Art contemporain

Sur les traces de CoBrA à Copenhague

Par Éric Tariant · L'ŒIL

Le 23 octobre 2015 - 1394 mots

Formé par un « clan de vikings » à l’acronyme venimeux, CoBrA fut l’un des grands mouvements artistiques du XXe siècle. Plusieurs figures de ce groupe international ont travaillé à Copenhague et dans ses environs. Nous sommes partis sur leurs pas.

Nés au pays de la Petite Sirène, ils ont bercé le mouvement CoBrA (acronyme correspondant aux premières lettres des villes Copenhague, Bruxelles et Amsterdam) de leur petit monde de dieux, d’elfes et de gnomes. Un univers étrange nourri de mythes et de légendes et imprégné d’un sentiment très scandinave de profonde unité avec la nature. Aux côtés de leurs compères belges et hollandais, les CoBrA du Danemark ont cherché, à la fin des années 1940, à « extirper l’art du carcan dans lequel il se trouvait ». Ils ont voulu faire table rase d’une culture occidentale jugée trop cérébrale et repartir de zéro pour s’exprimer de façon spontanée. Puisant librement dans leur inconscient, ils donnent vie à des créatures fabuleuses et mythologiques : oiseaux géants, créatures masquées et petits êtres étranges barbouillés de couleurs vives et chaleureuses. Utopistes, ils militent pour la démocratisation de l’art et pour la libération des imaginaires. « Nous devons faire de tous les hommes des artistes, insiste Carl-Henning Pedersen. Car ils le sont. Simplement, ils ne le croient pas. » Pedersen est aux côtés d’Asger Jorn l’un des plus éminents représentants des CoBrA du Danemark qui comptent aussi dans leurs rangs Else Alfelt, Henry Heerup, Erik Thommesen, Sonja Ferlov, Ejler Bille, Egill Jakobsen et Robert Jacobsen.

Au palais de Charlottenborg
Plusieurs d’entre eux ont usé, dans les années 1930, leurs fonds de culotte sur les bancs de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark. Cette école dédiée aux arts visuels est toujours abritée dans l’une des ailes du magnifique palais de Charlottenborg, à Copenhague, sur la place royale (Kongens Nytorv). Avant-guerre, ils se retrouvaient dans le pittoresque quartier de Nyhavn, chez la collectionneuse d’art Elise Johansen. Ils avaient aussi leurs habitudes chez Carl Kjersmeier, un collectionneur d’art africain qui vivait dans le quartier populaire de Vesterbro.

Au cours des années 1940, ces artistes ont exposé dans le cadre du groupe Høst (« le temps de la moisson »). En novembre 1948, Appel, Constant et Corneille montent à Copenhague pour participer à l’exposition annuelle de cette association qui se tient dans un pavillon du XIXe siècle situé en face de la gare d’Østerport. Accueillie autour d’un plantureux smørrebrød, la petite bande découvre avec plaisir la vitalité de l’art danois. Den Frie (situé sur Oslo plads) est aujourd’hui un centre d’art contemporain très fréquenté.

Durant les brèves années CoBrA, de novembre 1948 à novembre 1951, Asger Jorn vit et travaille dans le quartier de Nørrebro (Rådmandsgade 49). C’est à ce moment-là qu’il découvre Dada, le surréalisme et Kandinsky. Carl-Henning Pedersen commence, lui, à peindre ses tableaux peuplés d’oiseaux gigantesques. Il habite avec sa femme Else Alfelt dans un modeste appartement du quartier de Frederiksberg (Ny Carlsberg vej 144), non loin de la célèbre brasserie. Les deux hommes exposent chez Børge Birch, un ancien boucher qui vient d’ouvrir une galerie, en 1946, dans la capitale. Aujourd’hui propriété d’Anette Birch, la fille du fondateur, la galerie a toujours pignon sur rue dans le quartier très vivant de Nyhavn (Bredgade 6). Après avoir défendu Jorn, Alechinsky, Appel, Corneille et Reinhoud, elle expose aujourd’hui des artistes qui furent des proches d’Asger Jorn comme Walasse Ting, Jan Voss, Jean Messagier et Bengt Lindström.

Ces artistes aimaient se retrouver au restaurant Tokanten qui était tenu par un artiste, au sud de la capitale (Raadhusstræde 7), et prendre un verre dans le célèbre café Laurits Betjent (Ved Stranden 16). Ces deux enseignes, autrefois hantées par les CoBrA, ont aujourd’hui fermé leurs portes.

Fantaisie et humour
Durant l’été 1949, le groupe international se réunit à nouveau au Danemark. À Bregnerød, à proximité de Copenhague, dans la maison des étudiants danois en architecture. Durant un mois, ils peignent, sculptent, écrivent des poèmes et décorent ensemble la bâtisse en toute spontanéité, sans règles ou normes préétablies. Jorn et Pedersen couvrent les murs d’une grande pièce, la Salle des délibérations, d’être fabuleux et de figures exubérantes. Sur l’une des portes décorées par Klaus, le fils de Jorn, on peut lire des aphorismes de Christian Dotremont : « N’écrase pas ton rêve en entrant. Mets-le comme un sac à dos sur tes épaules. Pour partager avec nous. » Une partie des œuvres préservées sont aujourd’hui exposées à Sophienholm, une élégante demeure XVIIIe transformée en lieu d’exposition, située à Lingby dans les environs de Copenhague.

Dans son fabuleux jardin-atelier de Rødovre, à quelques kilomètres de la capitale, Henry Heerup célébrait la femme et la maternité en donnant naissance à des sculptures simples et spontanées réalisées à l’aide d’objets récupérés. Le lieu a aujourd’hui disparu mais vous pouvez visiter le Musée Heerup qui réunit notamment une trentaine de peintures et de nombreux dessins et estampes de cet artiste fantaisiste et plein d’humour. Vous y admirerez également quelques-unes de ses étonnantes sculptures en pierre et autres assemblages d’objets trouvés qu’il réalisait, au grand air et par tous les temps, sous le soleil, la pluie ou la neige.

Tout l’œuvre sur papier de karel Appel à Beaubourg
Le Centre Pompidou présente cet automne, du 21 octobre au 11 janvier, une importante rétrospective de l’œuvre sur papier du Néerlandais Karel Appel. On y découvre une sélection de 85 œuvres sur papier, souvent inédites, exécutées de 1947 à 2006. Très lié au groupe CoBrA, l’artiste s’installa à Paris en 1950 avant de partager son temps entre l’Europe et les États-Unis. Appel a été profondément marqué par l’œuvre des artistes danois du mouvement et en particulier par celle de Carl-Henning Pedersen. C’est après avoir découvert, fin 1948, le travail des Danois qu’il se libère de tout ce qui pouvait encore entraver son imagination. Des figures enfantines et drôles rappelant les dessins d’enfants apparaissent alors dans son œuvre. « Les Danois vivent dans un tout autre climat, expliquait-il. Ils n’ont pas connu, comme les Pays-Bas et les Flandres, un “siècle d’or” avec une pléiade de peintres. Ils ignorent l’individualisme. Ils vivent encore dans la familiarité du folklore, avec les fables, les soleils. » Après les années CoBrA, Appel prit ses distances avec le langage artistique qui était celui du mouvement pour forger son propre style.

Les CoBrA du Jutland
Trois musées situés dans le Jutland, à Silkeborg, Herning et Aalborg, exposent en permanence des œuvres du mouvement CoBrA. Le Musée Jorn montre à Silkeborg depuis 1965 des œuvres de son fondateur aux côtés de grands classiques du XXe siècle. En 1974, un lumineux musée dédié à l’œuvre de Carl-Henning Pedersen et de sa femme Else Alfelt a ouvert ses portes à Herning. Le musée d’Aalborg possède, de son côté, une importante collection d’œuvres CoBrA dues à Jorn, Pedersen, Dotremont, Heerup et Constant notamment.

Les rebelles du SMK
Le Statens Museum for Kunst de Copenhague est le plus important musée des beaux-arts du Danemark. Il possède une collection d’œuvres d’artistes CoBrA qui sont exposées, tour à tour, dans une salle permanente dédiée à Pedersen, Heerup, Bille et à leurs camarades belges et hollandais. L’an passé, pour les 100 ans de la naissance d’Asger Jorn, le musée a consacré au grand maître danois, qui a vécu dans le Jutland, une décapante rétrospective intitulée « Le rebelle sans répit ».

Les Jorn tardifs du Louisiana
Le Musée d’art moderne Louisiana a ouvert ses portes en 1958 au nord de Copenhague. Flanqué d’un magnifique parc de sculptures surplombant la mer, il possède une belle collection de Jorn tardifs (très rares au Danemark, le peintre ayant quitté le pays en 1953) exposés en permanence dans une salle qui leur est dédiée. Ces œuvres majeures ont fait l’objet de deux donations au musée par Jytte et Dennis Dresing, en 1999 puis en 2004.

Les tribulations d’un mural
En 1965, Jorn rendit visite à son galeriste et ami Børge Birch qui possédait une maison de campagne à Læsø, une île située en mer du Nord dans le détroit du Cattégat. Un beau jour, le peintre décida de peindre avec fougue, de son écriture tourmentée, un grand mur d’une quarantaine de mètres carrés. Quand, dans les années 1980, Birch décida de vendre sa maison, les fresques furent détachées et transférées dans un premier temps dans un théâtre, avant d’être expédiées puis conservées au musée d’Arken, au sud de Copenhague.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°684 du 1 novembre 2015, avec le titre suivant : Sur les traces de CoBrA à Copenhague

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