Art contemporain

Les cellules vivantes d’Absalon

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 27 juillet 2021 - 485 mots

BORDEAUX

Le CAPC a reconstitué six de ses prototypes d’habitation et installé en regard l’œuvre de huit autres artistes afin de reconsidérer chez Absalon la place du corps et des affects.

Bordeaux. Au début des années 1990, Meir Eshel, ayant pris comme pseudonyme le nom biblique d’« Absalon », conçut un projet d’habitat sous la forme de six Cellules individuelles destinées à être construites dans six villes. L’artiste, atteint du virus du sida, disparut en 1993 à l’âge de 28 ans. Trajectoire fulgurante que les commissaires Guillaume Désanges et François Piron, pour lesquels elle constitue une référence, ont voulu éclairer sous un jour nouveau. L’exposition est née d’une commande de l’Institut Valencià d’Art Modern (Ivam), en Espagne ; sa présentation au CAPC rappelle qu’Absalon fut invité par l’institution bordelaise – la collection du musée d’art contemporain conserve entre autres deux Cellules acquises auprès de la galerie Crousel-Robelin/Bama en 1991. Les six prototypes d’habitation ont été reconstitués dans la grande nef : ces sculptures ont longtemps été envisagées comme des pièces minimalistes, et rattachées aux avant-gardes conceptuelles hostiles à toute expression de la subjectivité. À travers cette exposition collective qui réunit huit artistes, les deux commissaires ont cependant voulu souligner la place importante accordée au corps et aux affects dans ce travail. Chacune des œuvres présentées en regard tire donc un fil qui place Absalon au cœur d’un plus large réseau de significations. Ainsi le scintillant rideau de perles de Felix González-Torres (Untitled (Chemo), 1991), séparant en deux l’espace de la nef, renvoie à la maladie et au deuil, zones de vulnérabilité extrême communes aux deux plasticiens. Déployée à l’échelle monumentale du bâtiment, cette œuvre conserve cependant une poésie intimiste et fragile qui s’accorde parfaitement au projet de vie élaboré par l’artiste franco-israélien, ce d’autant que le spectateur l’éprouve physiquement en la traversant. L’installation de Laura Lamiel (Ring, 2020) fait, elle, écho à l’esthétique méthodique des espaces d’Absalon, sous-tendue par une forte ritualisation, tandis que celle de Myriam Mihindou résonne avec la dimension thérapeutique de ses unités géométriques à échelle humaine.

Les « Bruits » et la blancheur

L’exposition est aussi l’occasion de redécouvrir les sculptures textiles de Marie-Ange Guilleminot, qui fut la compagne de l’artiste. Plusieurs dessins inédits et une sélection de vidéos en noir et blanc complètent ce dispositif qui contribue à incarner la présence dérangeante d’Absalon, hurlant en plan fixe jusqu’à l’épuisement dans Bruits (1993). Malgré leur blancheur immaculée, les six Cellules exiguës invitent à entrer. « Les contraintes qu’elles imposent ont une fonction d’émancipation », rappelle Guillaume Désanges. Cette démarche entre en résonance avec une époque marquée par la gestion politique coercitive de la pandémie. Mais si « son projet de vie apatride était un rejet de l’assignation à résidence », comme le souligne François Piron, Absalon voyait dans l’expérience solitaire du confinement un retrait salutaire de la société et de ses conditionnements. Ou, pour le dire autrement : « Il y a d’autres mondes mais ils sont dans celui-ci. » Conclusion à la feuille d’or de Dora García (2018) qui emprunte cette citation à Éluard.

Absalon Absalon,
jusqu’au 2 janvier 2022, CAPC-Musée d’art contemporain, 7, rue Ferrère, 33000 Bordeaux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Les Cellules vivantes d’Absalon

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