Art moderne

La critique de Bénédicte Ramade

« 1917 », leçon de révision des canons de l’art

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 7 août 2012 - 324 mots

METZ

« 1917 », exposition curatée par Claire Garnier et Laurent Le Bon au Centre Pompidou-Metz (jusqu’au 24 septembre 2012), est, disons-le, un monument. Aux morts de la « grande » et sale guerre et à la commémoration des grandes avant-gardes.

Le conflit mondial de 1914-1918 a beau nous être enseigné, il reste une entité abstraite de dates et de chiffres, une enfilade de batailles et une accumulation de morts. En art, c’est aussi une période féconde avec le futurisme italien, les avant-gardes russes, Dada et De Stijl. Choisir une unique année pour aborder l’art de la guerre, en temps de guerre et contre la guerre, aurait pu être un désastre. L’exposition est au contraire une expérience intellectuelle rare. Exhaustive, roborative, perturbante, elle déploie des centaines d’objets et d’images, amateurs ou professionnels, scellés par la seule année 1917. Une année d’épuisement du conflit, de mutinerie, où la boucherie des tranchées s’étale désormais au grand jour. Une année où Rodin meurt, où Renoir peint des modèles fanés, où Vallotton, peintre commissionné, saisit la guerre dans une explosion (extraordinaire section « Feu ! »).

Ce que nous apprend à voir « 1917 », mieux, à comprendre, c’est comment s’incarne la contemporanéité par la simultanéité des visions artistiques. Tout le monde cohabite, plus ou moins engagé dans la guerre, poreux ou sourd au conflit. C’est pourquoi l’accrochage confronte une collection effarante d’obus sculptés aux fameuses Fontaine de Duchamp et Princesse X de Brancusi, des moulages cliniques de blessures à une étude de main de Rodin, des empreintes traumatisantes de gueules cassées à des statues primitives africaines. Le peut-on vraiment ? C’est toute l’excellence et l’outrecuidance de la proposition que d’emmener la visite sur le terrain de l’ubiquité et de ses incidences culturelles. Rivés à une date, les contours de « 1917 » explosent pour mieux se laisser pénétrer par une épopée culturelle qui finit avec les Nymphéas de Monet et le constructivisme russe. Une leçon d’une rare intelligence.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°649 du 1 septembre 2012, avec le titre suivant : « 1917 », leçon de révision des canons de l’art

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