Justice

L’affaire Vasarely

Du barreau aux barreaux

L’incarcération de Charles Debbasch

Par Adam Guillaume · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1995 - 701 mots

Après une interpellation rocambolesque dans les locaux de l’université d’Aix-Marseille III, où il avait cherché asile, l’ancien président de la Fondation Vasarely, Charles Debbasch, a été placé sous mandat de dépôt le 1er décembre.

PARIS - L’affaire Vasarely semble avoir trouvé une conclusion provisoire après l’épisode tragi-comique du week-end du 27 novembre qui a vu l’ancien président de la Fondation Vasarely échapper à l’interpellation dirigée contre lui, et trouver refuge au sein de la faculté de droit d’Aix-Marseille III pendant deux jours, avant de se rendre et d’être incarcéré à la prison des Baumettes.

Cependant, l’arrestation de Charles Debbasch ne doit pas éluder quelques interrogations. Pourquoi, alors que plusieurs rapports – en 1992 et en 1993* – dénonçaient les irrégularités commises à la Fondation Vasarely, les autorités de tutelle – les ministères de la Culture et de l’Intérieur – n’ont-elles pas ordonné d’enquête judiciaire ? Quelle est la nature des appuis politiques dont semble bénéficier Charles Debbasch, pour s’être crû si longtemps au-dessus des lois ? Enfin, qui est à l’origine de la mise sous tutelle d’État de Victor Vasarely, le 29 mars 1994 – placé depuis dans une résidence médicalisée du XVIème arrondissement de Paris ? Un cas unique dans les annales françaises qui rappelle la décision qui frappe d’incapacité légale le peintre américain Willem De Kooning, âgé de 90 ans.

Sur fond d’accusations de malversations financières et de réseaux d’influences, l’affaire met aux prises, depuis deux ans, Victor Vasarely, âgé de 86 ans, maître de l’op’art et figure de proue de l’art pompidolien, et l’ancien doyen Charles Debbasch, 57 ans, juriste éminent, avocat d’affaires, ancien conseiller de Valéry Giscard d’Estaing et président de la Fondation Vasarely pendant douze ans.

Inaugurée en 1976, la Fondation regroupe deux musées, l’un à Gordes (Vaucluse) et l’autre sur les hauteurs d’Aix-en-Provence. Porté par sa soif de reconnaissance, Vasarely lui fait don de 40 millions de francs, de quatre cents œuvres inaliénables et davantage encore d’œuvres aliénables, dont la vente doit couvrir les frais de fonctionnement.

En février 1981, les époux Vasarely signent une convention avec l’université d’Aix-Marseille III, et le doyen Debbasch devient président de la Fondation. Au fil des ans, les relations entre les deux parties s’enveniment, la famille Vasarely dénonce la "mainmise progressive" de l’avocat sur la Fondation, puis sur les affaires privées du peintre. En 1992, devant les silences réitérés de la Fondation, face aux interrogations du peintre et de ses héritiers, sur "l’absence d’environ quatre-vingt dix tableaux, et le non-respect des droits du fondateur", ces derniers déposent plusieurs plaintes contre Charles Debbasch pour escroquerie, détournements et abus de confiance.

Selon le peintre Yvaral, fils de Vasarely, "Debbasch s’est servi de la Fondation pour pénétrer le milieu de l’art, pour faire du commerce, pour prendre en mains certains peintres et les exploiter." Une série de témoignages mettent en cause l’existence de plusieurs sociétés financières, établies en Suisse, qui auraient servi à détourner les œuvres du peintre au profit de Charles Debbasch. Les accusations extrêmement lourdes portées par Vasarely et ses héritiers aboutiront à la destitution de l’ancien doyen de ses mandats d’administrateur et de président de la Fondation, le 8 avril 1993. "Ma Fondation libérée…" dira Vasarely.

Enfin, le rapport d’enquête de la gendarmerie de Marseille remis, le 21 novembre dernier, au juge Gwenaël Le Gallo, chargé d’instruire le dossier depuis 1992, fait peser des charges accablantes sur Charles Debbasch. Après avoir rappelé que "toute la fortune (de Vasarely), ou une bonne partie, est engloutie dans la Fondation", le rapport fait apparaître que des dizaines d’œuvres auraient été cédées dans des conditions douteuses par l’intermédiaire de sociétés écran, et que la Fondation aurait servi à financer les intérêts privés de son président. Craignant que celui-ci ne prenne la fuite "vers un pays étranger", le juge devait ordonner son interpellation le 25 novembre. Une échéance que les tribulations de l’ancien doyen n’auront retardé que de quarante-huit heures.

* Rapport du directeur régional des Affaires culturelles, François de Banes Gardonne, daté du 6 août 1992, qui souligne le "fonctionnement obscur de la Fondation" et "la nécessité d’imposer une inspection générale". Rapport de l’inspecteur général de l’administration, André Bourdalé-Dufau, daté du 16 mars 1993, qui comprend un chapitre intitulé "Singularités et zones d’ombres".

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : Du barreau aux barreaux

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