Les cent jours de Raphaël

Bilan de la restauration de La Dispute du Saint Sacremen

Le Journal des Arts

Le 8 juillet 1998 - 1023 mots

Une importante campagne de restauration a été menée au Vatican dans la Chambre de la Signature, peinte par Raphaël à la demande du pape Jules II. L’intervention qui s’achève sur La Dispute du Saint Sacrement a permis de mieux cerner les restaurations précédentes, la technique du peintre, et de proposer une chronologie des trois fresques de la Chambre.

ROME (de notre correspondante) - Neuf mois après le début des opérations, les restaurateurs du Vatican achèvent leur travail dans la Chambre de la Signature, sur la grande fresque de Raphaël, Le Mystère (ou Triomphe) de l’Eucharistie, appelée traditionnellement La Dispute du Saint Sacrement d’après une interprétation erronée de Vasari. Ne reste qu’à boucher quelques fissures – la plus profonde, qui part du bas vers la droite, a permis un examen “endoscopique” de la maçonnerie –, mais la splendeur sereine des couleurs a été totalement retrouvée.

Une fois encore, l’importance des documents conservés aux Archives des Musées a été confirmée : elles ont permis de vérifier l’ampleur et la précision des restaurations effectuées sur le mur en 1755, un peu plus de deux siècles après les dommages infligés par les lansquenets de Charles Quint, lors du “sac” de Rome, en 1527. Entre ces deux dates se situent les fameuses interventions de Carlo Maratta, impossibles toutefois à déceler. Les documents de 1755 parlant de paiements effectués pour une partie de cire rouge et d’“or d’Allemagne” (c’est-à-dire de faux or), il a été facile de localiser les restaurations sur la gloire rayonnante descendant du sommet de l’arcature pour illuminer l’apparition du Père et du Fils, entre les groupes d’anges. Le long des rayons sont en effet collées de petites pastilles rondes de cire dorée qui produisent un effet de miroitement lumineux. Lors des opérations, il est apparu que Raphaël préparait chaque pastille sur le gras du doigt et, après l’avoir dorée, la plaçait par un geste de bas en haut de façon à lui imprimer une concavité destinée à accrocher la lumière. Les restaurateurs du XVIIIe siècle, en revanche, se sont limités à poser mécaniquement ces pastilles, qui ne portent plus que la marque de l’ébauchoir – certaines ont même été posées, au passage, sur le visage des anges !

De la main de Raphaël
Mais ce n’est pas seulement dans ces traces secondaires que peut se lire de près la façon d’opérer du peintre : observée en lumière rasante, l’architrave incurvée de nuages, où se déploie l’assemblée des Pères de l’Ancien et du Nouveau Testament qui cerne l’auréole dorée du Christ, montre les marques des incisions directes par lesquelles Raphaël notait en quelques traits, sur l’intonaco (enduit de chaux), les visages de ses chérubins. Ces traits étaient ensuite repris avec une souplesse et une rapidité d’exécution dont la virtuosité est proprement confondante. Le nettoyage a mis en évidence le rôle joué par la lumière dans la construction de l’espace, surtout dans cette partie très délicate où il revient aux variations tonales de créer espace et dynamisme autour de figures monumentales regroupées sur un fond de ciel.

Les “journées” d’exécution (giornate) méritent une attention particulière. Elles ont été au nombre d’une centaine, et toutes de la main de Raphaël – mis à part quelques détails insignifiants –, alors qu’il lui en a fallu soixante pour L’École d’Athènes et trois cents pour Le Parnasse. Le schéma obtenu par l’observation de la fresque montre que seules les grandes surfaces à remplissage continu – le ciel, les nuages – ont été traitées rapidement, tandis que chaque personnage a presque toujours exigé une journée entière à lui seul. La journée consacrée à la figure extraordinaire du Père offre un cas à part : le personnage est en effet très petit, par rapport aux figures situées au-dessous, mais il est proprement stupéfiant dans la finition des détails et son rendu psychologique, à la fois sévère et douloureux (presque impossible à distinguer si l’on regarde la fresque depuis le bas).

Une chronologie des fresques
La restauration a également confirmé l’existence des dégâts causés par les lansquenets impériaux, ainsi que les inscriptions luthériennes déjà notées par Redig de Campos, mais les soldats allemands n’ont pas défiguré tous les portraits des papes. Seuls ceux dans lesquels les pillards croyaient reconnaître certains personnages particulièrement haïs ont été criblés de coups, comme le visage de Sixte IV Della Rovere sur lequel ils se sont acharnés.

La restauration a par ailleurs permis d’avancer de nouvelles hypothèses sur la Chambre de la Signature, et de soulever quelques questions. Laissons de côté celle de la destination de la salle, sur laquelle Arnold Nesselrath, directeur scientifique de la restauration, semble partager pour l’essentiel la thèse qui y voit la bibliothèque de Jules II. Revenons plutôt sur le problème de la chronologie relative des différentes fresques. Une imposante bibliographie et une tradition séculaire nous avaient habitués à l’idée que La Dispute du Saint Sacrement était le premier des trois murs peints par Raphaël, à partir de la seconde moitié de 1508. Si l’on considère que décembre 1509 – quand l’Arioste arrive à Rome – constitue la date limite pour le début des fresques du Parnasse, il faut en conclure que les deux murs principaux ont été réalisés en l’espace d’un an ou un peu plus. On ne saurait ignorer non plus certains éléments techniques liés au mode d’exécution de Raphaël, que l’actuelle campagne de restauration a mis en lumière. Les matériaux utilisés par le peintre pour La Dispute sont moins précieux que ceux de L’École d’Athènes, et les problèmes d’intonaco rencontrés dans la partie supérieure – la première achevée – de l’École semblent avoir disparu. En outre, sur le mur de La Dispute comme sur celui du Parnasse (qui a certainement été réalisé en dernier), le peintre préfère repasser au pinceau le tracé des figures exécuté au poncif, plutôt que d’inciser directement sur l’intonaco. Raphaël n’a adopté ce système que pour le personnage d’Euclide dans L’École, dernier groupe peint pour cette fresque. Il est donc raisonnable de supposer que cet enchaînement des procédés correspond à une séquence chronologique du même ordre. Toutefois, la réponse définitive au problème de la chronologie relative ne pourra être apportée qu’une fois terminée la restauration de la voûte.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : Les cent jours de Raphaël

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