Entretien

Arnaud Labelle-Rojoux : « J’aime que le spectateur bute sur la signification »

Artiste, critique et historien de l'art

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 30 décembre 2014 - 791 mots

Avec un art consommé de l’assemblage et de l’association d’idées, Arnaud Labelle-Rojoux prend un malin plaisir à brouiller référents culturels et significations. Il en fait une nouvelle démonstration à la galerie Loevenbruck, à Paris.

Votre exposition insiste sur l’importance de la vitrine de la galerie à travers laquelle on peut la voir. Souhaitiez-vous la théâtraliser ?
J’ai fait une exposition ici même il y a trois ans. Beaucoup de gens viennent de Province pendant la période entre Noël et le jour de l’an et on m’a dit « cette galerie est formidable, car même fermée on a vu l’exposition car c’est une vitrine. » Je me suis donc dit que j’allais faire quelque chose qui, pendant ces fêtes de Noël, corresponde à l’idée de vitrine. Ma deuxième réflexion a ensuite été de me demander ce qu’est une vitrine ? Une vitrine c’est un spectacle : une scène et un écran en même temps, qui est disposé entre soi et la rue. Et c’est un spectacle figé, du théâtre d’objets en fait. C’est donc de la théâtralité en effet, et pour reprendre ce qu’en dit Roland Barthes, c’est du théâtre sans texte. Et le souvenir qui m’est revenu de ce que pouvait être le théâtre sans texte, c’est d’avoir vu enfant Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau à l’opéra. J’avais été assez fasciné par ces tableaux avec les Indiens, les Péruviens, un volcan, etc. Il y avait une espèce de magie liée à l’aspect évocateur des objets proposés, les plumes, l’exotisme. J’ai repensé à cette idée de faire des tableaux et dans l’art contemporain une chose m’avait frappé, lorsque Mike Kelley avait montré au Frac Poitou-Charentes To Be Read Aloud, la pièce de dialogue qu’il avait faite avec Franz West. Il avait mis cela en scène, mais de façon complètement incongrue, avec quatre tableaux : western, carnaval, etc. Je me suis dit que cette idée du « non sense », qui donc n’a pas de sens a priori mais qui finalement fait spectacle, c’était ce que je voulais faire.

Il y a un aspect un peu dur et figé dans votre présentation, notamment avec cette figure de hippie comme contenue dans la lave et qui tient dans la main une poupée à l’effigie d’Hitler…
Oui, on dirait une espèce de lave figée dans le temps, avec des traces de ce qu’a pu être la notion d’utopie mais devenue synthétique, la lavande en pschitt, les fleurs en plastique… Mais je n’ai pas de sens précis là-dessus, même si je lance ce thème un peu dépressif de la fin  des utopies, de la mort. Il y a des cycles, des choses qui se terminent, mais ensuite il y a le printemps. Je travaille toujours par association d’idées, vous tirez un fil et ça vient tout seul. Ensuite on peut s’y projeter évidemment. Ce qui m’intéresse ce sont les brouillages de pistes qui font qu’il peut y avoir un premier niveau de lecture et derrière… J’aime que le spectateur bute un peu sur la signification, j’essaye de tirer un peu le tapis sous les pieds des gens.

À propos de l’idée d’exotisme, se raccrocher même de manière lointaine à ce type de références est-ce aussi revenir sur l’idée de la représentation mentale que l’on se fait de ces contrées sans jamais y être allé, et donc de se construire soi-même un vocabulaire visuel ?
Certainement. Il y a même ici des œuvres qui font totalement référence à cela et que, liées au situationnisme qui parle de psycho-géographie, j’ai appelées « psycho-tourisme ». Le tourisme qui n’en est pas vraiment un, mais qui est juste basé sur le fantasme de la connaissance par le tourisme où l’on ne voit rien, où l’on ne voit que des images. Et l’image n’est pas la connaissance. Sachant que derrière beaucoup de choses, il y a la question du spectacle dans les deux sens : le sens traditionnel, c’est-à-dire le fait que les gens ne vivent plus leur réalité mais sont dans le spectacle de leur propre vie ; et le sens situationniste de la connaissance, à savoir qu’on ne vit pas vraiment, mais qu’on vit par des images. La « société du spectacle » aujourd’hui est devenue une conversation de bistrot. On sait très bien qu’on est tous en représentation, qu’on est tous à vivre dans des images, que l’on croit connaître les choses mais qu’en réalité ce ne sont que les images des choses, etc. Et je fais une petite différence entre le sens profond des choses et la signification immédiate. Le sens profond est beaucoup plus mystérieux, il est insaisissable, alors qu’on peut tout à fait lire immédiatement les choses. Je pense que globalement mon travail échappe [d’une manière générale, à la signification imposée et la compréhension univoque notamment].

Arnaud Labelle-Roujoux

Jusqu’au 31 janvier, Galerie Loevenbruck, 6, rue Jacques Callot, 75006 Paris, tél. 01 53 10 85 68, www.loevenbruck.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°426 du 2 janvier 2015, avec le titre suivant : Arnaud Labelle-Rojoux : « J’aime que le spectateur bute sur la signification »

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