Histoire de l'art

Historienne de l’art

Portrait : Diana Widmaier-Picasso

La petite-fille de l’artiste, également commissaire de l’exposition « Picasso.mania » qui débute au Grand Palais, se consacre depuis douze ans au catalogue raisonné de ses sculptures

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 28 octobre 2015 - 1806 mots

Diana Widmaier-Picasso est cocommissaire de l’exposition du Grand Palais consacrée à son grand-père.

Lors du vernissage de l’exposition « Picasso.mania » au Grand Palais, Diana Widmaier Picasso a invité quelques amis à dîner dans l’atelier du couturier Azzedine Aïala. Juste 280 personnes triées sur le volet, Jean-Claude Carrière, se déplaçant avec difficulté, Adel Abdessemed et Thomas Houseago, ravis de se retrouver à table avec Yvon Lambert, Laurent Le Bon, directeur du Musée Picasso, Fleur Pellerin, dont le sourire parle plus que le propos… Sur l’estrade, introduisant un groupe de flamenco, une grande et blonde femme en robe noire se tient légèrement déhanchée sous le projecteur avec un air timide et ravi. Diana est la fille de Maya, mariée à Pierre Widmaier, elle-même née de la rencontre en 1927 de Pablo Picasso avec la toute jeune (et blonde) Marie-Thérèse Walter.

Avec Didier Ottinger, du Centre Pompidou, la petite-fille du peintre a voulu aborder son impact sur les dernières décennies. Cela fait longtemps que Jean-Paul Cluzel, président du Grand Palais, l’avait approchée avec Alain Seban, alors au Centre Pompidou. On peut les comprendre : grâce à elle, ont été consentis des prêts qui rehaussent le niveau, non seulement d’œuvres de la famille, mais aussi de toiles difficiles à obtenir de Roy Liechtenstein ou Jasper Johns. Elle qui a fait de la danse, tout comme elle joue du piano et s’est mise au violoncelle, a incité à l’intégration du cinéma et de la danse dans le parcours. Elle fait aussi surnager dans la première salle une série de citations d’artistes comme Richard Prince ou Frank Stella : dix-huit papillons accrochés dans leur écran vidéo, à se trémousser sur leur chaise pendant une dizaine de minutes. Le montage fait ressortir un extrait laconique de leur propos (1). Dans cette attente quelque peu sadique, chacun se révèle soi-même : Adel Abdessemed ne tient pas en place, Jeff Koons se consacre à maintenir son propre sourire. « L’influence sur ces générations d’artistes peut être diffuse, parfois indicible. Mais ce qu’ils disent tous, c’est love it or hate it, we cannot deny Picasso » (NDLR en français, « l’aimer ou le détester, on ne peut pas nier Picasso »), résume la réalisatrice. Bruce Nauman évoque, pour son appréhension de la lumière, l’impact des photos montrant Picasso dessinant dans l’espace, Richard Serra relie les courbes de la guitare à sa maîtrise de l’espace.

Des études en histoire de l’art
Diana elle-même s’est penchée sur ce rapport spatial, puisqu’elle a attaqué, il y a douze ans maintenant, la rédaction d’un catalogue raisonné de la sculpture, faisant suite aux travaux fondateurs de Werner Spies il y a 45 ans. Diana est le premier membre de la famille Picasso à s’être ainsi investie dans l’histoire de l’art. Elle a emprunté des chemins de détour. Étudiant le droit à Assas et l’histoire de l’art à la Sorbonne, à l’instigation de son professeur, Antoine Schnapper, elle a travaillé sur Francisque Millet, un des meilleurs paysagistes du Grand Siècle. « En cherchant son inventaire après-décès, j’ai trouvé par hasard celui d’une épouse de Jean-Michel Picart, marchand de tableaux établi à la Foire Saint-Germain », raconte-t-elle. D’origine flamande, il peignait d’exquises natures mortes de fleurs, qui semblent aussi éloignées que possible des collisions du cubisme. Diana Widmaier a par la suite trouvé les inventaires des trois autres Mesdames Picart, offrant une rare vision de la carrière d’un marchand du temps.

À 16 ans, au Louvre, l’adolescente avait rencontré un peintre qui s’évertuait à copier Poussin. Elle a suivi son apprentissage, s’inscrivant même à une formation de peinture a fresco. Elle a aussi collectionné des dessins du seicento, des minéraux, des sculptures gréco-romaines, des photographies de Cindy Sherman, du design de l’après-guerre qu’elle adore. Récemment, elle eut le bonheur de racheter un tirage unique en bronze de 1937 d’une empreinte de la main gauche de Picasso, que sa grand-mère avait vendue. Après deux stages chez le commissaire-priseur Guy Loudmer, elle a travaillé deux ans au cabinet graphique du Metropolitan Museum de New York, avant de rejoindre pour trois années le département du dessin chez Sotheby’s à Londres, puis à Paris. À cette époque, elle préférait « cacher son identité », en ne gardant que le nom de son père, un capitaine de frégate. Elle se souvient que c’est le contact avec sa mère qui l’a ramenée vers l’œuvre de Picasso : « En 2002, elle avait été consultée sur un bronze par Werner Spies (il s’est avéré être un faux). Ma mère m’a fait remarquer qu’il n’y avait pas de travail suffisant sur les fontes. Je suis allé à Orsay consulter les archives, avant de me lancer dans ce catalogue, que j’espérais alors finir en cinq ans ! »
Dans une famille partagée entre ombre et lumière, Diana et son frère aîné Olivier ressortent nettement du second côté. Née quelques mois après la mort de Picasso, elle incarne une génération qui n’a pas connu l’artiste. Émotive, elle sait gré à sa mère, personnage « lumineux et fascinant », de les avoir « beaucoup protégés » tout en leur transmettant « une vision positive de la famille ». Pour Olivier, Diana est elle-même « une personnalité touchée et touchante ». Toute la famille s’est réunie pour constituer une fondation pour soutenir des projets, mais aussi protéger la bibliothèque et les archives de Maya, dont celles du catalogue par Christian Zervos des peintures et dessins de Picasso en trente-trois volumes.

Démêler l’œuvre inextricable du maître
Ces dernières années, la jeune femme a contribué à plusieurs catalogues et expositions, dont celle avec John Richardson à la galerie Gagosian sur « l’amour fou » entre ses grands-parents. Diana a été impressionnée par la gigantesque maison du marchand new-yorkais, fréquentée par les plus grands artistes, mais elle assure y avoir trouvé un intérêt « sociologique ».

Elle devait bien cela à Larry Gagosian, qui avait été le mécène de ses premières années de recherches sur le catalogue raisonné. Aujourd’hui, outre d’autres projets d’exposition, Diana espère publier le premier volume dans deux ans. Elle a constitué une base de données de 2 000 sculptures ainsi que de 25 000 dessins et tableaux : « C’est important, car tout est entrelacé. Picasso allait constamment d’un médium à l’autre. Il pouvait peindre une sculpture ou inciser un dessin… Ces allers-retours nous aident à dater les œuvres et comprendre leur genèse. » Elle ne s’attendait pas à rencontrer de telles difficultés pour démêler les éditions multiples et notamment celles commandées par Ambroise Vollard. « Ces bronzes ne portent aucun numéro ni marque de fondeur, écrivait-elle en 2006 dans le catalogue du Met consacré au marchand de la rue Laffitte, on ne connaît même pas précisément le nombre d’œuvres qu’il a fait fondre. Aucun de ses livres de comptes ne détaille les commandes aux fondeurs… Quant aux archives des fonderies, elles sont très difficiles à obtenir, quand elles n’ont pas été, pour beaucoup, détruites. » L’artiste lui-même a cédé ses originaux sans contrat, à un moment où il avait besoin d’argent.

Comme le montre la spectaculaire exposition actuelle au MoMA, toute sa vie Picasso a vécu entouré de ses sculptures, qu’il aimait modeler dans les matériaux les plus divers. Diana a plongé dans les lettres de sa grand-mère. Elle a interrogé des artisans. Elle a découvert des carnets, provenant de Dina Vierny, sur les commandes passées au fondeur Florentin Godard, dont le travail a été longtemps confondu avec celui de son frère, Désiré. En mars, elle fera le point dans un colloque, à l’occasion d’une exposition de fontes au Musée Picasso. L’arrivée de Laurent Le Bon a ainsi relancé des projets longtemps bloqués, tout en facilitant l’accès à des archives comme le fond photographique.

Diana voit ses recherches relancées par ce regain d’intérêt à travers le monde. Elle songe du reste à constituer un comité consultatif, à l’image de ce qui a été fait pour d’autres artistes comme Calder. « Un catalogue raisonné tient forcément d’un travail collectif », soutient-elle en soulignant la part du travail mené par deux collaboratrices.

L’adhésion n’est pas unanime pour autant. Werner Spies fait la grimace. Et la Picasso Administration, qui gère la succession sous l’égide de son oncle Claude, reste sur la réserve. Elle craint qu’un catalogue raisonné, sous le nom de Picasso, n’entraîne des confusions dans les authentifications ou même autorisations d’édition.

Une vision renouvellée de la collection Picasso
« Ce nom, rétorque-t-elle, m’a obligé à travailler plus que les autres ! Je signe cet ouvrage comme une historienne de l’art, il n’y a pas de confusion avec la famille. Bien sûr, il peut y avoir des répercussions juridiques, économiques ou même dans l’exécution du droit moral. Justement, il est dans l’intérêt de tous de collaborer : si les archives indiquent trois tirages d’une œuvre et que la Picasso Administration se voit soumettre un n° 5, il faudra bien échanger nos informations… De plus, les objets qui sortent sur le marché et la découverte d’archives doivent renouveler la connaissance. Ce serait beaucoup plus dangereux d’entretenir le doute, car cela laisse plus de marge de manœuvre aux faussaires. » « Au final, c’est la compétence qui tranchera », juge, philosophe, Olivier Picasso. Carmen Gimenez, conservatrice depuis vingt-sept ans au Guggenheim, qui a lancé Bilbao et le Musée Picasso de Malaga, se montre confiante : « Diana est tout à fait capable de rédiger le catalogue raisonné. Elle est très sérieuse et appliquée. Les descendants ont des collections riches, dont ils s’occupent avec beaucoup de soin. En outre, c’est très bien que certains, comme Claude et Diana, s’impliquent ainsi et que cette recherche puisse être poursuivie par de plus jeunes. ». « Diana a très bien fait de s’installer à New York, ce qui a renouvelé sa vision de l’œuvre », approuve-t-elle.

Au départ, ce déménagement a été voulu parce que la jeune femme ne supportait plus son appartement parisien après le cambriolage dont elle a été victime en 2007. De même, aucun Picasso n’est plus accroché sur ses murs. Elle dormait cette nuit-là avec son compagnon, qui s’est levé en voyant de la lumière. Le matin, ils ont constaté la disparition d’un dessin et deux peintures, dont un portrait de Maya à la poupée, qui appartenaient à sa mère. « Je me suis sentie terriblement coupable. » Six mois plus tard, l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels a récupéré les œuvres et arrêté les truands. Aujourd’hui, Diana écrit un livre sur cet épisode qui la conduit, dit-elle, à « s’interroger sur le sens de l’héritage ».

Note

(1) L’intégralité des entretiens va être éditée chez Cahiers d’art.

Diana Widmaier-Picasso en Dates

1974 Naissance à Marseille
1999 Entre au département graphique chez Sotheby’s
2003 Entreprend le catalogue raisonné de la sculpture
2011 « Picasso et Marie-Thérèse, l’amour fou », exposition galerie Gagosian, New York
2015 Cocommissaire de « Picasso.mania » au Grand Palais

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : Portrait : Diana Widmaier-Picasso

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