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Sept incroyables musées de montagne

Reinhold Messner, le premier homme à avoir gravi sans oxygène l’Everest ainsi que les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres, a ouvert six musées dans les Alpes italiennes où il a vu le jour. Chacun d’entre eux est consacré à un aspect particulier de l’alpinisme ou de la montagne.

ITALIE

À défaut de pouvoir vous y rendre en ce moment, découvrez ces exceptionnels musées installés dans les Alpes italiennes dont six ont été imaginés et portés par l’alpiniste de l’extrême Reinhold Messner. 

Inauguré en 2015, le musée Corones, sur le point le plus haut de Kronplatz dans le Sud-Tyrol, est le dernier des six Messner Mountain Museum : il est consacré à l'évolution du matériel d'alpinisme. © Photo Alexa Rainer.
Inauguré en 2015, le musée Corones, sur le point le plus haut de Kronplatz dans le Sud-Tyrol, est le dernier des six Messner Mountain Museum : il est consacré à l'évolution du matériel d'alpinisme.
© Photo Alexa Rainer.

La vue est imprenable sur la ville de Bolzano. Construit sur un éperon rocheux surplombant le confluent du fleuve Adige et de la rivière Isarco, le château Sigmundskron est une des plus anciennes résidences du Sud-Tyrol, cette région alpine qui a été rattachée à l’empire des Habsbourg au XIVe siècle et que l’Autriche a rétrocédée à l’Italie au lendemain de la Première Guerre mondiale. Fondée en 945 après J.-C., cette imposante bâtisse a été transformée en forteresse vers 1473 par le duc Sigmund le Riche, prince du Tyrol, avant de tomber en ruine au fil du temps. En 1957, elle a été le point de rassemblement de la plus grande manifestation de l’histoire de cette province lorsque 30 000 Sud-Tyroliens ont réclamé une autonomie séparée pour leur région, qui est un véritable carrefour entre les mondes latins et germaniques. Cette histoire, Reinhold Messner en est fier. Assis à la terrasse du restaurant construit derrière le mur d’enceinte du château, il parle en passant de la langue de Goethe à celle de Dante sans même s’en rendre compte. Son identité n’est pas double pour autant. « Je ne me sens pas italien ou allemand mais sud-tyrolien, européen et citoyen du monde dans cet ordre », résume le septuagénaire barbu.

L’homme est une véritable légende vivante dans l’alpinisme. Il est le premier à avoir gravi sans oxygène l’Everest ainsi que les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres et les points culminants des sept continents. Cet ancien député écologiste au Parlement européen de 1999 à 2004 a ensuite quitté les montagnes pour se lancer dans des expéditions pédestres durant lesquelles il a traversé le Tibet oriental, l’Antarctique, le Bhoutan, le désert de Gobi et le Groenland. Sa « troisième vie », comme il le dit lui-même, il l’a consacrée à imaginer et à bâtir six musées. « Les musées étaient la seule manière pour moi de partager mes connaissances avec le plus de gens possible », raconte cet aventurier. Les Messner Mountain Museum, ou « MMM » pour faire plus court, ont tous été conçus autour d’un thème distinct.

Inauguré en 2006, le MMM Firmian à Bolzano se concentre sur le rapport entre l’homme et la montagne. Des bouddhas en pierre ou en métal, tantôt assis, couchés ou en buste, accueillent le visiteur. Cachés au fond d’une grotte, des cristaux donnent un air magique au lieu. Dans une salle tout en pierre, un énorme moulin à prières tibétain coloré tourne au milieu de statues de moines en bois. Un peu plus loin, des tableaux de vues alpestres ont été disposés dans une galerie bercée par une musique relaxante digne d’un spa. Ce musée montre aussi la pollution causée par l’homme sur les cimes du monde. Dans un cube en verre ont été placés des détritus laissés par les alpinistes sur le camp de base de l’Everest.

Situé dans un château privé dans le val Venosta, une vallée à l’ouest de Bolzano, le MMM Juval est, lui, voué depuis 1995 au « mythe de la montagne ». Cette forteresse, installée sur un site occupé dès la préhistoire, contient notamment une collection d’objets d’art tibétains et de nombreux masques provenant des cinq continents. Le MMM Ripa se trouve également dans un ancien château qui surplombe la ville de Bruneck. Construit en 1250 par le prince-évêque de Brixen, Bruno von Kirchberg, et transformé en musée en 2011, son exposition permanente rend hommage aux peuples montagnards. Yourte mongole, cabane en écorce africaine, tente tibétaine…, le visiteur peut déambuler dans les abris de fortune que ces minorités transportent durant leur transhumance. Dans les salles du château médiéval, des objets de la vie quotidienne de tribus méconnues comme les Balti du Pakistan, les Nagas du nord-est de l’Inde ou les Svans de Géorgie sont exposés.

Le MMM Ortles, axé sur la glace, la découverte de l’Antarctique

Les trois autres musées de Reinhold Messner ne se situent pas dans d’anciennes forteresses construites au sommet de piton rocheux mais dans des édifices très modernes qui cherchent à s’intégrer dans la nature environnante en se faisant le plus discrets possible. Difficile, par exemple, d’imaginer que ce trou creusé dans une petite colline sur laquelle les moutons paissent tranquillement cache un musée consacré à la glace… Créé par l’architecte Arnold Gapp, le MMM Ortles se trouve au pied du pic Ortler qui culmine à 3 905 mètres. Avec ses murs en béton brut et ses peintures de glaciers, l’établissement, inauguré en 2004, rend compte des expéditions Shackelton durant lesquelles le découvreur britannique a exploré l’Antarctique.

Pour visiter les deux derniers musées de l’alpiniste le plus connu au monde, mieux vaut s’équiper de bonnes chaussures de montagne ou d’un ticket pour prendre la télécabine. Le MMM Dolomites a été construit en effet au sommet du Monte Rite, à 2 181 mètres d’altitude, dans un fort militaire que l’armée italienne a bâti entre 1912 et 1914 pour protéger sa frontière des assauts des troupes austro-hongroises de l’empereur François-Joseph. L’ancienne tour rotative, qui contenait une pièce d’artillerie lourde, a laissé place à une immense lanterne couverte de panneaux de verre ressemblant aux cristaux que l’on trouve partout dans les Dolomites. Le « musée dans les nuages » (c’est son deuxième nom) offre, depuis son inauguration en 2002, un panorama à 360° sur cette chaîne montagneuse qui, selon Reinhold Messner, est la plus belle au monde. Les visiteurs peuvent admirer, émerveillés, les sommets qui les entourent : Monte Schiara, Monte Agnèr, Monte Civetta, Marmolada, Monte Pelmo, Tofana di Rozes, Sorapis, Antelao ou Marmarole… Ils sont tous là. Normal, avec une telle vue, que le musée soit consacré à la géologie.

Le « petit dernier » des « MMM », qui a ouvert ses portes en 2015, n’est pas le plus grand mais il est probablement un des plus beaux et des plus impressionnants. L’architecte qui l’a conçu est la première femme à avoir reçu en 2004 le prix Pritzker, la récompense la plus prestigieuse au monde en architecture. Zaha Hadid, disparue en 2016, a conçu 950 projets dans 44 pays dont le nouvel aéroport de Pékin, le siège social de l’armateur CMA-CGM à Marseille ou l’usine BMW de Leipzig. Pour le musée dévolu à l’alpinisme traditionnel souhaité par Reinhold Messner, cette Britannique d’origine irakienne a voulu que les curieux « pénètrent au cœur de la montagne pour explorer ses cavernes et ses grottes ». Situé à 2 275 mètres d’altitude, sur le point culminant de Kronplatz, la plus grande station de ski du Sud-Tyrol, le MMM Corones ressemble en été à un tumulus herbeux d’où sortent deux parallélépipèdes de béton et de verre. 4 000 mètres cube de terre et de pierre ont été creusés dans la montagne avant d’être replacés sur le bâtiment d’une surface de 1 000 m2 pour mieux l’intégrer dans le paysage. Pour accéder aux salles d’exposition qui retracent l’évolution du matériel d’alpinisme, il faut emprunter un large escalier qui donne accès à de larges baies vitrées et à une terrasse offrant une vue à couper le souffle sur le pic du Peitlerkofel au sud-ouest, sur celui du Heiligkreuzkofel au sud et sur l’Ortler à l’est. Ce musée, qui a nécessité deux ans et demi de travaux, appartient à la compagnie qui possède les remontées mécaniques de Kronplatz. L’objectif principal de son propriétaire était d’attirer les touristes 365 jours par an au sommet de cette montagne. Pari tenu… « En hiver nous recevons entre 150 et 250 personnes par jour et en été nous accueillons jusqu’à 400 visiteurs, alors que dans le passé ce site était vide après la fonte des neiges, se réjouit Roland Tafernen, le guide du lieu. Chaque année, 55 000 personnes viennent nous voir. »

Les six « MMM » attirent plus de 200 000 curieux par an. « J’ai pris autant de plaisir à construire ces six musées qu’à gravir les quatorze “8 000 mètres” de la planète, mais ces projets ont été plus difficiles à réaliser que mes ascensions car beaucoup de gens étaient contre, confie Reinhold Messner. Je suis néanmoins parvenu à mes fins et mes musées aujourd’hui sont rentables, ce qui n’est pas le cas de nombreuses autres institutions. Les MMM représentent, pour moi, le quinzième “8 000” de mon existence… »

Le Lumen, un musée dans les nuages

Cette ancienne station de téléphérique a été transformée en un musée consacré à la photographie de montagne. Un lieu superbe et unique situé à 2 275 mètres d’altitude..


Kronplatz, Sud-Tyrol. D’un mouvement de doigt, les visiteurs peuvent comparer sur de grands écrans des clichés pris au même endroit mais à cinquante ans de distance. Les photos les plus anciennes montrent des glaciers et des monts enneigés, les plus récentes présentent des rochers nus et des étendues verdoyantes. Le réchauffement climatique est là, devant nos yeux. Cette installation est une des expositions permanentes du Lumen.

Ce superbe musée d’une surface de 1 800 m2 répartis sur quatre niveaux a été inauguré le 20 décembre 2018. Après 11 millions d’euros de travaux, cette ancienne station de téléphérique construite en 1963 est devenue un musée de la photographie de montagne. « À ma connaissance, il n’existe aucun autre lieu au monde consacré uniquement à ce thème, estime Marion Steger, sa directrice adjointe. Mais il n’y a pas non plus beaucoup de musées qui se trouvent à 2 275 mètres d’altitude… »

Expériences de réalité virtuelle

Le Lumen se situe en effet sur le point culminant de Kronplatz, la plus grande station de ski du Sud-Tyrol, à quelques centaines de mètres du MMM Corones de Reinhold Messner. Les collections présentées permettent de découvrir l’évolution des appareils photo au fil des décennies. « Entre 1800 et 1900, les photographes devaient transporter jusqu’à 240 kg de matériels au sommet des montagnes, raconte Marion Steger. Les appareils étaient immenses et les pellicules devaient être développées en altitude car elles étaient trop fragiles pour supporter la descente dans la vallée. »

Un peu plus loin, une chambre noire a été installée pour permettre aux plus jeunes, qui n’ont connu que le numérique, de découvrir les « secrets » de l’argentique et cette époque aujourd’hui révolue où il était possible de prendre seulement 36 clichés avant de changer de pellicule… Une galerie de portraits met à l’honneur les pionniers de la photo de montagne et une grande salle montre l’évolution du tourisme dans les régions alpines. Pour les amateurs de sensations fortes, des casques de réalité virtuelle permettent de « voler » en hélicoptère au-dessus des Dolomites. Dans l’« Adrenaline Room », les prises de vue les plus sensationnelles récompensées par le Red Bull Illume, le plus grand concours international de photographie consacré aux sports d’aventure et d’action, sont projetées tout autour des curieux. L’ouverture par laquelle les cabines du téléphérique entraient jadis dans le bâtiment est devenue une salle de projection de cinéma. Une gigantesque fenêtre toute ronde est bouchée périodiquement par un volet qui s’ouvre et se ferme comme un obturateur d’appareil photo pour se transformer en écran géant. Ce lieu semble tout droit sorti d’un film de James Bond.

Un autre point fort du musée est l’immense salle recouverte du sol au plafond de miroirs. Les photos projetées dans cette pièce donnent un peu le tournis mais elles permettent aux visiteurs de plonger littéralement dans les images. Avec 80 visiteurs par jour en hiver et le double l’été, le Lumen a déjà trouvé son public.

Le Musée de Lumen. © Photo Paolo Riolzi.
Le Musée de Lumen.
© Photo Paolo Riolzi

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : L’alpiniste et ses musées

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