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ENTRETIEN

Penelope Curtis, directrice du Musée Calouste-Gulbenkian à Lisbonne : « La difficulté est de moderniser la présentation tout en finesse »

Par Isabelle Manca · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2017 - 981 mots

Deux ans après son arrivée à la tête du musée portugais, l’ancienne directrice de la Tate Britain a entrepris un chantier de modernisation par étapes de ce lieu bientôt cinquantenaire.

Premier directeur non portugais du Musée Calouste-Gulbenkian, Penelope Curtis a pris ses fonctions à l’automne 2015. Née en 1961, grande spécialiste de la sculpture moderne, elle a auparavant été conservatrice au Henry Moore Institute, à Leeds (Royaume-Uni), avant de devenir la première femme à diriger la Tate Britain. Elle a notamment supervisé le vaste chantier de rénovation du musée londonien.
 

Quel a été votre chantier prioritaire en arrivant à Lisbonne ?

Clairement, l’objectif principal était de réunir les deux collections en une seule et même institution. Il y avait une nette séparation entre la Collection du fondateur [Calouste Gulbenkian, 1869-1955], inaugurée en 1969, et le Centre d’art moderne. Ce dernier a ouvert en 1983 pour présenter des œuvres modernes et contemporaines, essentiellement portugaises, acquises par la Fondation Calouste-Gulbenkian, ainsi que des expositions de façon régulière. Mais en plus de trente ans les deux structures n’avaient jamais travaillé ensemble. Il a donc fallu réunir deux équipes autonomes pour n’en former qu’une, instaurer un billet unique et mettre en place une communication commune.
 

Pourquoi avoir également changé le nom et le fonctionnement du Centre d’art moderne ?

La Collection moderne s’appelait en effet le « Centre d’art moderne », et elle fonctionnait comme une Kunsthalle [un centre d’art en Allemagne, NDLR] et non comme un musée. Il n’y avait pas de présentation permanente de la collection, mais uniquement des expositions temporaires. Cela tient au goût des précédents conservateurs, mais également à la nature de la collection qui était extrêmement ténue quand le Centre a ouvert. Or, depuis, celle-ci s’est considérablement étoffée, et est même devenue la plus importante collection d’art portugais moderne et contemporain ! Il était donc primordial de la valoriser davantage car elle a évidemment un rôle à jouer, notamment auprès des scolaires et des chercheurs. Nous avons opté pour une présentation en trois départements : un niveau consacré à l’histoire du Portugal avec un fil chronologique courant à travers tout le XXe siècle, jalonné d’œuvre graphiques, de photographies et de documents ; un étage dévolu à la sculpture moderne et contemporaine et un autre à la peinture. La présentation, qui est actuellement à 80 % portugaise, pourrait à l’avenir évoluer un peu, pour mettre plus l’accent sur l’international ; en particulier sur la manière dont l’art portugais s’est en partie construit hors du pays. Par exemple, nous pourrions montrer les liens avec les artistes français et britanniques dans les années 1960, ainsi que les relations avec les anciennes colonies.
 

Quels sont les premiers effets de ces changements ?

Auparavant il n’existait pas vraiment la volonté de faire connaître la Collection moderne aux visiteurs qui venaient voir la collection ancienne constituée par Calouste Gulbenkian. Les deux structures s’adressaient à deux publics différents. Le musée attirait un public touristique tandis que le Centre d’art accueillait presque exclusivement un public national. Avec la mise en place du billet unique, la situation évolue. C’est un défi. Nous essayons également de relier les deux publics par le biais de dialogues entre la collection ancienne et des artistes contemporains.
 

Ce changement de cap a aussi modifié la politique d’expositions temporaires ; quels sont désormais les espaces dévolus aux événements temporaires et les axes privilégiés ?

Pour les événements temporaires, il y a plusieurs espaces disponibles, notamment une galerie que nous utilisons comme un project space réservé aux jeunes artistes. Nous développons aussi des projets d’expositions d’envergure dans la galerie principale, un espace de 1 000 mètres carrés qui permet d’envisager des expositions ambitieuses, réalisées en collaboration avec de grands musées internationaux. C’est assez nouveau car il y a déjà eu des collaborations extérieures par le passé, mais il s’agissait essentiellement de montrer les trésors d’une collection, manquait une coopération scientifique. Cet hiver nous présenterons par exemple une exposition internationale sur le miroir dans l’art, et l’hiver prochain, une exposition sur la sculpture française, conçue en partenariat avec la Glyptotèque Ny-Carlsberg à Copenhague. Ce projet permettra, entre autres, de mettre en perspective deux collections privées constituées à la même période. Pour l’été 2018 nous préparons une exposition sur le pop art au Portugal et, pour 2019, une manifestation sur l’art islamique, à l’occasion du cinquantenaire du musée et du 150e anniversaire du fondateur. L’un des enjeux de ces expositions est de repenser notre collection et de mieux la connaître, en menant un véritable travail de recherche, d’inventaire et de conservation préventive.
 

Envisagez-vous de moderniser la présentation de la collection du fondateur ?

Pour nombre de gens, ce musée a une image assez conservatrice ; ils savent qu’il possède une très belle collection mais ils pensent qu’il ne s’y passe pas grand-chose et que sa présentation est immuable. Et en effet, certaines choses n’ont pratiquement pas changé depuis sa création. Je réfléchis actuellement à comment moderniser ce musée qui est une sorte de capsule temporelle, un exemple de muséographie de son époque, mais sans aller trop loin dans cette modernisation. Sans dénaturer ce qui fait son charme. Des choses doivent changer, en particulier sur le plan de la conservation préventive. Il faut revoir certains dispositifs de présentation et travailler sur la rotation des œuvres. Nous venons par exemple de réaccrocher la galerie de peinture du XIXe siècle. La difficulté a été de moderniser la présentation tout en finesse, de trouver le bon dosage, le juste équilibre. Je pense que le résultat est réussi et il a été bien accueilli ; les visiteurs trouvent cette salle harmonieuse par rapport au reste du parcours. Il faut aussi repenser la médiation qui est presque inexistante. Il y a quelques transformations de fond à mener, mais il faut le faire de manière assez discrète et progressivement, car les gens ont plus peur du changement que je ne l’aurais pensé.

 

 

Musée Calouste-Gulbenkian,
av. de Berna 45A, Lisbonne

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : Penelope Curtis, directrice du Musée Calouste-Gulbenkian à Lisbonne : « La difficulté est de moderniser la présentation tout en finesse »

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