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COMITÉ DU PATRIMOINE

Les nouvelles orientations du Comité du patrimoine mondial de l'Unesco

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 12 septembre 2025 - 908 mots

Valorisation du patrimoine africain, enjeux diplomatiques, fossé grandissant avec l’Icomos : les mutations en cours dans le programme phare de l’Unesco.

47e session du Comité du patrimoine mondial de l'Unesco, en juillet 2025. © Paul Férard / Unesco
47e session du Comité du patrimoine mondial de l'Unesco, en juillet 2025.
© Paul Férard / Unesco

Monde. Cornemuse, binious et bombardes... le samedi 12 juillet dernier, le Bagad de Carnac troublait le calme des échanges policés, mais aussi disputés, de la 47e session du Comité du patrimoine mondial, tenue au siège de l’Unesco (Paris), du 6 au 16 juillet dernier (voir ill.). Célébrant l’inscription des mégalithes de la station balnéaire bretonne sur la Liste du patrimoine mondial, le bruyant orchestre interrompait alors les discussions sur l’inscription du château de Neuschwanstein en Allemagne : deux candidatures qui accèdent à la convoitée liste sans difficultés ni débats.

Pour ces deux dossiers européens, l’avis favorable de l’Icomos – organe consultatif du Comité, évaluant les candidatures pour l’assemblée de diplomates – n’a pas posé de problèmes. Mais d’autres biens culturels promis à une candidature renvoyée ou différée par l’Icomos ont fait l’objet de longues discussions, aboutissant sur une inscription… malgré les préconisations des experts du patrimoine. Un cas de figure désormais banal lors des sessions du Comité, mais qui a culminé lors de cette dernière réunion.

Avec l’inscription du site émirati du paléo-paysage de Faya (voir ill.), c’est un dossier dont l’Icomos recommandait la non-inscription pure et simple (son appréciation la plus sévère, interdisant au bien toute nouvelle candidature) qui accède à la Liste du patrimoine mondial. Malgré cette évaluation sans concession, rejetant totalement la démonstration de valeur universelle exceptionnelle soumise par les Émirats arabes unis, ce sont les délégués des pays membres du Comité qui prennent la décision : la Zambie, le Liban, le Sénégal, l’Ukraine, le Kenya, le Rwanda, l’Argentine, l’Inde, la Bulgarie, la Grèce, le Kazakhstan, et la Turquie ont ainsi contesté d’une seule voix l’évaluation des experts de l’Unesco pour inscrire le site.

Paléo-paysage de Faya aux Émirats arabes unis. © Institute for Heritage Management / Stephanie Veith
Paléo-paysage de Faya aux Émirats arabes unis.
© Institute for Heritage Management / Stephanie Veith

Le cas de figure est rare (voire inédit), puisqu’une telle évaluation invite normalement l’État porteur de la candidature à retirer le dossier. Lorsqu’il tente tout de même de soumettre sa candidature devant le Comité, c’est un échec, comme ce fut le cas pour la France avec la chaîne des Puys auvergnats, en 2014. Les tractations diplomatiques ont pris le pas sur l’expertise patrimoniale de l’Icomos (patrimoine culturel) et de l’IUCN (patrimoine naturel) depuis quelques années, autorisant l’espoir pour des dossiers condamnés par les deux organes consultatifs.

Les appréciations de renvoi (demande de compléter le dossier sous trois ans) ou de report (demande de soumettre un nouveau dossier) ne sont ainsi généralement plus suivies par les pays membres lors des sessions du Comité des années 2020. Cette année, deux propositions pour lesquelles l’Icomos exigeait un nouveau dossier ont ainsi été inscrites : les paysages militaires marathes (Inde) et les monuments et paysages bouddhistes de Yên Tu (Vietnam). Lors de l’inscription de ce dernier bien, la proposition de mener une étude d’impact du tourisme sur le patrimoine, portée par le Liban, a même été fermement combattue par l’Inde, qui y voyait un manque de confiance envers l’État du Vietnam.

Car les décisions du Comité s’ancrent en effet dans une montée en puissance des pays du « Sud global » au sein de l’Unesco – déserté une nouvelle fois par les États-Unis cette année – qui ouvre la voie à une contestation des avis de l’Icomos. Reconnu comme un problème central de la Liste du patrimoine mondial depuis 1994, le problème de la surreprésentativité des pays européens dans la liste – tout comme l’eurocentrisme présumé des expertises patrimoniales – a été mis en avant par la Zambie, le Qatar et la Turquie pour défendre l’inscription du site des Émirats arabes unis. Mais l’affaiblissement de l’autorité des experts scientifiques profite également à des dossiers européens, soumis par des pays déjà bien représentés, comme cette année la Grèce et l’Italie.

Relançant ce chantier du rééquilibrage de la Liste lors de son arrivée au poste du directeur du Centre du patrimoine mondial fin 2021, l’architecte camerounais Lazare Eloundou a notamment fait du continent africain sa priorité. Région la moins bien représentée, l’Afrique a bénéficié de deux inscriptions lors de la 47e session, avec le paysage culturel du mont Mulanje au Malawi, et celui des monts Mandara au Cameroun. Un premier résultat des efforts de formation et de soutien aux professionnels locaux entamés par l’Unesco, et une manifestation des orientations de Nairobi adoptées en mai dernier : un complément à la notion d’authenticité adapté au contexte africain, reliant les sites culturels à des pratiques et des communautés. Lors des cinq dernières sessions, les inscriptions africaines étaient rarissimes, et répondaient à une conception européenne du patrimoine : ruines et sites archéologiques d’Éthiopie ou du Kenya.

Mais le rééquilibrage passera aussi par un plus faible nombre d’inscriptions pour les pays déjà bien dotés… et la France doit s’y préparer. Alors que l’Unesco invite les pays européens à ralentir le rythme des inscriptions, l’Hexagone continue d’obtenir l’inscription d’un à deux sites par an. Une cadence soutenue qui sera rendue impossible par l’Unesco dès 2027, avec l’introduction des évaluations préliminaires : une seule candidature par État sera autorisée à suivre ce processus de trois ans, durant lequel l’Icomos et le Comité évalueront la proposition de manière continue. D’autres pays se sont déjà préparés à ce ralentissement, comme le Royaume-Uni, qui ne présente qu’un dossier tous les trois ans, et a largement fait le ménage dans sa liste indicative, l’antichambre des candidatures officielles, ne retenant que cinq biens. La France compte, elle, 32 candidats potentiels sur cette liste, qui ressemble désormais à un purgatoire.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°660 du 5 septembre 2025, avec le titre suivant : Les nouvelles orientations du Comité du patrimoine mondial

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