Archéologie - Politique

À Marseille, les vestiges de la Corderie seront enfouis

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 19 mai 2022 - 1029 mots

MARSEILLE

Le ministère de la Culture a tranché : la carrière de l’époque grecque, exhumée en 2017, ne restera pas à l’air libre comme le demandaient des associations de défense du patrimoine et des archéologues.

Site archéologique de la Corderie à Marseille, lors de sa mise à jour en 2017. © La Corderie, 2017, CC BY-SA 4.0
Site archéologique de la Corderie à Marseille, lors de sa mise à jour en 2017.
© La Corderie, 2017

C’est un feuilleton archéologico-politique marseillais qui dure depuis 2017. La découverte d’une carrière grecque datant du Ve siècle avant notre ère, lors d’une opération de promotion immobilière dans le quartier de Saint-Victor (7e arrondissement), aurait pu donner lieu à une mise en valeur patrimoniale et muséale, selon le souhait des associations locales, de responsables politiques et de spécialistes du patrimoine archéologique et géologique. Mais le ministère de la Culture a finalement choisi de réenfouir ces vestiges : évoquée dans un courrier adressé à l’association Sites & Monuments le 16 novembre 2021, cette décision a été confirmée dans une lettre envoyée le 7 avril aux associations locales de défense du patrimoine.

« La grande fragilité des vestiges, liée notamment à la mauvaise capacité de conservation de la pierre, et l’importance des investissements que nécessiterait leur maintien hors sol ne permettent pas d’envisager l’hypothèse du maintien de l’exhumation des vestiges (en créant une halle couverte) ou celle d’un réenfouissement partiel, avec la création de fenêtres vitrées », justifie Roselyne Bachelot dans ce courrier. La création de parois vitrées est en effet la solution privilégiée par les opposants au « réenfouissement » total, pour qui l’accessibilité du public au site archéologique est la priorité.

10 % du site est classé monument historique

« C’est un site qui donne l’impression d’avoir été abandonné la veille, défend pourtant Michèle Delaage, vice-présidente du Comité du Vieux-Marseille, ça a profondément marqué tous ceux qui l’ont vu. » Le Comité et les associations de riverains mobilisées pour la préservation des vestiges avaient obtenu une demi-victoire en 2018. Souhaitant faire annuler le permis de construire obtenu par Vinci, à la suite de la découverte des 6 500 mètres carrés de la carrière, ils obtiennent de la part de Françoise Nyssen – alors ministre de la Culture – le classement au titre de monument historique de 10 % du site archéologique. Une sanctuarisation en forme de lot de consolation, qui n’empêche pas la construction du programme immobilier.

Depuis lors, c’est la valorisation de ces 635 mètres carrés classés, coincés entre les immeubles neufs et une rare portion du mur d’enceinte Louis XIV préservée dans le quartier, qui agite les esprits. Autour des anciennes carrières, la mobilisation devient politique : Benoît Payan, maire de Marseille, regrettait en décembre 2021 la décision esquissée par la ministre de la Culture. « L’État se dédit de ses engagements, […] Roselyne Bachelot enfouit une partie de la mémoire de Marseille », dénonçait-il par voie de communiqué. La municipalité actuelle défendait alors la préservation à l’air libre des vestiges. Dans l’opposition municipale lors de l’exhumation de la carrière en 2017, Benoît Payan et son adjoint à la culture se positionnaient déjà pour la valorisation du site archéologique. Mais sur ce dossier, c’est bien l’État qui demeure décisionnaire, comme le rappelait aussi l’édile en décembre. La Mairie n’a pas souhaité commenter la confirmation de la récente décision d’enfouir.

Pour justifier leur décision, les services de l’État rappellent le contexte de cette découverte : une fouille d’archéologie préventive dans le cadre d’un projet d’aménagement du territoire, avec « un arrêté de fouille préventive, un cahier des charges et un temps de fouille validé par l’État, détaille Xavier Delestre, conservateur régional de l’archéologie à la Drac Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Ce n’est pas l’aménageur qui décide quoi que ce soit, tout est fait sur des bases scientifiques, comme partout. »

Pour la Drac (direction régionale des Affaires culturelles) comme pour l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), la découverte – malgré l’émotion qu’elle suscite – n’entraînait pas nécessairement une préservation à l’air libre et une mise en valeur, quand d’autres archéologues et géologues défendaient cet exemple rare de patrimoine industriel antique et géologique en France. L’État considère que l’étude scientifique (qui a donné lieu à un rapport de 900 pages, une numérisation 3D du site et une publication dans la revue Monumental) suffit à la mise en valeur du site, lequel devrait par ailleurs être évoqué dans le parcours du Musée d’histoire de Marseille. « Il ne faut pas confondre intérêt scientifique et intérêt particulier, explique Xavier Delestre. L’intérêt scientifique a été pris en compte, ensuite rien ne justifiait une position de refus de permis de construire. Il est fort à parier que si nous avions contesté ce permis, l’aménageur nous aurait attaqués en justice et aurait eu gain de cause. »

Une mise en valeur possible mais pour un coût plus élevé

Rétrospectivement, les défenseurs du patrimoine se demandent si le classement monument historique était une si bonne affaire. Car l’exigence de préservation de ce site constitué de pierres fragiles est désormais accrue, et pour ce faire, l’enfouissement est la solution la plus efficace et la moins coûteuse. « Ce classement, finalement, c’était le plus mauvais cadeau à faire à ces vestiges !», regrette la vice-présidente du Comité du Vieux-Marseille. Mais pour Michèle Delaage, l’enfouissement de la carrière présente aussi des dangers pour la conservation : elle pointe le risque d’accumulation des eaux de ruissellement contre le mur en béton du nouveau parking souterrain, qui jouxte désormais le site sur trois niveaux. Un sujet pris en compte par l’aménageur, selon la Drac, qui a installé un système de drainage des eaux. À l’inverse, dans son rapport transmis au ministère de la Culture, l’architecte en chef des Monuments historiques François Botton relevait une « non-gestion » des eaux d’écoulement sur le site, « malgré des demandes réitérées ».

Consulté par le quotidien La Marseillaise en mars, ce rapport de 2020, longtemps resté inaccessible, considérait l’aménagement du site pour le public comme tout à fait envisageable, « au prix d’un fort engagement politique, et de moyens technique humains et financiers ». Le nœud du problème réside peut-être ici : il faut multiplier par deux le coût de l’enfouissement (500 000 €) pour mettre en place la solution des fenêtres ouvertes sur les vestiges, et par quatre pour une halle-parapluie les mettant hors d’eau.

Les défenseurs du site n’ont pas jeté l’éponge, et comptent sur la nouvelle équipe municipale, qui leur montre une écoute que ne leur offrait pas la précédente : « Ils sont plutôt sensibles au sujet, mais on sent aussi qu’ils n’ont pas totalement les coudées franches… », note Michèle Delaage.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°589 du 13 mai 2022, avec le titre suivant : À Marseille, les vestiges de la Corderie seront enfouis

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