Musée

Un nouveau bâtiment pour le MADmusée devenu le Trinkhall

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 2 février 2021 - 744 mots

LIÈGE / BELGIQUE

Après dix années d’exil hors les murs, les collections du MADmusée, rebaptisé « Trinkhall Museum », sont de retour au cœur de Liège à leur emplacement initial, où a été élevé le bâtiment répondant au nouveau projet muséal. Celui-ci valorise, sans s’y restreindre, l’expression liée au handicap mental.

Le Trinkhall Museum. © P. Schnys/SOFAM
Le Trinkhall Museum.
© P. Schnys /SOFAM

Liège. À la nuit tombante, le Trink-hall s’illumine et rayonne comme une lanterne au milieu des arbres et des allées du parc d’Avroy. Le nouveau bâtiment, conçu par l’agence d’architectes Beguin-Massart, est enveloppé d’une légère résille opaline grise aux contours arrondis qui recouvre l’ancien MADmusée. Le « Musée d’art différencié », fondé en 1998, vient de passer le relais, en début d’année 2020, au « Trink-hall Museum », rebaptisé ainsi en mémoire du café de style mauresque (le Trink-Hall) qui occupait les lieux au XIXe siècle. Sa vocation ? Être le « porte-étendard de la puissance expressive des mondes fragiles », affirme Carl Havelange, le directeur artistique du Trinkhall.

C’est à la fin des années 1970 que tout a commencé. L’artiste Luc Boulangé, qui a improvisé un atelier de peinture dans une institution de soins, découvre, émerveillé, la puissance créative des personnes handicapées. En 1979, Boulangé crée une association, le Créahm (Création et Handicap mental) qui s’emploie à révéler et valoriser les œuvres créées par des personnes handicapées mentales. C’est ainsi qu’est née, il y a quarante ans, la collection du musée qui réunit aujourd’hui près de 3 000 œuvres.

« Le projet muséal a été entièrement repensé. Nous sommes toujours adossés au Créahm tout en portant un regard critique sur les dénominations », poursuit Carl Havelange. Exit l’ancienne appellation d’« art différencié » jugée trop stigmatisante. Lui est substituée celle d’« arts situés » préférée à la notion d’art brut qui ne cadrait pas avec la collection.

« Nous sommes ici aux antipodes de l’art brut, cet art hors norme qui se doit d’être dégagé de toute influence culturelle. Les œuvres que nous exposons ont été créées dans le cadre d’ateliers, de lieux qui ressemblent à des académies ou des écoles. L’atelier étant le vivier où ces formes artistiques singulières se déploient, nous avons adopté cette notion d’ “art situé” pour insister sur les conditions effectives de ces créations », souligne le directeur artistique.

Un lieu porteur de « vertus transformatrices »

Le nouveau musée se déploie sur plus de 600 m² sur deux niveaux. Au rez-de-chaussée, un espace dévolu aux expositions monographiques mettra à l’honneur, tous les six mois, un artiste travaillant dans un atelier. C’est Jean-Michel Wuilbeaux, natif de Valenciennes (Nord), résidant depuis trente ans à La Pommeraie, un foyer à Beloeil (Belgique) accueillant des adultes en ateliers protégés, qui inaugure le lieu avec ses peintures et dessins aux couleurs vives sur lesquels courent des mots en liberté. Ses œuvres jouxtent celle d’Alain Meert auquel il a été demandé de réfléchir à la question : « Qu’est-ce qu’un musée ? ». Pour célébrer l’ouverture du Trinkhall, Meert a réalisé un galion, une sorte d’arche, volant toutes voiles déployées, qui héberge d’étonnants dessins, peintures et sculptures.

À l’étage, dans un bel espace baigné de lumière, se tient la grande exposition annuelle intitulée « Visages/Frontières » qui se poursuivra jusqu’au mois de septembre 2021. Une interrogation sur l’identité appréhendée à travers les existences, fragiles, bousculées, inquiètes ou exubérantes de ces dizaines d’artistes désencombrés de la volonté de plaire. Regard intense, extatique et douloureux d’une femme recroquevillée plantant ses grands yeux noirs droit dans les vôtres (Pierre De Peet). Visage asymétrique, regard effaré, bouche crispée devant laquelle s’alignent, rigides, les doigts d’une main qui semblent vouloir étouffer un cri (Doreen McPherson). Grands yeux noirs vides et volontaires, teint livide et lèvres pincées trahissant des silences pesants et des appels restés sans réponse (Pascal Duquenne). Énigmatiques et saisissants portraits d’Eric Derkenne rappelant la force hypnotique des masques africains. Mines de plomb au graphisme minimaliste d’Alexis Lippstreu figurant de petits personnages hiératiques comme engloutis par l’espace qui les entoure.

Ces œuvres dialoguent notamment avec deux lithographies de Bengt Lindström, une autre de James Ensor, un crâne surmodelé de Nouvelle-Guinée et un autoportrait de Rembrandt. À l’étage toujours, un espace d’exposition est consacré aux sculptures protéiformes en tissu et lambeaux d’étoffes de Pascal Tassini.

Après « Visages/Frontières » sera présentée, en septembre 2021, une exposition intitulée « Des lieux pour exister » qui évoquera la question du lieu, de l’espace, de l’habitat comme matrice de l’existence. « Nous voudrions que le musée soit un lieu non seulement d’exposition mais aussi de débat et de recherche. Un lieu de pensée, d’échange, de questionnement, une instance critique et inquiète. Qu’il soit porteur d’interpellations et pourquoi pas de vertus transformatrices », précise Carl Havelange.

Trinkhall Museum,
parc d’Avroy, Liège, Belgique, du mercredi au dimanche, 10h-18h, www.trinkhall.museum

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°559 du 22 janvier 2021, avec le titre suivant : Un nouveau bâtiment pour le madmusée devenu le Trinkhall

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