Police

Archéologie : 27 400 pièces « inestimables » saisies chez un mystérieux pilleur de l'Est de la France

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 16 décembre 2020 - 705 mots

LORRAINE

Il disait avoir « trouvé » une partie du trésor dans son jardin... les douanes ont réalisé l'une des plus importantes saisies d'objets archéologiques, soit un butin de 27 400 pièces d'une « valeur inestimable », amassé pendant des années par un mystérieux pilleur du « Grand Est », a appris mardi l'AFP auprès des douanes.

Une enquête, menée pendant plus d'un an par une équipe de douaniers français, en coopération avec les autorités belges et les services déconcentrés du ministère de la culture (DRAC), a permis cette saisie record, a indiqué la direction des douanes. Le pilleur s'était concentré sur divers sites référencés de l'Est de la France où, muni de détecteurs de métaux et d'une très solide culture scientifique archéologique, il s'était servi pendant des années, amassant cette inédite collection à des fins personnelles et mercantiles.

Cette saisie est « un message clair adressé à ceux qui, pour le profit et le plaisir égoïste de quelques-uns, nous privent de notre patrimoine commun et effacent des pans entiers de notre histoire », a réagi le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, évoquant « un trésor inestimable ».

L'affaire commence en septembre 2019, lorsque ce résident français en Belgique déclare avoir, en dépolluant son terrain, fait la découverte « fortuite » de 14 154 pièces de monnaie de l'époque romaine enfouies dans son verger. Selon la législation belge sur les découvertes fortuites, il pouvait espérer en devenir le propriétaire légal. Mais les autorités belges décident alors de mandater une experte.

Torques, fibules, dodécaèdre

« Il a ouvert le coffre de sa voiture et m'a montré deux énormes seaux en plastique remplis. Je n'avais jamais vu autant de pièces », explique à l'AFP Marleen Martens, archéologue de l'agence du patrimoine de Flandre, en Belgique.

Au premier coup d'œil, elle reconnaît des « Antoniniens », datant du IIIe siècle, reconnaissables à l'effigie couronnée de l'empereur. Ces pièces, riches en argent, étaient fréquemment enfouies pour cette raison par les épargnants de cette période troublée de l'Empire romain.

Mais Mme Martens inspecte le lieu de la découverte et détermine que la « stratigraphie » (étude des couches de terre, ndlr) n'était pas plausible. Une expertise du terrain et des alentours confirme ses premiers doutes. « Le contexte de ce dépôt ne pouvait pas être romain. C'était juste impossible », explique-t-elle. Le propriétaire du terrain est français, également basé en Lorraine et il est connu dans le milieu de la vente d'objets anciens. La direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) française, en charge de la lutte contre les trafics de biens culturels, est saisie. Elle établit rapidement que « le trésor monétaire à l'origine de leurs soupçons est bien issu de divers pillages en France ».

Dès la première visite au domicile du contrevenant, les douaniers français, qui pensaient en rester aux 14 000 pièces de monnaie, découvrent l'ampleur de la collection : au total 27 400 objets archéologiques. Parmi ces objets pillées se trouvent des bracelets et torques datant de l'âge du Bronze et de l'âge du Fer, un dodécaèdre romain dont il n'existe qu'une centaine d'exemplaires connus, mais également des fibules romaines, des boucles de ceintures mérovingiennes, médiévales et de la Renaissance, des éléments de statues et des monnaies romaines et gauloises...

« Pas qu'en Egypte »

Les archéologues français chargés du recensement se disent aujourd'hui désemparés. « Ces objets sortis de leur contexte perdent au niveau de l'interprétation, on perd des éléments sur la datation, leur vocation, sans parler des problèmes de préservation », explique Frédéric Séara, Conservateur régional de l'archéologie au sein de la DRAC Alsace.

« Quand je repense à ce dodécaèdre, ne pas connaître son contexte c'est dramatique », dit-il à propos de cette énigmatique pièce de métal à 12 faces, dont il n'existe que quelques dizaines d'exemplaires au monde. Les archéologues alertent depuis de nombreuses années sur la fréquence des pillages en France et exigent une réglementation plus stricte sur la vente et l'utilisation des détecteurs de métaux, utilisés aussi bien par des pilleurs aguerris que par des chasseurs de trésor du dimanche.

« L'ampleur des pillages archéologiques en France est dramatique, ça ne se passe pas qu'en Egypte », estime M. Séara.

Au terme de cette enquête administrative, le dossier doit être prochainement transmis à la justice française. Le pilleur lorrain encourt, outre une amende douanière colossale, une peine d'emprisonnement.

Par Daphné Rousseau

Cet article a été publié par l'AFP le 16 décembre 2020.

Thématiques

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque