Musée - Politique culturelle

Musées recherchent statut désespérément

Arbitrage - Prise d’otage dans les musées

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2010 - 883 mots

Pris dans la tourmente de la révision générale des politiques publiques, les musées dits « services à compétence nationale » (SCN) sont l’objet d’une sourde rivalité entre la Réunion des musées nationaux et la future Maison de l’histoire de France. Si les directeurs des musées SCN penchent majoritairement en faveur de cette dernière, certains souhaitent adopter le statut d’établissement public.

PARIS - S’il a été ménagé par les députés lors de son audition devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le 19 mai, Jean-Paul Cluzel peine à afficher une réelle sérénité quant à l’avenir de son rapport sur le Grand Palais (lire le JdA no 324, 30 avril 2010, p. 3). Car le nouveau président de la Réunion des musées nationaux (RMN), qui n’a toujours pas été reçu par Nicolas Sarkozy, compte aujourd’hui ses partisans sur les doigts de la main, y compris du côté de la RMN où ses méthodes en termes de communication ont été peu appréciées. Pire encore, son projet de rattachement à la RMN de l’archipel des musées dits « services à compétence nationale » (SCN) – pour lesquels il préconise un nouveau « contrat moral » – se heurte à la fronde des chefs d’établissement. À l’unanimité, ceux-ci déplorent la présence dans le rapport d’erreurs grossières sur la réalité de la gestion de leurs musées.

Il n’en fallait pas moins pour redonner du souffle au projet de « Maison de l’histoire de France » piloté par Jean-François Hébert, président du Domaine de Fontainebleau, dont le rapport a été remis à la mi-avril au ministre de la Culture. Chargée de donner du sens à une annonce présidentielle, son étude explicite les missions de la future structure, esquisse des pistes d’organisation et analyse le potentiel d’une dizaine de sites d’implantation. L’ancien directeur de cabinet de Christine Albanel y recommande notamment, avec un sens consommé de l’opportunisme, de fédérer huit SCN autour de cette Maison, créant ainsi une confédération de musées présentant chacun une facette de l’histoire (lire le JdA no 316, 8 janvier 2010, p. 15).

« Cela nous permettrait de faire exister la Maison avant qu’elle ne prenne corps », explique Jean-François Hébert, qui suggère l’adoption d’une structure juridique flexible, inspirée du Centre Pompidou. Celui-ci réunit en effet au sein d’une même entité des établissements de statuts divers (musée national, établissement public pour la BPI, association pour l’Ircam, et désormais établissement public de coopération culturelle avec le Centre Pompidou-Metz). De quoi, pour les zélateurs du projet, renforcer l’identité des musées et faciliter les coopérations.

Baronnies
« Le scénario le pire serait de créer un établissement public sans moyens autres que ceux de nos musées », s’inquiète pourtant un directeur d’établissement. Si, par pragmatisme, plusieurs de ses homologues semblent aujourd’hui ralliés au projet Hébert, quelques-uns continuent à militer en faveur du statut d’établissement public. Or ce statut, promu par les précédents ministres, est en train de montrer ses limites. Après avoir facilité la création de baronnies affaiblissant le rôle de pilotage du ministère de la Culture et attisant les rivalités entre musées, il est aujourd’hui exposé à une certaine fragilité financière. « Au sein des musées, il y a eu une griserie de l’établissement public, reconnaît un observateur. Tout cela avec l’encouragement machiavélique de Bercy qui a posé un nœud coulant. Or celui-ci est en train de se resserrer. »

La chute des ressources propres des établissements publics est en effet accentuée par une baisse de leurs subventions publiques, qui peut être décidée très rapidement, en un seul conseil d’administration. Or, dans le cas des SCN, les canaux budgétaires du ministère de la Culture étant plus tortueux, il se révèle plus difficile de les assécher…

L’avenir des musées SCN a pourtant été scellé par la révision générale des politiques publiques (RGPP). Les experts ont échafaudé plusieurs scénarios afin de les réformer car leur statut actuel implique un contrôle de l’administration, celle-là même que la RGPP, dans une logique purement technocratique, entend priver de sa fonction de gestion sous couvert de réduction d’effectifs. Un rapprochement avec le Centre des monuments nationaux a été envisagé. Il resterait d’actualité pour le Musée national de la préhistoire des Eyzies-de-Tayac (Dordogne). Un partenariat avec les collectivités a été esquissé pour Limoges et les établissements du Sud-Est, mais le contexte actuel n’y est guère favorable. Aucun contre-projet acceptable n’est sorti des cartons d’une administration centrale paralysée par sa réorganisation et où les querelles de pouvoir ont mobilisé les énergies.

Les musées SCN risquent donc aujourd’hui d’être jetés en pâture à la Maison de l’histoire de France. Jean-François Hébert reconnaît lui-même que son projet présente l’avantage de régler deux problèmes en un. « Plutôt que de mal traiter ces musées, c’est là une formidable occasion de les intégrer dans un ensemble cohérent. Le défi pour nous sera de trouver le bon équilibre entre autonomie et participation à un ensemble plus vaste. » Mais le constat a tout du pis-aller. « Nous avons été pris en otage et laminés au passage », déplore un conservateur. Des tractations sont en cours entre l’Élysée, Bercy, Matignon et la Rue de Valois, cette dernière étant réduite aujourd’hui à passer les plats. Et si la prochaine étape était la rétrogradation du ministère de la Culture – où l’occupation principale semble être la remise de décorations – en secrétariat d’État ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Musées recherchent statut désespérément

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