Droit

Loterie Notre-Dame, un flou juridique

Par Elsa Espin · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2025 - 533 mots

Des fragments de la cathédrale ont été proposés à des donateurs, soulevant une incertitude sur leur statut juridique.

Pierre authentique de la cathédrale Notre-Dame de Paris à gagner lors du jeu-concours. © Fondation du Patrimoine.
Pierre authentique de la cathédrale Notre-Dame de Paris à gagner lors du jeu-concours.
© Fondation du Patrimoine

Paris. Décorer son salon avec un morceau de Notre-Dame de Paris ? Cela est désormais possible pour quelques chanceux grâce à la Fondation du Patrimoine et au tirage au sort organisé du 4 mars au 4 avril 2025 (*). Cinquante pierres de la cathédrale, non réintégrées lors de sa restauration après l’incendie de 2019, ont été mises en jeu. Pour en obtenir une, il fallait effectuer un don d’au moins 40 euros. L’opération s’inscrit dans une initiative plus large de la Fondation du Patrimoine visant à recueillir des fonds pour la restauration des édifices religieux en péril.

Cependant, cette opération soulève plusieurs questions. Si l’objectif philanthropique est indéniable, le principe même de proposer des fragments d’un monument aussi emblématique en contrepartie d’un don peut être perçu comme une forme de commercialisation du patrimoine culturel.

Classée monument historique depuis 1862, Notre-Dame appartient à l’État français. Or, selon l’article L3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, les biens classés sont inaliénables et imprescriptibles. En d’autres termes, ils ne peuvent être vendus, donnés ou cédés sans une procédure spécifique. Dès lors se pose une question de droit : ces cinquante pierres sont-elles toujours considérées comme des éléments protégés du monument ?

Pour contourner l’interdiction de cession, deux arguments peuvent être avancés. Le premier est un déclassement partiel : une procédure spécifique permettrait de retirer ces pierres du champ protégé par le Code du patrimoine, mais cela nécessiterait l’accord de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA). Toutefois, cette démarche reste complexe et peu courante. Une autre voie pourrait être de considérer ces pierres comme des rebuts. Si tel était le cas, elles pourraient échapper à la protection du patrimoine et être cédées sans formalités particulières. Mais ces pierres peuvent-elles réellement être qualifiées de rebuts alors qu’elles proviennent d’un édifice historique classé ?

L’article 9 du règlement du concours, qui interdit toute cession ou revente des pierres, semble être une tentative d’éviter leur commercialisation et de contourner les risques juridiques liés à leur statut patrimonial. Toutefois, cette restriction ne lève pas l’incertitude sur leur appartenance au domaine public et leur inaliénabilité.

Une jurisprudence contraire

Il existe néanmoins une véritable « propriété du fragment », comme le souligne Pierre Noual, (avocat en droit de l’art et contributeur au Journal des Arts) avec notamment l’exemple de la colonne Vendôme. Suite à sa destruction en 1871, le monument avait perdu son caractère immobilier et des éléments étaient passés en main privée. Toutefois, en 2004, la cour administrative d’appel de Paris a statué sur le fait qu’en raison de leur origine, ces fragments avaient le caractère de biens meubles du domaine public de l’État, et qu’ils étaient donc imprescriptibles. En 2019, la Cour de cassation a confirmé ce principe avec la restitution à l’État d’un fragment du jubé de Chartres. « Une solution similaire pourrait ainsi être applicable pour les fragments de Notre-Dame mis en jeu », explique l’avocat.

Erratum - Jeudi 24 avril 2025

(*) Contrairement à ce qui a été publié dans le JdA n°654, le tirage au sort a eu lieu en 2025 et non en 2024.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : Loterie Notre-Dame, un flou juridique

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