Il était une fois 1917

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2012 - 712 mots

METZ

En se focalisant sur la création artistique d’un moment particulier, le Centre Pompidou-Metz renoue avec les grandes expositions historiques de la maison mère.

En février 1917, Cocteau et Picasso rejoignent à Rome le directeur des Ballets russes, Sergueï Diaghilev, pour travailler sur Parade, « ballet réaliste » imaginé par le poète français et mis en musique par Satie. Chargé d’en réaliser les décors et costumes, Picasso crée un immense rideau de scène figurant des personnages de cirque, une pièce entrée depuis dans les collections du Musée national d’art moderne.

Ne pouvant être présenté dans les espaces parisiens du Centre Pompidou en raison de ses dimensions – dix mètres de haut sur seize mètres de large –, c’est à son antenne messine qu’a été confié le soin d’exposer l’immense toile dans la grande nef du jeune établissement public. Ce dernier n’entendait pas en rester là et l’œuvre picassienne a servi de point de départ à la conception d’une vaste exposition consacrée à « 1917 ». L’année marque l’entrée en guerre des États-Unis, venus soutenir les alliés ; les débuts de la bataille sanglante du Chemin des Dames, tandis qu’éclate la révolution russe…

1917, c’est aussi l’année de la mort de Rodin, celle où Marcel Duchamp réalise sa Fontaine. « Nous interrogeons une année de création, pour mieux en révéler la richesse et la diversité, et ce dans le contexte particulier de la Grande Guerre. Il y a eu très peu de manifestations portant sur 365 jours de création ; le plus souvent il s’agit d’une période. Metz se veut un laboratoire pour tester des expositions d’un genre différent », explique Claire Garnier, chargée de mission au Centre Pompidou Metz et commissaire de la manifestation. « Nous voulions montrer la complexité de la culture visuelle et souligner la difficulté de la représentation pour ouvrir le regard des visiteurs », ajoute Laurent Le Bon, directeur de l’institution messine. Co-commissaire de la manifestation, il ne cache pas son intention ici de « renouer avec les grandes expositions historiques du Centre Pompidou ». La démonstration se révèle être un véritable mélange des genres : œuvres d’art, documents photographiques, archives et objets militaires sont traités sur un pied d’égalité. Au total, 350 pièces venant de 140 prêteurs ont été réunies pour construire un parcours aux multiples entrées, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité. Il s’agit plutôt d’une proposition « chronologico-thématique, pour venir et revenir, comme un mille-feuille instantané », résume Laurent Le Bon.

Le détournement de l’objet
Aux côtés de Parade et des grands noms de la scène artistique de l’époque, Apollinaire, Otto Dix, Matisse, ou encore Félix Vallotton, auteur du fameux Verdun, figurent des artistes moins attendus. Ainsi de Christopher Richard Wynne Nevinson, qui peignit Les Sentiers de la gloire. Cette huile sur toile représentant des cadavres de soldats abandonnés dans un paysage hivernal fut censurée. L’année 1917 est aussi celle du détournement de l’objet, inauguré par Marcel Duchamp. Face à sa célèbre Fontaine figure l’Hommage aux poilus bricoleurs conçus par Jean-Jacques Lebel en 2012, un assemblage d’objets réalisés à partir de restes d’obus et d’armes, témoignage vibrant de l’art des tranchées qui laisse peu de visiteurs indifférents. Installé au premier étage, cette première partie aborde le rapport des artistes aux événements de 1917. La seconde, moins littérale, intitulée « Destruction, reconstruction et création », abolit les frontières entre les disciplines et se joue du regard des visiteurs. Claire Garnier aime à citer ces moulages médicaux semblables à des sculptures. Le public est invité à déjouer les faux-semblants et à se délester de leurs a-priori dans un parcours où se révèlent des correspondances parfois surprenantes : la thématique du « masque » réunit ainsi masques à gaz, moulages de gueules cassées, masques africains, masques de scène ou d’Arlequin pour aborder les thèmes du travestissement, de la protection, du camouflage…

En guise d’épilogue : deux propositions, l’une autour des Nymphéas de Monet, l’autre consacrée à l’abstraction russe à travers les figures de Kandinsky, Lioubov Popova, Olga Rozanova, Alexandre Vesnine… Une manière, une fois encore, d’ouvrir le champ de la réflexion.

« 1917 »

Jusqu’au 24 septembre, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57000 Metz, tél. 03 87 15 39 39, www.centrepompidou-metz.fr, tlj sauf mardi, 11h-18h et 10h-20h le samedi, 10h-18h le dimanche. Catalogue, 592 p., 49,90 €, ISBN 978-2-35983-019-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Il était une fois 1917

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