Politique culturelle

CAPITALE EUROPÉENNE DE LA CULTURE 2028

Bourges 2028, une capitale européenne « low cost »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2024 - 981 mots

Bourges a su séduire le jury en mettant en avant la modestie de sa candidature face aux trois autres métropoles.

Vue aérienne de Bourges. ©️ Benesté
Vue aérienne de Bourges.
© Benesté

Bourges (Cher). Déjouant tous les pronostics qui pariaient sur une métropole, de préférence Clermont-Ferrand ou Rouen, et dans une moindre mesure Montpellier, le jury européen a désigné Bourges pour représenter la France en 2028. Mais selon Jean de Loisy, l’un des deux jurés français, le jury était très partagé et il est probable que le vote à bulletins secrets ait incité les jurés, majoritairement issus de « petits » pays à choisir une ville qui leur ressemble. D’ailleurs, la présidente du jury, Rossella Tarantino, faisait partie de l’équipe organisatrice de Matera 2019, une ville italienne de la même taille que Bourges (60 000 habitants).

Selon Maurice Ulrich, lui-même ancien juré et qui a conseillé Clermont-Ferrand, « il y a eu un changement de stratégie de l’Union européenne depuis dix ans et Marseille-Provence 2013. Elle préfère maintenant les villes petites ou moyennes ». Emmené par Pascal Keiser, un « ancien » de Mons 2015 (90 000 habitants), Bourges 2028 a joué à fond la carte du Petit Poucet mâtiné de Calimero, mettant en avant « un lieu relativement isolé en France, peu connecté et difficilement accessible depuis le reste de l’Europe » (selon le premier rapport du jury), alors que pourtant une quinzaine de trains partent de Paris tous les jours, pour des trajets de 2 heures et qu’une autoroute la dessert directement. S’il y a bien un changement de stratégie, on s’étonne que les règles du jeu n’aient pas été fixées à l’avance, pour éviter aux grandes métropoles de candidater inutilement.

La présidente du jury Rossella Tarantino et Rima Abdul Malak lors de l'annonce de la ville désignée « capitale européenne de la culture 2028 » au ministère de la Culture à Paris, le 13 décembre 2023. © Photo Clotilde Bednarek pour LeJournaldesArts.fr
La présidente du jury Rossella Tarantino et Rima Abdul Malak lors de l'annonce de la ville désignée « capitale européenne de la culture 2028 » au ministère de la Culture à Paris, le 13 décembre 2023.
© Photo Clotilde Bednarek pour LeJournaldesArts.fr
Jouer la carte européenne

Bourges 2028 a particulièrement travaillé la dimension européenne de sa candidature en multipliant les programmes européens et en veillant à ce que leur nom reflète cette dimension : RER Europa, Trans Europe Culture, Metro Europa, Conseil citoyen de l’Europe, Euro Renaissances, Printemps de l’Europe… Le point d’orgue est constitué du projet astucieusement nommé Cité européenne des Artistes – Melina Mercouri qui sera installée dans l’actuel hôtel-Dieu, partiellement restauré. Cette « Cité » aspire à être d’un centre de ressources pour aider les artistes à acquérir une dimension internationale, mais elle va aussi centraliser les demandes de projets pour la Capitale (pour une valeur de 2 M€) et y organiser des symposiums.

La musique tient une place particulière dans le dossier. Le Printemps de l’Europe est plus qu’un clin d’œil au Printemps de Bourges, puisque le festival de musique sera incité à convier de jeunes talents européens. Taclant au passage « Marseille 2013 [qui] a été très critiquée pour ne pas avoir donné une place aux arts de la rue et aux musiques actuelles », la candidature prévoit de mettre le rap à l’honneur une semaine par mois à l’hôtel-Dieu.

De manière générale, la candidature veut montrer qu’elle épouse les tendances sociétales du moment : un cabaret queer, une relecture « décolonisée » des collections du Centre Pompidou qui seront exposées dans certains lieux, un Conseil citoyen (bien sûr « européen ») qui aura à gérer une partie des appels à projets de la Cité européenne des Artistes, un projet artistique dans un Ephad, une commission (« fictive ») qui attribuera la personnalité juridique aux fleuves.

La place Gordaine à Bourges. © Zairon, 2018, CC BY-SA 4.0
La place Gordaine à Bourges.
Réduire l’empreinte carbone

L’argument massue reste cependant l’approche décarbonée. Pourtant, contrairement à Rouen qui multipliait les projets pour que les habitants puissent s’y rendre à pied, Bourges 2028 les incite à utiliser les transports en commun, en l’occurrence les trains ou les bus. Elle va commencer par transformer une dizaine de gares en « espaces de démonstration artistique et environnemental » (des « gares végétales ») avec, par exemple, une installation d’Éva Jospin à la gare de Bourges ou un mur végétal sur la verrière de la gare d’Austerlitz à Paris. Des circuits en bus « bas carbone » partiront de ces gares afin de faire découvrir des sites patrimoniaux ou naturels qui offriront par ailleurs des animations (dégustation de poisson) ou des installations (RER Europa). Des wagons dans des trains de nuit seront réservés pour proposer aux voyageurs venant à Bourges des animations artistiques (Trans Europe Culture). Une exposition itinérante sera également montée dans un ancien train qui se déplacera dans différents lieux de la région (Le Mille-Pattes à Roulettes).

Les musées hors-jeu ?

On relève que la programmation se déroule beaucoup hors de Bourges. Est-ce que Bourges manquerait de lieux pour cela ? En tout cas, elle va manquer de musées. Les quatre musées de la ville sont aujourd’hui fermés pour travaux. Après avoir compris que les travaux du principal musée, le Musée du Berry installé dans l’hôtel Cujas et qui abrite une collection d’archéologie et de beaux-arts, ne seront pas finis à temps, elle a décidé de faire l’impasse sur ce dernier (renommé « Grand Musée ») et de se concentrer sur les travaux du Musée Estève et de l’ex-Musée des arts décoratifs, installé dans l’hôtel Lallemant, qui doivent en théorie être terminés en 2027. Mais le rapport explique qu’en cas de retard des travaux, elle pourra organiser les expositions prévues au Musée de Berry dans d’autres lieux, mais sans préciser lesquels. Reste que comme l’indiquait le premier projet : « L’absence d’un musée moderne, adapté au public de notre époque et répondant aux exigences scientifiques contemporaines est une lacune importante pour une ville de notre importance culturelle. »

Sans surprise, avec une telle programmation, Bourges peut se targuer d’être la moins chère des candidates, avec un budget autour de 40 millions d’euros, soit la moitié de celui de ses concurrents. On ne connaîtra pas le montant exact, car l’équipe refuse de communiquer ses chiffres et a enlevé la partie financière de sa candidature, sur le document mis à disposition sur son site. On ne sait pas non plus comment ce budget sera financé. On en saura peut-être plus dans le rapport final du jury. On attend également le point de vue des jurés sur l’attractivité de la programmation pour les touristes français et internationaux car, sur le papier, ce n’est pas ce qui ressort le plus.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : Bourges 2028, une capitale européenne « low cost »

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