Disparition

Décès de Marc Fumaroli

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 25 juin 2020 - 705 mots

PARIS

Historien du « Grand siècle » (le XVIIe), l'académicien Marc Fumaroli, décédé mercredi à l'âge de 88 ans, était un érudit à la plume lumineuse, à l'impressionnant curriculum vitae, un antimoderne connu pour ses réquisitoires contre la démocratisation de l'art.

Atteint par le cancer, en passe de perdre une partie de sa vue, son état de santé s'était récemment dégradé. Ce grand pessimiste au caractère ombrageux, ami proche du gai et lumineux Jean d'Ormesson, redisait au Point en 2018 : « ce monde m'attriste et m'inquiète ». C'est d'ailleurs lui qui préfaça les Œuvres de Jean d'Ormesson dans La Pléiade.

« Tweed anglais, port de tête plutôt romain, visage de prélat attentif. Voix précise et rompue aux imparfaits du subjonctif » : ainsi Le Point dépeignait-il en 2006 ce célibataire, professeur honoraire au Collège de France où il a longtemps occupé la chaire « Rhétorique et société en Europe (XVIe-XVIIe siècles) ».

Spécialiste de Montaigne, Corneille, La Fontaine, grand lecteur de Balzac (il disait avoir lu au moins deux fois la totalité de La comédie humaine), Marc Fumaroli prônait un retour à la sagesse antique, à la foi, aux classiques, aux disciplines rhétoriques, à l'intelligence du passé, au détachement de l'école par rapport à l'actualité. « Si, la "réaction", c'est l'aptitude à résister aux conformismes du temps, alors oui, j'en suis ! », s'exclamait-il.

En 1991, il signa un livre qui fit grand bruit, L'État culturel. Essai sur une religion moderne. « On a voulu démocratiser la culture, écrivait-il dans ce pamphlet. Le résultat aujourd'hui, c'est qu'il y a plein de musées, mais où sont les peintres ? Il y a de nombreux bâtiments, mais où sont les chefs-d'œuvre ? Le mot "culture" est devenu le nom de la religion d'Etat ». Rétrospectivement, il jugeait cette charge bien modérée. Et en 2018, il n'avait pas changé d'avis : « depuis Jack Lang (ministre socialiste de la Culture des années 80, ndlr), on a mis tout et n'importe quoi sous le vocable "culture" ».

Il était vent debout contre « le fanatisme égalitariste » de l'époque, grand défenseur de l'enseignement du grec et du latin et contre « la superstition du numérique ». « Avec les nouvelles technologies de communication, la tendance à s'enfermer dans l'actualité et l'immédiateté donne à la société les instruments pour devenir totalitaire », disait-il à Télérama en 2015.

Il aurait pu être ministre

Né à Marseille (Bouches-du-Rhône) le 10 juin 1932, Marc Fumaroli a passé son enfance et son adolescence à Fès, au Maroc. Son père est consul de France, sa mère est sa première institutrice. Il étudie ensuite à Aix-en-Provence et à la Sorbonne où il réussit, en 1958, son agrégation de lettres classiques. Il effectue une partie de son service militaire dans les Aurès, à la fin des années 50.

Après un passage par la fondation Thiers, il enseigne une dizaine d'années à la Faculté de lettres de Lille. En 1976, il devient maître de conférences à Paris IV-Sorbonne. En 1986, il est élu professeur au Collège de France, sur présentation du poète Yves Bonnefoy et de l'historien Jean Delumeau.

Il a été, entre autres fonctions, président de l'Association pour la sauvegarde des enseignements littéraires, fondée par la grande helléniste Jacqueline de Romilly, président du Conseil scientifique de la Bibliothèque nationale, de la Commission générale de terminologie, de la Société des amis du Louvre.

Dans les années 90, on a parlé de lui pour être ministre de l'Éducation nationale ou de la Culture : « Oui, Edouard Balladur (candidat en 1995 à la présidence, ndlr) y avait songé », assurait-il au Point en 2018. Mais la défaite de M. Balladur face à Jacques Chirac a rendu l'opération impossible.

Lauréat de plusieurs prix, Marc Fumaroli a enseigné ou donné des conférences dans de nombreuses universités étrangères, notamment aux États-Unis (Columbia, Johns Hopkins, Harvard, Princeton etc) mais aussi en Grande-Bretagne et en Italie, pays qu'il considérait comme « sa seconde patrie ».

Membre de nombreuses sociétés savantes françaises et étrangères, longtemps responsable de revues historiques, préfacier de nombreux livres, ce dix-septiémiste était l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont L'âge de l'éloquence, Le poète et le roi, Jean de la Fontaine, Quand l'Europe parlait français, Chateaubriand, poésie et terreur, La République des lettres ou Paris New-York et retour, plusieurs fois réédité, dans lequel il s'en prenait aux dérives de l'art contemporain.

Par Claude Casteran

Cet article a été publié par l'AFP le 24 juin 2020.

Thématiques

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque