Société

Activiste, voyou, pornographe : la carrière cabossée de Piotr Pavlenski

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 17 février 2020 - 544 mots

PARIS

Notre correspondant à Moscou décrit un personnage apprécié avant que l’on découvre son agression sexuelle contre une actrice.

Jusqu'en 2016, Piotr Pavlenski était la coqueluche de l'art contemporain russe, admiré pour la radicalité et la mise en scène spectaculaire de ses performances actionnistes : simulation de la révolution du Maïdan, incendie du siège du KGB/FSB ; nu enroulé dans du fil barbelé ; se clouant le scrotum sur les pavés de la place Rouge ; se coupant l'oreille devant un hôpital psychiatrique dans lequel de nombreux dissidents sont passés, etc. 

Ses actions restent dans les mémoires, séparant les anciens des modernes, les collaborateurs du régime et ses opposants. Parmi ses détracteurs, le directeur de l'Ermitage Mikhaïl Piotrovsky, qui confiait en 2016 au Journal des Arts que « Pavlenski n'a aucun rapport avec l'art, c'est de la provocation politique et du show business. Une émanation indésirable de sous-culture carcérale dans la société »

L'institution est pourtant à deux doigts de le consacrer début 2016. L'action « Menace » devant le siège du FSB est nommée dans la catégorie « meilleure oeuvre d'art de l'année » des récompenses annuelles « Innovation », organisées par le Centre national d'art contemporain. Jusqu'à ce qu'un ordre du ministère de la Culture exclût Pavlenski, qui purge à ce moment-là une peine de sept mois de prison pour l'incendie. La moitié du jury claque la porte d'« Innovation » en geste de protestation.

En mai 2016, il décroche le prix de la dissidence créative de la fondation Vaclav Havel. Pavlenski annonce qu'il va reverser l'argent du prix à un groupe de criminels anarchistes emprisonnés pour le meurtre de trois policiers russes. La fondation, suivant son principe de non-violence, lui retire immédiatement le prix.

En fin d'année, alors que son aura est maximale, le monde culturel russe est choqué de découvrir la plainte déposée par une jeune actrice contre lui pour agression sexuelle. Pavlenski et sa compagne ne cachent pas leur goût pour les jeux sadomasochistes et libertins. Ils affirment que la jeune femme était consentante. Puis une vidéo émerge sur les réseaux sociaux, montrant l'actionniste rouant de coups l'ex petit ami de l'actrice. 

On se rappelle alors que découvrant le dessin à 14 ans, Piotr Pavlenski s'était fait renvoyer du collège pour avoir croqué ses camarades dans des poses pornographiques.

Est-ce une machination des autorités visant à discréditer Pavlenski ? Pourtant la troupe du Teatr.doc, réputée avant-gardiste et persécutée par les autorités, fait bloc derrière son actrice et stigmatise Pavlenski comme un individu violent. La scène artistique contemporaine soudain se divise. Serait-il une brute machiste ? Un psychopathe ? Dénonçant une persécution, Pavlenski s'exile en France avec sa compagne et leurs deux filles.

Il compte encore de nombreux soutiens, parfois inattendus. Au lendemain d'« Illumination » en octobre 2017, action au cours de laquelle il incendie la porte de la banque de France, le quotidien d'affaires russe Vedomosti encense un Pavlenski « damnant le pion aux gauchistes européens sur leur propre territoire, par un geste antibourgeois stylistiquement pur »

Encore aujourd'hui, Oleg Kulik, figure de l'actionnisme des années 90, continue à défendre Piotr Pavlenski. Il salue - non sans second degré - un digne héritier capable d'unifier contre lui toute la classe politique française, de Mélenchon à Le Pen. Pour Kulik, l'art se trouve toujours là où on ne l'attend pas. Dans l'affaire Griveaux, la pornographie révèle la nature du politique. 
 

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