Architectures d’hier et d’aujourd’hui

Projets internationaux des dernières années, constructions de bord de mer, monuments réinventés pour le 7e art et Le Corbusier en Inde sont à l’honneur en cette fin d’année

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 2010 - 969 mots

On peut avoir une légitime appréhension à ouvrir un livre aussi froidement intitulé Mathématiques et architecture. Pas de panique !

Les fans de diagramme de Voronoï, conjecture de Kelvin et autres NURBS (noms de figures mathématiques) seront, certes, ravis, mais ceux d’architecture également. Car cet ouvrage dresse un panorama des réalisations de ces quinze dernières années pour lesquelles les mathématiques ont été essentielles, sinon indispensables. Et l’on est stupéfait devant les possibilités de ces algorithmes qui rendent physiquement possible des formes géométriques complexes, encore inimaginables il y a une décennie. Et pourtant, nous ne serions encore, selon les auteurs de l’ouvrage, Jane Burry et Mark Burry, qu’« à l’aube d’une révolution beaucoup plus grande dans la représentation et la production architecturale ». Pour l’heure, le duo décortique près d’une cinquantaine de projets internationaux, réalisés ou pas, dont ils montrent, en regard, la virtuosité du modèle mathématique. Ainsi en est-il du projet lauréat, mais abandonné, de l’extension du Victoria & Albert Museum de Londres, par Daniel Libeskind, une spirale « chaotique » ; de la maison Möbius, par UN Studio, à Het Gooi (Pays-Bas), en forme d’anneau du même nom ; et de l’incroyable Metropolitan Opera House de Taichung (Taiwan), par Toyo Ito, un édifice aussi perforé qu’un… morceau de gruyère ! 

Sur les côtes françaises 
Après les trous… Trouville-sur-Mer, ainsi que les autres stations balnéaires disséminées sur les 5 533 kilomètres de côtes françaises, dans cet ouvrage baptisé Villégiature des bords de mer, architecture et urbanisme XVIIIe-XXe siècles. Celui-ci conte une saga des villégiatures thermales – le chapitre historique est passionnant – et détaille diverses typologies architecturales : établissements sportifs (piscine, hippodrome…), culturels (musée, théâtre, opéra…), de loisirs (café, casino…), sans oublier les hôtels fastueux, les villas somptueuses et autres luxueuses folies. Du plus modeste au plus extravagant, du plus régionaliste au plus moderniste, du plus fonctionnel au plus inventif, le « style villégiature » a ainsi généré moult chefs-d’œuvre. En témoignent, entre autres, la mythique Maison en bord de mer d’Eileen Gray (Roquebrune-Cap-Martin), la non moins fameuse opération immobilière Marina-Baie-des-Anges (1 500 logements) de l’architecte André Minangoy (Villeneuve-Loubet), la villa Magdalena d’Albert Laprade (Bénodet) ou la villa Greystones de Michel Roux-Spitz (Dinard).
En revanche, il n’y est point fait mention du célèbre Hôtel de la plage de Saint-Marc-sur-Mer (Les Vacances de M. Hulot, Jacques Tati, 1953). Ni dans le livre suivant d’ailleurs, qui s’intitule Monuments stars du 7e art. Ce dernier se penche davantage, en fait, sur les « véritables » monuments du patrimoine français (châteaux, cathédrales, vastes demeures…) et sur la manière dont ils servent de toile de fond, parfois même de « personnages », dans nombre de films. Du Miracle des loups (Raymond Bernard, 1924) à Marie-Antoinette (Sofia Coppola, 2006), cet ouvrage, captivant, dévoile l’envers du décor, notamment le travail méticuleux des décorateurs justement, mais aussi l’imagination débridée des réalisateurs. Car la réalité est souvent aménagée, transformée, réinventée, plus qu’on ne le croit. Pour plusieurs scènes de son dernier film actuellement à l’affiche, La Princesse de Montpensier, Bertrand Tavernier a ainsi reconstitué le Louvre en mélangeant des plans des châteaux… de Blois et de Noirlac, avec, à la clé, de subtils raccords de portes et d’escaliers permettant de passer d’un lieu à l’autre. « Ce genre d’acrobatie est très amusant à faire », assure Tavernier. 

Voyage en Inde 
Acrobatie moins drôle, pour l’auteur de ces lignes cette fois : passer du cinéma en France, non pas à Bollywood, mais bel et bien au sous-continent indien, avec le dernier ouvrage de la présente sélection, intitulé Le Corbusier – Pierre Jeanneret, l’aventure indienne. Ce livre, concocté par deux antiquaires, Éric Touchaleaume et Gérald Moreau, est une somme sur le travail de ces deux architectes en Inde, inventoriant à la fois les bâtiments – dont nombre de réalisations méconnues – et le mobilier. Sont en particulier passées au crible, avec minutie et avec force détails (380 photos d’époque, 170 documents d’archives…), Chandigarh (État du Pendjab) évidemment, nouvelle capitale voulue par Nehru en 1951, avec, entre autres, son Assemblée, son Secrétariat, sa Haute-Cour et… sa mythique sculpture de La Main ouverte, ainsi qu’Ahmedabad (État du Gujarat), son Palais des filateurs, son Musée Sanskar Kendra et ses luxueuses villas Shodan et Sarabhai.
Outre le travail du maître – Le Corbusier –, le lecteur découvre aussi celui, important, de son cousin – Pierre Jeanneret – qui, lui, suivit sur place les multiples chantiers du Corbu, entre 1951 et 1965, et réalisera, en parallèle, une œuvre personnelle de qualité : maisons particulières ou édifices publics, ainsi qu’un fameux programme de « meubles économiques » (« Low Cost Furniture ») destinés à équiper différents édifices de Chandigarh. Un mobilier qui, ironie de l’histoire, se retrouve aujourd’hui en salles des ventes et à des prix tout sauf « économiques », ce qui a pour effet d’agacer les Indiens. C’est pourquoi les deux auteurs ont tenu, dans le présent ouvrage, à éteindre toute polémique éventuelle à ce sujet : « N’en déplaisent aux journalistes en quête de sensationnel et aux intrigants cherchant à créer et exploiter le scandale : il n’y a eu ni détournements, ni corruption… Vendeurs comme acheteurs n’ont fait que suivre la loi indienne sur la mise en vente du mobilier administratif réformé et sur l’exportation de biens de moins de 100 ans d’âge ». À bon entendeur !

Jane Burry et Mark Burry, Mathématiques et architecture, éd. Actes Sud, Arles, 2010, 272 p., 42 euros, ISBN 978-2-7427-9286-3

Sous la direction de Bernard Toulier, Villégiature des bords de mer, architecture et urbanisme XVIIIe-XXe SIÈCLES, éd. du Patrimoine, 2010, 400 p., 60 euros, ISBN 978-2-8582-2950-5

Sous la direction de N. T. Binh, Monuments stars du 7e art, éd. du Patrimoine, 2010, 256 p., 45 euros, ISBN 978-2-7577-0111-9

Éric Touchaleaume et Gérald Moreau, Le corbusier – Pierre Jeanneret, l’aventure indienne, éd. Gourcuff-Gradenigo, 2010, 640 p., 120 euros, ISBN 978-2-3534-0099-7

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°336 du 3 décembre 2010, avec le titre suivant : Architectures d’hier et d’aujourd’hui

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