Jordanie - Unesco

Pétra, la cité rose menacée

Un rapport de L’UNESCO s’alarme des effets du tourisme de masse sur l’antique cité des Nabatéens

Par Nicolas Powell · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1994 - 943 mots

JORDANIE

Longtemps exposées aux méfaits de l’érosion dues aux intempéries, les ruines de Pétra, dans le sud de la Jordanie, commencent à souffrir des méfaits d’un tourisme incontrôlé et croissant. Un demi-million de visiteurs sera bientôt attendu dans une vingtaine d’hôtels, actuellement en construction ou juste achevés, tout près du site antique. Le Département des antiquités, qui se trouve sous la tutelle du ministère du Tourisme, ne peut qu’avouer son impuissance.

PÉTRA - Étouffé par la poussière, bousculé par les chevaux, qui, chaque jour en pleine saison, descendent un millier de touristes le long du ravin qui mène au cœur de Pétra, le visiteur qui ose encore pénétrer à pied dans l’antique capitale nabatéenne n’a guère le loisir de goûter à la beauté des lieux.
Une équipe de sept experts internationaux de l’Unesco a été invitée par la reine Nour, épouse du roi Hussein et présidente du Petra National Trust, à examiner la cité. Dirigée par Barry Lane de l’Unesco, comprenant l’écologiste Bernard Bousquet et l’architecte Jacques Vérité, elle a rendu, début juillet, un rapport de trois cent pages.

Les bédouins de la cité relogés
Parmi les problèmes majeurs, figurent l’affluence touristique et la pollution causée par les chevaux employés par les villageois, qui ont récemment abandonné l’agriculture pour le tourisme.
Il y a une vingtaine d’années, lorsque seule une poignée de visiteurs pénétrait chaque jour dans Pétra, les quelque cinq cents bédouins de la tribu Bdul vivaient dans les grottes de la cité, ou sous des tentes dressées entre les ruines. Relogés depuis dans des maisons modernes à Oum Sayhoun, à l’extérieur de Pétra, ils vivent presque exclusivement du tourisme et ont, pour la plupart, troqué leur costume traditionnel contre des tee-shirts et autres vêtements de surplus américains – un symptôme supplémentaire, selon les experts de l’Unesco, de l’effet dégradant du tourisme.

Pétra a connu son apogée entre le Ier siècle avant et le Ier siècle après J.C., lorsque le royaume nabatéen dominait l’actuelle Jordanie, le sud de la Syrie, et une partie de ce qui est maintenant l’Arabie Saoudite. Aujourd’hui, certains des huit cents monuments, construits ou taillés dans le rocher, déjà touchés à divers degrés par l’érosion, sont atteints par la pollution. La façade hellénistique de la Khazneh, tombe monumentale du Ier siècle de notre ère, qui fait face au visiteur débouchant dans Pétra, a perdu de son légendaire éclat rose sous une couche de poussière grisâtre, soulevée par le rodéo des chevaux qui s’impatientent à côté, en attendant leurs touristes pour le retour. Au pied de la tombe, des marchands déploient sur des tables pliantes, entre autres babioles, des bouteilles de sable coloré et des fausses lampes en terre cuite, récemment agrémentées d’une patine deux fois millénaire.

Les propositions de l’Unesco
Le ministre du Tourisme jordanien table, une fois la paix établie, sur une arrivée massive de visiteurs israéliens et prévoit, à partir de 1997, pas moins d’un demi-million de touristes par an, soit entre trois et cinq mille par jour. Ils seront logés dans une dizaine d’hôtels, récemment construits à l’extérieur du site, dont plusieurs dans le village de Wadi Moussa, habité par la tribu des Liyatneh à l’entrée même de Pétra, ainsi que dans cinq autres établissements qui devront être bâtis entre 1996 et 1997.
 
Mais le site n’est absolument pas prêt à recevoir autant de monde, comme l’explique Barry Lane : "Chaque chambre d’hôtel va consommer davantage d’eau que tout une maison de villageois. Or, en été, ces derniers n’ont d’eau qu’un jour par semaine. Rien n’a été prévu pour traiter les eaux usagées, en dehors d’un centre de traitement qui serait construit dans une zone protégée, le village néolithique de Beidha, et dans Pétra même il n’y a qu’un seul W-C qui fonctionne."

L’Unesco propose, pour réduire l’érosion et rendre la population locale moins dépendante du tourisme, de rétablir l’agriculture en dehors du sanctuaire archéologique, en réutilisant quelques conduites d’eau et citernes creusées dans le rocher par les Nabatéens. Elle suggère également de créer des itinéraires touristiques autres que celui, classique, qui fait visiter le site d’est en ouest, en se servant de l’étroit siq à la fois comme entrée et sortie. Elle  recommande enfin d’échelonner les visites, d’ouvrir un véritable centre d’information touristique, et de baliser des sentiers.

"Une armée de touristes brandissant ses portefeuilles"
Une première mouture du rapport de l’Unesco a été ignorée par les autorités jordaniennes, tout comme une étude semblable effectuée par la même organisation il y a quinze ans. En Jordanie même, un sourd conflit paralyse les meilleures volontés, puisque le Département des antiquités, qui s’émeut depuis des années des problèmes de Pétra, se trouve sous la tutelle du ministère du Tourisme, qui semble vouloir attirer le plus grand nombre possible de visiteurs.

L’Unesco espère que la pression de certains donateurs – le gouvernement des États-Unis est prêt à verser sept millions de dollars pour Pétra, celui de la Suisse consacrerait un million de dollars pour la seule conservation du siq –, pourra freiner le tourisme sauvage. En Jordanie, l’opinion s’alarme. Rami G. Khouri, président des Friends of Archeology, s’insurge dans le Jordan Times du 20 juin : "Si nous considérons les touristes étrangers principalement comme une source de revenus, et nos trésors archéologiques comme la clé du tiroir-caisse, nous serons condamnés à devenir, aux yeux de l’histoire, un peuple qui a manqué de la résolution politique, de la profondeur culturelle et de la confiance nationale nécessaires pour résister à l’assaut d’une armée de touristes brandissant des portefeuilles."

Le ministère du Tourisme et des antiquités jordanien nous indique qu’il espère bientôt organiser une table ronde "afin d’arriver à un consensus sur la meilleure façon de traiter ces questions sensibles."

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Pétra, la cité rose menacée

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