Singapour

Singapour sur la voie de la compétitivité culturelle

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 26 octobre 2010 - 1529 mots

Tandis que s’ouvre l’exposition « Baba Bling » au musée du Quai Branly [lire p. 94], L’œil est parti à la découverte de cette ville-État fameuse pour son urbanisme moderne, sa prospérité économique et, bientôt, pour ses équipements culturels.

A quoi peut bien ressembler une ville-État sous les tropiques ? C’est la question que se pose tout visiteur qui débarque pour la première fois à Singapour, micro-pays de 645 km2, peuplé de 5 millions d’habitants (recensement juin 2010), dont près de deux tiers de citoyens singapouriens. Réponse : à une ville ultramoderne et à une nation à l’économie prospère (croissance moyenne de 8 % par an depuis son indépendance en 1965).

Devenir culturellement attractif
Dès l’aéroport, le décor est planté. Il suffit d’emprunter la East Coast Parkway qui file vers le centre-ville et de jeter un regard vers la mer pour découvrir un spectacle étourdissant. À perte de vue, des dizaines de cargos et autres porte-conteneurs. La baie n’est qu’une immense salle d’attente à ciel ouvert, pour navires en passe d’être remplis ou déchargés. Singapour est le premier port au monde, mais la cité a surtout forgé sa réputation en tant qu’importante place financière asiatique – la troisième après Tokyo et Hong Kong. Une image qui, aujourd’hui, lui colle un peu trop à la peau. De métropole où il fait bon faire des affaires – Singapour n’a quitté la fameuse « liste grise des paradis fiscaux » de l’OCDE que le 13 novembre 2009 –, elle souhaite, en effet, devenir une métropole où il fait bon vivre.

« Aujourd’hui, pour être une ville globale, il faut être attractif non seulement en regard des salaires ou du système de santé, mais aussi du point de vue du divertissement et de l’offre muséale », nous a déclaré Lui Tuck Yew, ministre de l’Information, de la Communication et des Arts. Objectif : doubler les revenus du tourisme d’ici à 2015, en l’occurrence passer de 9,7 millions de visiteurs en 2009 à 17 millions d’après le Singapore Tourist Board.

Vont donc, en priorité, être développés deux secteurs : les loisirs et la culture. Côté loisirs, Singapour a viré sa cuti en autorisant, après 45 ans de bannissement, l’ouverture de… casinos. Cette année, deux gigantesques « Integrated Resorts », des complexes mêlant à la fois lieux de résidence, de shopping, d’affaires et de jeux, ont été inaugurés. Sur l’île voisine de Sentosa, Resorts World a coûté la bagatelle de 6,3 milliards de dollars singapouriens (3,53 milliards d’euros), tandis que Marina Bay Sands, sur l’île principale, a quant à lui coûté 7,5 milliards de dollars singapouriens (4,26 milliards d’euros). Des sommes astronomiques. Rien de comparable, évidemment, avec les budgets dévolus au second secteur que le gouvernement compte développer : la culture.

À Singapour, un grand nombre de musées sont rassemblés en plein cœur de la ville, entre The Padang, l’esplanade principale, au sud-est, et le parc de Fort Canning, au nord-ouest. Leur découverte peut donc amplement se faire à pied. Lorsque la chaleur et le taux d’humidité sont à leur maximum – Singapour se trouve à 137 kilomètres de l’équateur –, on éprouvera même une certaine satisfaction à enchaîner plusieurs institutions d’affilée, histoire de profiter au mieux de l’air conditionné ! Certaines d’entre elles recèlent de véritables trésors, tel l’Asian Civilisations Museum, qui jouit, en outre, d’une situation privilégiée, blotti dans un coude de la Singapore River, ce qui en fait un but de balade incontournable.

Selon le National Heritage Board, l’équivalent de notre RMN nationale, l’État a au cours de ces vingt dernières années investi 1,4 milliard de dollars singapouriens (0,78 milliard d’euros) pour développer moult institutions artistiques. Ainsi, 132,6 millions de dollars singapouriens (74,3 millions d’euros) ont été consacrés au réaménagement et à la construction d’une aile supplémentaire du National Museum of Singapore. Et plus de 300 millions de dollars singapouriens (168,2 millions d’euros) sont actuellement alloués à la future National Art Gallery, un projet conduit par le cabinet parisien studioMilou, qui réunit deux emblématiques édifices de Singapour (les anciens hôtel de ville et Palais de justice) et accueillera « la plus grande collection au monde d’art moderne d’Asie du Sud ». Ouverture prévue entre fin 2013 et début 2015.

Des centres dédiés à la création
Outre les chantiers nationaux, se multiplient sur le terrain des expériences semi-publiques. Sur le Mount Sophia, une colline située en plein cœur de la cité, entre Bridge Road, l’artère principale parallèle à la mer, et Orchard Road, l’avenue chic, une ancienne école – la Methodist Girls School – s’est métamorphosée en vaste espace de création contemporaine. Inauguré fin 2007, il réunit une multitude d’artistes toutes disciplines confondues.

Non loin de là, à Robertson Quay, au bord de la Singapore River, s’est ouvert en 2001 un centre de recherche et de création sur le papier, le Singapore Tyler Print Institute (STPI), lequel accueille chaque année, en résidence, cinq artistes venus du monde entier. Budget : 1,2 million de dollars singapouriens (0,67 million d’euros) par an, dont 40 % de subventions du gouvernement, le reste provenant de la vente des œuvres et de l’activité de conseil. La clé de la réussite tient en la reconnaissance internationale : « Nos travaux sont régulièrement montrés dans des foires comme Art Basel, explique Emi Eu, directrice du STPI, et, récemment, des pièces ont été acquises par le Philadelphia Museum of Art et le MoMA de New York. »

La carte de l’international
Singapour ne cache pas ses ambitions : devenir une plaque tournante de la scène artistique internationale, une sorte de hub asiatique idéalement placé entre deux « géants », l’Inde et la Chine. La ville ne manque pas d’arguments. Selon une étude récente du cabinet américain Mercer Consulting (Worldwide Quality of Living Survey, mai 2010), Singapour est la ville d’Asie où l’on vit le mieux. Depuis 2009, on y trouve d’ailleurs la plus grande concentration de millionnaires – en dollars US – de la planète, devant Hong Kong, la Suisse, le Qatar et le Koweït. Bref, mieux vaut faire fructifier ses atouts.

Outre le fait d’attirer foires et salons, Singapour a inauguré, fin 2009, aux abords de l’aéroport international de Changi, la première portion (25 000 m2) de ce qui devrait être le plus grand port franc du monde. Ouvert jour et nuit, l’édifice est doté d’entrepôts sécurisés et pensés pour le stockage et les visites privées d’objets de collection, en particulier des œuvres d’art. Il s’agit, en clair, d’offrir la possibilité de faire des affaires dans un cadre protégé et… fiscalement avantageux. Chassez le naturel, il revient au galop !

A visiter

The Asian Civilisations Museum (ACM)
Ouvert le 2 mars 2003, le musée des Civilisations asiatiques exhibe un panorama de quelque 5 000 ans de cultures asiatiques, passant méthodiquement en revue les civilisations de l’Asie du Sud-Est, de l’Asie du Sud et de l’Asie de l’Ouest. Un régal !
1, Empress Place, Singapore 179555,
www.acm.org.sg

The National Art Gallery
C’est ou, plus exactement, ce devrait être, à terme, le plus grand musée de Singapour, avec quelque 20 000 m2 d’exposition. Il s’installera dans deux bâtiments phares de l’histoire locale réunis pour l’occasion, l’ancien Palais de justice et l’ancien hôtel de ville. À la barre de ce futur vaisseau de l’art moderne et contemporain, l’architecte français Jean-François Milou est l’auteur de la Cité de la Mer à Cherbourg et du musée de l’Automobile à Mulhouse. Ouverture complète début 2015.
61, Stamford Road, Stamford Court #04-01, Singapore 178892,
www.nationalartgallery.sg

The National Museum of Singapore (NSM)
Le National Museum of Singapore est le musée le plus ancien de la ville. À l’édifice originel, datant de 1887, l’architecte singapourien Mok Wei Wei (W Architects) a ajouté une aile contemporaine, portant sa surface à 18 400 m2. Rouverte en 2006, l’institution se focalise sur trois disciplines – mode, photographie, cinéma –, en s’autorisant toutefois un écart plutôt ludique avec l’ouverture récente d’un Food Museum, un « musée de la nourriture ».
93, Stamford Road, Singapore 178897,
www.nationalmuseum.sg

The Peranakan Museum
Ouvert en 2008, ce musée est centré sur la production décorative des Peranakans, une communauté descendant des communautés chinoises qui s’installèrent dès le xive siècle dans le Sud-Est asiatique et qui furent au fil du temps influencées par la culture malaise et la colonisation britannique. Une esthétique raffinée qui trouva son apogée à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle. De nombreuses pièces issues de cette institution sont actuellement à l’honneur au Musée du quai Branly, à Paris, au sein de l’exposition « Baba Bling » (jusqu’au 30 janvier 2011).
39, Armenian Street, Singapore 179941,
www.peranakanmuseum.sg

Singapore Art Museum
Plus connu sous l’acronyme SAM, ce musée, logé dans une ancienne école catholique pour garçons, l’Institution Saint-Joseph, expose l’art contemporain de Singapour et, plus largement, de l’Asie du Sud-Est. Selon son directeur, Tan Boon Hui, sa collection s’élève aujourd’hui à quelque 7 750 œuvres – seules 5 à 10 % d’entre elles sont exposées – et il dispose, pour les acquisitions, d’une enveloppe de 3 millions de dollars singapouriens par an (1,7 million d’euros). Le SAM est en charge de la prochaine Biennale d’art contemporain de Singapour, du 6 mars au 8 mai 2011.
71 Bras Basah Road, Singapore 189555,
www.singaporeartmuseum.sg

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°629 du 1 novembre 2010, avec le titre suivant : Singapour sur la voie de la compétitivité culturelle

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