Le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, qui fête ses 20 ans, pourrait devenir un lieu phare du Grand Paris, un vœu formulé par Nicolas Surlapierre.

Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Depuis la baie vitrée du bureau de Nicolas Surlapierre, le jardin paysager du Mac/Val et sa pelouse impeccable ne laissent en rien deviner l’agitation des deux jours écoulés. Seul un homme à tête de chat planté au milieu du gazon fume encore une cigarette (Les Grands Fumeurs, Alain Séchas, 2007). Le musée de banlieue fêtait ses 20 ans le week-end des 14 et 15 juin. La garden-party a attiré 1 500 personnes et s’est « très bien passée », souffle Nicolas Surlapierre, visiblement heureux que la fête ait été un succès. Le dimanche, 900 visiteurs sont venus voir les collections et l’exposition anniversaire, « Forever Young », qui réunit les œuvres de vingt jeunes artistes (pour la plupart né/es dans la décennie 1990-2000).
Voilà trois ans que l’ancien directeur des musées de Besançon a pris la succession d’Alexia Fabre à la tête de l’établissement. C’est un peu tôt pour faire un bilan, pas trop tard pour former des vœux. Pull fuchsia, jean et baskets, silhouette juvénile, le quinquagénaire en exprime trois. « Je souhaite que nous restions un musée de proximité. Notre public provient pour les deux tiers du Val-de-Marne, et nous avons à mes yeux une mission de service public. Ensuite, j’aimerais que le Mac/Val bénéficie du flux de touristes drainé par la capitale. Enfin, qu’il devienne un repère culturel du Grand Paris : une station du métro Grand Paris Express doit d’ailleurs ouvrir à 200 mètres ! » En 2024, la fréquentation, en légère hausse par rapport à son niveau d’avant-Covid, a atteint 58 000 entrées. L’exposition « Faits divers. Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse », qui présentait les œuvres de 80 artistes (d’Absalon à Cecilia Vicunã) et dont Nicolas Surlapierre a assuré lui-même le commissariat, constitue un de ses motifs de satisfaction. « Je portais ce projet complexe depuis des années. » Il a attiré plus de 26 000 personnes.
« Le Mac/Val n’est pas un musée de centre-ville. Nos visiteurs, nous devons aller les chercher. Mais nous avons de nombreux atouts, en particulier une qualité d’accueil à laquelle veille l’ensemble de l’équipe salariée. J’adore l’idée du musée comme une destination où passer la journée, entre les collections, les expositions, le parc de sculptures, le restaurant… » Le directeur du Mac/Val vise 80 000 visiteurs annuels en rythme de croisière, en prenant en compte un nouveau paradigme : la fermeture pour travaux du Centre Pompidou pendant cinq ans à partir de la rentrée. Parfois qualifié de « Beaubourg de banlieue » pour sa collection riche de 2 500 œuvres et centrée sur la période des années 1950 à aujourd’hui, le Mac/Val pourrait selon lui profiter d’un report de public. Il sera en tout cas partenaire en novembre du programme hors les murs du Centre Pompidou, « Constellation », avec l’exposition en trois chapitres d’Arnaud Labelle-Rojoux, « Voyez-vous ça ! », prévue du 15 novembre 2025 au 15 février 2026.
Nicolas Surlapierre a toujours à l’esprit son projet initial, qui invitait à « réfléchir à la question de la patrimonialisation de l’art contemporain ». Avec un double enjeu : ne pas dévitaliser la création, tout en donner des repères au public, en particulier dans l’accrochage des collections permanentes. « Proposer un texte par salle, concevoir un séquençage avec des chapitres » : cet historien de l’art privilégie une approche pédagogique, en s’efforçant d’éviter l’écueil du didactisme grâce une touche d’humour. Ainsi le nouvel accrochage, titré « Le genre idéal », prend-il pour point de départ un jeu de mots tout en interrogeant la hiérarchie des genres dans l’art théorisée au XVIIe siècle par André Félibien, qui plaçait à son sommet la peinture d’histoire. Le nouveau parcours des collections fait ainsi cheminer le visiteur d’une section à l’autre – « les biens » pour le genre de la nature morte, « les gens » pour celui du portrait… –, en suivant une progression dictée par la scénographie. Avec en conclusion, comme à la fin d’une narration, un constat en filigrane : si on a fini de croire à la peinture d’histoire, c’est parce que la notion d’héroïsme est en déclin. « Pour toutes sortes de raisons, le caractère extrêmement démiurgique et autoritaire des discours, y compris sur l’art ou sur les artistes, est aujourd’hui soumis à une remise en question », observe Nicolas Surlapierre. Il défend pour sa part le droit pour l’art de ne pas être à la mode, voire d’oser être « suranné ».
Son emploi du temps de directeur se répartit entre les tâches administratives, la partie scientifique et le relationnel, plus un « quatrième tiers » pour tout le reste, comme dans la recette du pastis suggère-il avec malice, passant ainsi d’un Marcel à l’autre, de Proust à Pagnol. Malgré la charge de travail, il assure garder chaque semaine des créneaux pour des visites de galeries ou d’ateliers, afin de rester en prise avec l’actualité de l’art. C’est ainsi qu’il a eu un coup de cœur dans une exposition en galerie pour une œuvre-clef de Stanley William Hayter (1901-1988), chaînon manquant entre le surréalisme et l’abstraction, soumise il y a un an au comité d’acquisition. Celui-ci, explique-t-il, a pour mission non seulement de renforcer les axes historiques de la collection, mais aussi de soutenir la création (Nicolas Surlapierre se félicite ainsi que des dessins de Véronique Hubert soient entrés au musée), et enfin, de compléter de nouveaux ensembles. Le Mac/Val disposait pour cela jusqu’en 2024 d’un budget annuel de 300 000 euros, un montant confortable qui a fondu cette année à 50 000 euros. « Le Département, qui nous finance, est confronté à une période difficile, et il a fallu participer à l’effort collectif », temporise Nicolas Surlapierrre, lequel veut croire qu’il s’agit d’une parenthèse et non d’un point de bascule. En attendant, il a encouragé, afin de les développer, les donations au musée. Le Mac/Val en a accepté une trentaine en 2024. Mais l’institution doit aussi faire face à l’explosion de ses dépenses, liée à l’inflation de 2022 et 2023.
Ce coureur d’ultra-trail sait qu’une course de fond comporte des moments de joie « et d’autres où on est dans le dur ». Il mobilise donc les ressources disponibles, comme l’augmentation de la billetterie, et compte actionner de nouveaux leviers, par exemple en créant d’ici à la fin de l’année une société des amis. « Cela étonne souvent les gens lorsque je dis que le Mac/Val n’en a pas. » Il désire aussi lancer un cercle de mécènes, même s’il apparaît nécessaire de dédier un poste à cet objectif. Il faudra patienter, tenir jusqu’à ce que la crise se résorbe, imagine-t-il. Il court avec sa sœur – professeure de littérature comparée à l’université de Haute-Alsace – et avec son beau-frère, avalant quelques dizaines de kilomètres par semaine, sans se considérer pour autant comme un athlète. Ce poids léger modeste prétend ne pas aller à une allure très soutenue, mais est capable de tenir la très longue distance. Il a fini l’an dernier les 100 kilomètres de Millau, en 12 heures 45 minutes chrono : l’endurance, il connaît.
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Nicolas Surlapierre, directeur d’un Mac/Val ancré dans son territoire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°659 du 4 juillet 2025, avec le titre suivant : Nicolas Surlapierre, directeur d’un Mac/Val ancré dans son territoire