’échangerais bien huit ronds-points contre le mobilier de La Roche-Guyon !

Le réaménagement que vous avez effectué au château du Champ de Bataille s’inscrit dans une tout autre logique.
À l’inverse de la France, en Angleterre ou en Italie où la législation est différente, les châteaux ont gardé leur âme. La force de ces grandes maisons n’est pas un homme, mais une succession d’hommes qui, pendant trois cents ans, ont eu bon goût, mauvais goût, beaucoup d’argent ou non, mais qui avaient le pouvoir. Avec cela, ils ont créé des endroits mythiques comme Blenheim en Angleterre ou la villa Borghèse et le palais Colonna en Italie. En France, nous avions la même chose, mais avec une Révolution et une ingérence successorale, nos châteaux se sont vidés. Dès lors, à Champ de Bataille, je n’ai pas cherché à faire un moment d’histoire – chose que, faute d’éléments, je n’avais d’ailleurs pas les moyens de faire –, mais à recréer l’atmosphère d’une famille qui n’a pas vidé sa demeure mais conservé le mobilier dans des genres différents. J’ai voulu redonner à cette maison une entité globale. L’architecture existait avant que j’arrive, mais le décor était absent. J’ai pu restituer le luxe intérieur avec des meubles collectionnés depuis trente ans, et je m’acharne dorénavant à recréer un grand jardin à la française pour redonner le goût au public de ce type de jardin. Cela peut être aussi “sympa” qu’un jardin à l’anglaise.

La politique affichée par le Centre des monuments nationaux est de mêler la création contemporaine à des édifices anciens, à l’image du château d’Oiron. Qu’en pensez-vous ?
Il serait hallucinant de se couper de la création contemporaine. À Champ de Bataille, j’ai complété un dessin de Le Nôtre pour le jardin par un autre dans le même esprit mais très contemporain. Mais cela me dérange davantage quand on intervient sur un chef-d’œuvre complet. J’adore le travail de Daniel Buren, mais pourquoi intervenir dans un lieu comme le Palais-Royal ? Mais les colonnes ne sont pas ce qu’il y a de pire. Le niveau de la cour a été remonté de 75 cm et quand vous regardez l’architecture, c’est comme si vous la voyiez du haut d’un escabeau. À Paris, le cas est identique pour la place Vendôme. On est toujours en train de se plaindre des petites bittes en aluminium, mais le plus grave, c’est que pour faire un étage de parkings supplémentaire, la place a été bosselée de 60 cm ! Sous prétexte de créations contemporaines, on réalise des opérations visant à faire un profit commercial. À l’inverse, Oiron est quelque chose de formidable. Là, une restitution du lieu dans son état initial était inenvisageable et cette carcasse vide, symbole d’une créativité folle, se prête admirablement à la création contemporaine. De même, Beaubourg est un rêve absolu sur cette place où il n’y avait strictement rien. C’est l’inverse de Buren au Palais-Royal. Cela étant dit, comment refuser de mettre quelque chose dans la place du Palais-Royal ? Moi non plus, je n’aurais peut-être pas dit non.

Vous êtes amené à acquérir de nombreuses pièces en ventes publiques. Croyez-vous qu’avec l’ouverture du marché, la place de Paris sur le plan international va être changée ?
J’avais été contacté pour la rénovation de l’hôtel des ventes de la rue Drouot. Je n’ai pas été choisi, mais le problème n’est pas là. Tant que les commissaires-priseurs ne seront pas liés d’une manière forte et non comme des copropriétaires qui se détestent étage par étage, ils n’arriveront pas à capter le marché. Déjà, il faudrait déménager de ce bâtiment qui est inarrangeable. Le palais Brongniart, qui était occupé par la Bourse, est désormais vide. Si Drouot s’y installait, Sotheby’s et Christie’s seraient dans une mauvaise posture. C’est la fameuse phrase des Suisses : “l’argent va à l’argent et réciproquement”. La créativité va aussi avec le reflet économique d’un pays, sinon les grands esprits partent.

Quelles expositions récentes vous ont marquées ?
D’abord, les diamants au Musée d’histoire naturelle, et puis l’exposition qui se déroule actuellement à Bagatelle sur l’influence des jardins persans et à laquelle j’ai participé. J’ai également adoré les collections de Louis XIV, au Louvre, qui me semblent être une bonne évocation de cette époque.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°129 du 8 juin 2001, avec le titre suivant : Jacques Garcia

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque