Fondation - Suisse

Malaise autour de la vente par la Fondation Beyeler d’une partie de sa collection

Par Ingrid Dubach-Lemainque, correspondante en Suisse · lejournaldesarts.fr

Le 7 juillet 2021 - 811 mots

BÂLE / SUISSE

Le musée suisse se sépare de plusieurs œuvres données en 2013 par le couple Renard, au grand dam de leur fille.

Fondation Beyeler - Photo Taxiarchos228, 2014, Licence art libre
Fondation Beyeler.
Photo Taxiarchos, 2014

Le paradoxe ne pourrait qu’être apparent : au moment où la Fondation Beyeler va s’agrandir, elle décide de se séparer d’une partie des œuvres qui lui ont été données. Sa collection initiale a été constituée à partir de la donation de 400 œuvres dont la plupart venaient du galeriste et collectionneur Ernst Beyeler. Comme toute collection de type muséal, celle-ci s’agrandit au fil des années au fur à mesure des achats ou des dons. Ce fut le cas, pour la première fois depuis la création de la fondation, avec la donation du couple de collectionneurs français Renard, en 2013. 

Claude-Louis et Micheline Renard avait longtemps œuvré dans le mécénat d’artistes contemporains en France au sein de l’entreprise automobile Renault puis par le biais de l’association IAC (Incitation à la création). En parallèle, ils avaient monté une collection privée autour de quelques grands noms de l’art international d’après-guerre. « Après le décès de mon père en 2005 » raconte leur fille, Delphine Renard, « ma mère a souhaité faire don, comme mon père le prévoyait, du meilleur de leur collection à la Fondation Beyeler de Bâle : amis de Ernst Beyeler depuis trente ans, ils étaient en grande affinité avec ses choix artistiques »

Entretemps le fondateur bâlois est décédé (en 2010) et les discussions durent près de huit ans avant que 33 tableaux ne soient choisis pour la donation : « Micheline Renard tenait à ce que les œuvres les plus marquantes de sa collection, fruit de toute une vie au service de l’art et des artistes, soient accueillies dans une institution qui les offrirait au regard d’un large public, plutôt qu’à des collectionneurs qui en garderaient la jouissance privée », explique sa fille. 

En 2013, l’exposition des œuvres de la donation accompagnée par l’édition d’un catalogue, fête ce généreux don qui permet alors l’entrée dans les collections de la fondation suisse d’artistes comme Sigmar Polke, Jean Tinguely, Jean-Michel Basquiat ou Jean Fautrier. 

Huit années plus tard, Delphine Renard est succinctement informée par le directeur Sam Keller de la vente d’une partie de cette donation par la fondation « directement et discrètement à des collectionneurs étroitement liés à la Fondation »

Cette décision provoque sa colère : « je suis scandalisée et extrêmement déçue par ce qui m’apparaît comme un détournement des intentions de mes parents. Cette collection était l’œuvre de toute leur vie ; s’ils avaient simplement voulu soutenir financièrement la Fondation, ils auraient vendu les tableaux et donné un chèque »

La fondation bâloise confirme ce projet de vente au Journal des Arts : « le Conseil d'administration de la Fondation Beyeler a décidé de vendre des œuvres individuelles de la Collection Renard, comme d’entente avec la donatrice. Un ensemble central d'œuvres de la Collection Renard restera durablement à la Fondation Beyeler »

Un argument peu recevable pour Delphine Renard qui se souvient que « la fondation a insisté pour que le contrat de donation ne comporte aucune clause restrictive quant à son droit éventuel de revente ; Micheline Renard en avait conscience, mais pensait pouvoir se fier à la moralité des dirigeants de la Fondation pour que l’ensemble donné soit conservé dans son intégrité. Je ne réfute pas le fondement légal de cette vente, mais j’en conteste la moralité. » 

La fondation précise au Journal des Arts, que la vente porte sur quatre œuvres de Jean Dubuffet « qui est déjà très bien représenté dans la collection Beyeler ». Ce que contredit les propos du commissaire Raphaël Bouvier publiés à l’occasion de l’exposition de 2013 : « On ne peut manquer d’être frappé par d’étroites correspondances entre ces deux collections [Beyeler et Renard] qui ne portent pas seulement sur le choix des artistes, mais concernent également les critères artistiques et la prédilection pour certaines positions esthétiques. Ces correspondances s’expriment de manière particulièrement significative dans les œuvres de Jean Dubuffet, Sam Francis et Antonì Tapies. » Delphine Renard s’en étonne également, se souvenant que « Sam Keller [était] venu à Paris pour influer sur les choix d’œuvres en fonction des orientations de la Fondation Beyeler ».

Sur les raisons et le moment choisi pour cette vente, la réponse de la fondation  reste encore une fois sibylline : « il n’y a pas de motif actuel à cette décision. Le bénéfice de la vente sera utilisé par la Fondation Beyeler pour acheter de nouvelles œuvres pour sa collection »

Sur ce dernier point, il semble y avoir matière à interprétation : la direction du musée aurait-elle donc choisi de se positionner de manière plus affirmée dans le domaine de l’art contemporain (comme elle le fait déjà par le biais de ses expositions depuis quelques années) - quitte à réduire sa collection d’art moderne qui constitue, depuis sa création, l’ADN du lieu ? A moins que la raison ne soit, tout simplement, à chercher du côté de l'ambitieux projet d’extension de la fondation - qui nécessite, à ce jour, encore des financements. 
 

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